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DIAL 2531

BRÉSIL - Propositions pour la réflexion. Un document des évêques brésiliens sur les élections 2002

Conférence nationale des évêques brésiliens

vendredi 1er février 2002, mis en ligne par Dial

À l’approche d’échéances électorales décisives pour le pays (élections du président de la République, des gouverneurs des États, des sénateurs, des députés fédéraux et de ceux des États) les évêques brésiliens font un certain nombre de constats sur la situation de leur pays et proposent une série de réflexions dans lesquelles sont pris en compte les défis majeurs que la population brésilienne est invitée à relever. Ce texte, dont le courage et la lucidité ont été soulignés par maints observateurs, est une déclaration émanant du Conseil permanent de la Conférence nationale des évêques brésiliens (CNBB), lors de sa 48ème réunion ordinaire tenue à Brasilia du 27 au 30 novembre 2001.


Introduction

1. Le peuple brésilien devra choisir, en 2002, le président de la République, les gouverneurs des États, les sénateurs, les députés fédéraux et ceux des États.

2. Attentive aux souffrances et aux espoirs du peuple, l’Église catholique du Brésil, selon sa tradition, considère de son devoir d’offrir des critères et des orientations susceptibles d’aider les chrétiens à accomplir leur devoir électoral, de façon consciente et responsable. La politique est une des formes les plus nobles de l’exercice de la charité.

3. La transformation vers une société juste est un processus continu, qui exige de profonds changements culturels et implique la participation de tous. Bien qu’on ne puisse espérer des résultats magiques – en particulier dans la société brésilienne, marquée par l’inégalité sociale – les élections des dirigeants politiques sont des étapes qui peuvent faire avancer ce processus de manière décisive.

4. En 2002, les élections seront de grande importance pour définir le futur proche, où se jouera le sort de tous les Brésiliens et toutes les Brésiliennes. L’Église fait un appel solennel à la conscience des citoyens, pour consolider les bases d’une société véritablement démocratique.

5. Le présent document veut être un instrument de travail, pour que nos diocèses, paroisses, communautés, mouvements et notre pastorale réfléchissent sur la présence et l’action des catholiques en politique. Nous proposons qu’il inspire l’élaboration de tracts ou d’affiches qui prendront en compte les aspects locaux, pour influer sur les élections de 2002.

6. En se prononçant sur les problèmes nationaux à l’occasion des élections, l’Église catholique se situe dans la ligne de l’effort accompli depuis les années 30 pour promouvoir la participation des catholiques dans la vie politique. Elle a donné son appui aux réformes de base au début des années 60, à la défense des droits de l’homme et à un renouveau de la démocratie dans les années 70. Elle a soutenu les amendements à la Constitution de 1988 et l’initiative populaire pour une loi contre la corruption électorale en 1999.

7. Après avoir montré la gravité de la situation nationale et internationale, ce document désigne les points de résistance et d’espérance, rappelle l’enseignement social de l’Église, explicite les grandes options en jeu, et propose des directives pour les communautés ecclésiales.

Situation nationale et internationale : les défis

8. La faim reste le fléau majeur, et elle équivaut à une véritable guerre, plus meurtrière que toutes les autres. En réalité il ne s’agit pas d’un manque de ressources alimentaires. Le monde a la capacité de produire plus que l’ensemble de ses habitants ne peut consommer. Le défaut tragique consiste à ne pas donner à de nombreux hommes l’accès à l’alimentation indispensable.

9. Sur notre planète, le Brésil souffre d’une des plus perverses répartition de la richesse. Selon des sources officielles, il y a au moins 44 millions de pauvres [1]. Dans un pays aussi riche que le nôtre, le scandale est que 11 millions de personnes ont faim tous les jours [2], alors que les privilégiés continuent à consommer de manière ostentatoire.

10. Cette situation de faim perdure également parce que des politiciens pervers l’utilisent pour se maintenir au pouvoir.

11. La soumission du pays au processus de mondialisation néolibérale a aggravé les inégalités et tend à augmenter les exclusions. La solution des problèmes sociaux dépend plus de la répartition de la richesse que de son accroissement.

