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DIAL 2735

MEXIQUE - Clandestins et passeurs de frontières

Diego Cevallos

jeudi 1er juillet 2004, mis en ligne par Dial

La pauvreté pousse chaque année des centaines de milliers de Latino-Américains en direction des pays riches, notamment les Etats-Unis. Le Mexique est non seulement un pays d’émigration pour ses propres habitants mais aussi un lieu de passage pour d’autres migrants d’Amérique latine. Les passages clandestins de la frontière séparant les Etats-Unis et le Mexique sont dangereux, les refoulés y sont nombreux et les voyages pour y parvenir excessivement coûteux. Beaucoup y perdent non seulement leur argent mais leur vie. Article de Diego Cevallos, IPS, avril 2004.


L’Hondurien Oscar Medrano a perdu une jambe et 2 000 dollars en tentant de traverser le Mexique en direction des Etats-Unis, malgré la multitude des dangers que courent les immigrants en se remettant aux mains de trafiquants, unique passeport pour un emploi de survie.
« Je suis resté vivant, c’est ce qui est important, ainsi je peux retourner dans mon pays pour aller de l’avant » a expliqué a IPS par téléphone Medrano, peu avant de quitter le centre pour immigrants de l’Etat méridional du Chiapas, à la frontière du Mexique et du Guatemala.
Quelque 160 000 personnes, la majorité du Honduras, du Guatemala et d’El Salvador, sont détenues et déportées chaque année par la police du Mexique au moment où elles essayent d’entrer sans papiers aux Etats-Unis.

Medrano n’a pas été détenu. Mais quand il a essayé de grimper dans un train de marchandises allant au centre du territoire mexicain, il chuta et sa jambe fut coupé.

Déjà blessé, il a été attaqué par des jeunes délinquants, qui lui volèrent 200 dollars, perte qui s’ajoute aux 1 800 qu’il avait remis préalablement à un passeur, ou trafiquant d’hommes.

« Maintenant, je veux tout oublier, je veux juste rentrer chez moi pour être avec ma famille et ne plus rien savoir des passeurs ni de rien d’autre, puisqu’ils m’ont abandonné » a dit le Hondurien avant de couper la communication.

Ce qui se passe avec les immigrants à la frontière du Mexique et du Guatemala est dramatique, il y des abus de tout genre, soutient le président de la Commission nationale (mais néanmoins indépendante) des droits humains, José Luis Soberanes.

Selon un rapport de cette Commission, les immigrants qui voyagent sans papiers sont très vulnérables. Les autorités en matière de migrations ainsi que les policiers en profitent pour commettre des abus sexuels, des extorsions, des intimidations, des vols, des tortures et des mauvais traitements.

Le gouvernement du Mexicain Vicente Fox certifie appliquer des contrôles stricts à sa frontière méridionale, et périodiquement arrête des passeurs et leurs victimes : des immigrants qui voyagent cachés.
Mais des études indépendantes et des statistiques officielles montrent que l’entrée des étrangers sans papiers augmentent de la même manière que l’activité des trafiquants de personnes. En 1988, le Mexique a arrêté et renvoyé 108 000 immigrants. Pour la période 2000-2003, ce chiffre a atteint une moyenne annuelle de 160 000 personnes.

Le Mexique, passage traditionnel pour les émigrants d’Amérique du sud, d’Amérique centrale et, en plus faible proportion, d’Asie et du Moyen-Orient vers les Etats-Unis, partage 1 149 kilomètres de frontières avec le Guatemala et Belize, dont de nombreux endroits sont très peu gardés.
IPS a contacté un trafiquant d’êtres humains à qui il a demandé le « prix » et les conditions de passage pour les Etats-Unis. Méfiant et sans mentionner son nom, il a indiqué que pour les Centraméricains et les Sudaméricains, le voyage varie entre 1 500 et 4 000 dollars, et plus de 10 000 pour les Européens et les Asiatiques. « La moitié se paye tout de suite et le reste à l’arrivée de l’autre côté (aux Etats-Unis), où les attendront nos compagnons », indiqua-t-il.

L’interrogeant sur les abus qu’un éventuel voyageur pourrait subir, le délinquant soutient que « le service » est garanti et qu’il n’y aurait aucun problème, bien entendu sans expliquer de quel caractère est la garantie.

Washington et le Mexique, qui partagent une frontière de 3 200 kilomètres, ont des accords pour combattre le trafic de personnes. Mais enfreindre la loi est quasiment l’unique option pour les immigrants face au redoublement de vigilance aux points de passage des immigrants aux Etats-Unis, qui chaque jour mettent plus d’obstacles à l’entrée des étrangers.

« Le négoce des passeurs a le vent en poupe, précisément parce qu’il est plus difficile maintenant d’entrer aux Etats-Unis », a exprimé Guillermo Alonso, enquêteur du « Collège de la frontière nord », centre académique mexicain spécialisé sur la thématique de la migration.
« L’échec de la politique de migration du gouvernement nord-américain (états-unien) est évident » , a affirmé l’auteur de l’étude La migration clandestine par la frontière nord du Mexique : stratégies de croisement et mortalité.

Chaque année environ 390 000 Mexicains sans papiers réussissent à entrer et à rester aux Etats-Unis, une grande partie d’entre eux guidés aussi par les passeurs. Mais ceux qui sont expulsés dépassent le million.
Aux Etats-Unis vivent 38,8 millions de personnes d’origine latino-américaine ; 25,4 millions d’entre elles proviennent du Mexique.

Avant 1993, on pouvait entrer aux Etats-Unis par des zones proches des villes frontières, mais depuis cette année les chemins ont été fermés par des murs et des barbelés, les contrôles ont été encore plus durcis depuis les attentats du 11 septembre 2001 contre New-York et Washington.

Les immigrants et leurs guides (qui font partie du réseau de passeurs) cherchent alors aujourd’hui l’accès aux Etats-Unis par les déserts et les montagnes inhospitalières. S’ils arrivent à y pénétrer, ils sont transportés à l’intérieur du territoire en camions et wagons de trains scellés, ou à l’intérieur de bagages.

Dans ces 10 dernières années, plus de 3 000 Mexicains sont morts lors de leurs tentatives pour entrer dans des villes états-uniennes, perdus dans les déserts, noyés en traversant une rivière ou abandonnés dans des camions ou des trains hermétiquement fermés.

Le drame de ces voyageurs qui proviennent d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale ne commence pas aux Etats-Unis, mais dès le Mexique, où ils doivent affronter des dangers et des tromperies, voire une arrestation, perdre la vie ou tout l’argent qu’ils ont emporté.
Le gouvernement mexicain proteste sur le traitement dont souffrent les immigrants sans papiers aux Etats-Unis, mais il est peu attentif aux personnes qui traversent son territoire, avertit l’organisation humanitaire non gouvernementale Sin Fronteras.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2735.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, avril 2004.

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