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DIAL 2667

PÉROU - Le rapport de la Commission de la vérité et de la réconciliation

Cristiano Morsolin

mardi 16 septembre 2003, mis en ligne par Dial

Créée par un décret en date du 2 juin 2001 sous la présidence intérimaire de Valentín Paniagua, la Commission de la vérité - devenue ultérieurement Commission de la vérité et de la réconciliation - était composée de 12 membres, dont 7 nommés par le président Paniagua et 5 par l’actuel président Toledo. Elle a commencé le 8 avril 2002 l’auditon des victimes et des témoins de la violence qui a sévi au Pérou de 1980 à 2000 (cf. DIAL D 2574). Le nombre de victimes donné par la Commission s’avère plus élevé que les estimations habituelles. Article de Cristiano Morsolin, ALAI, 1er septembre 2003.


La présentation du rapport de la Commission de la vérité et de la réconciliation a soulevé des passions de toute espèce car plusieurs officiers généraux à la retraite et des hommes politiques en vue, liés à la stratégie antisubversive des différents gouvernements, ont violé systématiquement les droits humains, comme l’a fait également le Sentier lumineux.

Le rapport final de la Commission de la vérité et de la réconciliation qui porte sur les violations des droits humains pendant deux décennies au Pérou a été la principale nouvelle de la fin de la semaine passée [1] dans les différents moyens de communication dans le monde.

Plus de 69 000 Péruviens sont morts ou ont disparu du fait des groupes de guérilleros, des paramilitaires et des forces armées dans la guerre intérieure qu’a connue le pays entre 1980 et 2000. Le président de la Commission de la vérité et de la réconciliation, Salomón Lerner Febres, a eu des paroles très dures : « La liste comprenant les noms de dizaines de milliers de personnes que nous remettons à la nation est démesurément longue », a-t-il dit. Il dénonça ensuite un double scandale : l’assassinat, la disparition et la torture à grande échelle, et l’inertie, l’incapacité et l’indifférence de ceux qui pouvaient empêcher cette catastrophe humanitaire et ne l’ont pas fait. Il a rendu le Sentier lumineux responsable du conflit et a accusé les forces armées et la police de crimes de lèse-humanité.

Trois victimes sur quatre ont été des paysans et des paysannes dont la langue maternelle était le quechua. Il a déclaré qu’on a trouvé de nombreuses preuves indiquant qui sont les responsables de crimes graves. Elles seront remises aux institutions compétentes pour que la loi soit appliquée.

Dans le rapport, on a rassemblé les actions entreprises par les gouvernements qui ont vu le développement de la violence : celui de Fernando Belaunde (1980-1985), de Alan García (1985-1990), et celui du fugitif Fujimori (1990-2000), sans manquer d’indiquer les responsabilités de chacun à chaque période.

La Commission propose une série de recommandations afin de satisfaire l’objectif de réconciliation du pays avec le passé. Le président Alexandro Toledo a déclaré : « Nous ne pouvons pas ouvrir les portes de l’avenir sans ouvrir celles du passé, sans vengeance et sans impunité. » Il a parié en faveur d’une justice sans pressions ni interférences afin que soient jugés tous les responsables.

La publication du rapport a provoqué diverses réactions, tant de la société civile que des représentants des « pouvoirs durs », qui depuis plusieurs mois ont mené une campagne d’opposition à la Commission de la vérité et de la réconciliation. Il est explicable que le travail de la Commission engendre des passions de toute espèce étant donné que de nombreux officiers généraux à la retraite et des hommes politiques en vue, liés à la stratégie antisubversive des différents gouvernements, ont violé systématiquement les droits humains comme l’a fait le mouvement terroriste du Sentier lumineux.

Le père Gustavo Gutiérrez, promoteur de la théologie de la libération, a souligné le professionnalisme des membres de la Commission de la vérité. « Ces personnes sont des personnalités reconnues à l’intérieur comme à l’extérieur du Pérou pour leur crédibilité morale et intellectuelle, et quand elles parlent des atrocités, elles se réfèrent à des réalités qui ont existé et qu’on ne peut pas occulter plus longtemps. » Le religieux a affirmé que « les inquiétudes sont compréhensibles, mais qu’il faut éviter que les institutions se solidarisent d’avance avec ceux qui, d’entre leurs membres, ont violé la loi et les droits humains ».

Miguel Jugo, président de APRODEH (Association pour les droits humains), a exprimé son soutien et son appui total aux conclusions finales de la Commission de la vérité. Il a salué l’engagement du président de travailler en faveur de la justice, la réparation et le renforcement des droits humains. Il a affirmé qu’il partageait le point de vue des membres de la Commission de la vérité et de la réconciliation sur la responsabilité politique présumée des gouvernements de Fernando Belaunde et de Alan García dans les événements qui ont porté atteinte aux droits humains dans la décennie 90. Il a souligné que la Commission de la vérité et de la réconciliation permettra de reconnaître les responsabilités pénales d’Alberto Fujimori et de Vladimir Montesinos.

La responsabilité de l’Église

Le comportement de l’Église catholique a également été analysé par la Commission de la vérité et de la réconciliation. Selon le rapport final de la Commission, « l’archevêché de Ayacucho (dont avait la charge l’actuel cardinal Cipriani, membre éminent de l’Opus Dei) n’a pas défendu fermement les droits humains pendant la plus grande partie du conflit armé ». Bien plus, le document en question signale que l’archevêché, « pendant la plus grande partie du conflit armé a mis des obstacles au travail des organisations ecclésiales liées à cette question (la défense des droits humains), en même temps qu’il niait la violation des droits humains ».

Dans une autre partie du texte, il est souligné que l’Église catholique comme institution a traduit son refus de la violence terroriste en appuyant des activités de défense des droits humains, moyennant des organisations comme la Commission épiscopale d’action sociale (CEAS). En ce sens, la commission a salué et a rendu hommage aux prêtres, religieuses, fidèles catholiques et évangéliques qui ont payé de leur vie la défense des droits humains. Cependant elle a déploré que quelques autorités ecclésiastiques n’aient pas réalisé honnêtement leur engagement pastoral.

Le directeur exécutif de la Coordination nationale des droits humains (CNDDHH), Francisco Soberón, a déclaré : « Nous qui avons suivi les faits depuis les années 80, nous avons vu comment Cipriani a soutenu les familles de disparus, tous ceux qui ont souffert des violations des droits humains à Ayacucho. »

Ce rapport de la Commission a également un sens éducatif pour les nouvelles générations, comme le souligne Tania Pariona, membre de la coordination du JENATSO (Mouvement national des jeunes, enfants et adolescents travailleurs organisés) qui a déclaré que « l’enfance et la jeunesse ne sont pas étrangères à la conjoncture ni aux événements qui ont eu lieu antérieurement ; rappelons-nous seulement combien d’enfants, garçons et filles, ont été affectés physiquement et psychologiquement par la violence sociopolitique, ce qui a conduit à la création de la Commission de la vérité et de la réconciliation, précisément pour faire socialement justice et reconnaître les responsables ».

Tania Pariona a ajouté : « Nous pensons que, pendant ce temps, la Commission de la vérité et de la réconciliation a joué un rôle historique non seulement en raison des recherches faites mais aussi pour canaliser les informations et sensibiliser la population à la violation des droits humains. Comme le JENATSO, nous nous unissons à toute la solidarité que la société civile revendique dans ces moments, étant donné que la Commission de la vérité et de la réconciliation a pu mettre en valeur certains points et faire des recommandations pour la réflexion de la société. Nous espérons que le rapport ne sera pas enfermé dans les archives mais qu’il servira comme un moyen pour proposer des alternatives à de nombreuses familles qui vivent encore les conséquences de la problématique en question. »

La solidarité internationale

Diverses organisations internationales ont manifesté leur soutien et leur solidarité avec le travail et le rapport présenté par la Commission. En ce sens il faut mentionner les prises de position de l’archevêque Desmond Tutu, président de la Commission de la vérité d’Afrique du Sud, des Mères de la place de mai et d’un groupe d’ONG italiennes au Pérou : Association de solidarité des pays émergents (ASPEM), Terra Nuova, Mouvement des laïques d’Amérique latine (MLAL), ARCI, Culture et développement au Pérou, Coopération internationale italienne (COOPI), Communauté du Saint Esprit, Groupe de volontaires civils (GVC), qui ont diffusé un document en appui à la société civile et à la Commission de la vérité et de la réconciliation. Mirtha Allende, membre de l’équipe de la Coordination nationale des droits humains (CNDDHH - http://www.dhperu.org) a dit que « ce rapport en appui au travail de la Commission de la vérité et de la réconciliation que promeuvent les ONG italiennes aidera à soutenir ce processus de vérité, justice et réparation par lequel doit passer notre pays pour que les erreurs du passé qui ont causé tant de souffrances aux plus exclus du Pérou ne se répètent pas et que nous puissions remédier à leurs conséquences ».

Des organismes internationaux comme WOLA (Bureau de Washington pour les affaires latino-américaines), Human Right Watch et Amnesty International ont également fait connaître leurs points de vue sur le rapport présenté par la Commission de la vérité et de la réconciliation.

Face au nombre de morts et de disparus pendant les années de violence au Pérou, qui s’élève a plus de 69 000 selon les calculs de la Commission, José Miguel Vivanco, directeur exécutif pour les Amériques de Human Right Watch (http://www.hrw.org) a déclaré que ces chiffres « dépassent les estimations antérieures. Ils manifestent l’entière brutalité de la rébellion au Pérou, ainsi que le niveau des moyens de répression qui furent adoptés pour la contenir. » Pour Vivanco, « la véritable preuve de la volonté du Pérou de se confronter à ses abus passés, réside dans la façon dont le gouvernement gère la question des mises en accusations », assurant que le monde « observera si le procureur général fait l’effort nécessaire pour la recherche et le jugement » des coupables.

De son côté, Amnesty International (http://www.amnesty.org) a indiqué que le rapport de la Commission est un « pas important fait en direction de la vérité et de la justice ». Elle a souligné que les responsables des violations des droits humains doivent être jugés, et que les victimes et leurs familles doivent faire l’objet d’un dédommagement correct. L’organisation internationale avertit que « pour éviter que l’histoire ne se répète, les autorités péruviennes doivent protéger et promouvoir à l’avenir tant les droits économiques, sociaux et culturels que les droits civils et politiques ».

Le Bureau de Washington pour les affaires latino-américaines (WOLA - http://www.wola.org) a qualifié de « grande avancée » la remise du rapport final de la Commission. Kimberly Stanton, directrice adjointe de WOLA, a déclaré : « Le gouvernement des États-Unis doit reconnaître l’effort fait par le gouvernement péruvien pour la recherche de la vérité concernant la période de la violence et lui accorder son soutien politique et symbolique. »


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2667.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : ALAI, 1er septembre 2003.

En cas de reproduction, mentionner la source francaise (Dial) et l’adresse internet de l’article.

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[1Fin août.

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