12. Il y a des personnes, à des postes publics, qui exercent réellement leur mandat pour le bien de tous. Et pourtant nous voyons s’accroître la distance entre la population et la majorité des hommes politiques. Ceux-ci ont beaucoup souffert des scandales qui atteignent leurs principaux leaders. En outre, le Congrès national s’est affaibli en tolérant le régime antidémocratique des “mesures provisoires”.

13. L’annulation du mandat de nombreux politiciens corrompus a suscité des espoirs de rénovation. Mais l’impunité continue à prévaloir et cultive la corruption. Le détournement de fonds publics, le trafic de drogues et les autres formes de crime organisé augmentent la violence et l’insécurité de la population.

14. À ce tableau national préoccupant s’ajoutent des perspectives internationales peu encourageantes, aggravées par les événements du 11 septembre 2001 et leurs répercussions. Le marché financier domine de plus en plus l’économie mondiale au détriment des besoins de la majorité de la population. Dans tous les pays, la concentration des revenus et l’augmentation de l’exclusion créent des “masses perdues”, soumises au chômage, à la faim et à la carence ou à l’indifférence des politiques publiques.

15. Le terrorisme mondial provoque une réaction politico-militaire qui frappe un des pays les plus pauvres du monde et qui entraîne les autres dans un cercle vicieux de répression, qui menace les libertés individuelles et collectives. Pour démontrer sa puissance militaire, on réactive le commerce généralisé des armes, au détriment des investissements sociaux.

16. La puissance mondiale hégémonique fait pression sur notre pays pour qu’il adhère à la Zone de libre échange des Amériques (ZLEA), qui risque d’augmenter la dépendance du Brésil et de toute l’Amérique latine vis-à-vis des intérêts de l’économie des États-Unis.

17. Dans ce nouveau contexte mondial, apparaît la nécessité pour notre pays de définir un projet national propre et d’assumer un rôle de leader dans l’intégration latino-américaine.

Signes de résistance et espérance

18. Avec joie nous voyons s’amorcer, au milieu des signes les plus sombres, le développement de la conscience des droits de l’homme, la soif de participation, surtout de la part des femmes et des jeunes, la lutte contre toute forme de discrimination avec une meilleure acceptation de la différence ethnique et culturelle ; le respect à l’égard de l’éco-système et de la vie.

19. Le développement de la technologie et des capacités de production suscite l’espoir que les anciennes limitations s’effacent dans le champ de la santé, de la communication et d’autres encore. Cependant tous ne bénéficient pas de ces progrès. La majorité qui ne peut y avoir accès connaît le désenchantement et la frustration.

20. Dans la société actuelle, nous découvrons de nouvelles formes d’action et des champs nouveaux, avec de nouveaux acteurs sociaux qui s’affirment comme des citoyens artisans d’un monde nouveau.

21. Citons notamment :

 le peuple qui, dans sa lutte pour survivre, fondée sur la solidarité et le volontariat, invente de nouvelles formes de travail et de nouvelles réponses à ses besoins ;

 la société civile qui prend des initiatives diverses contre la croissance anarchique des dettes intérieure et extérieure ;

 les familles, “source d’espérance pour le futur de l’humanité”, qui s’unissent et s’organisent pour garantir l’éducation des enfants, et qui revendiquent des politiques sociales spécifiques ;

 les mouvements, comme celui du Forum de luttes pour la réforme agraire, qui fait pression pour que la réforme se réalise et pour qu’une réglementation impose une dimension maxima aux propriétés rurales ;

 les conseils municipaux et les groupes de citoyens qui s’organisent pour accompagner et contrôler les activités de leur chambre des députés ;

 la loi n° 9840 contre la corruption électorale, résultat de l’Initiative populaire, qui a obtenu lors des élections de l’an 2000 certains résultats concrets. La justice électorale n’a pas réussi à écarter de l’activité politique des personnes sans scrupules, qui profitent de la misère et de l’ignorance pour se faire élire, mais elle se prépare pour appliquer plus efficacement cette loi lors des élections de 2002 ;

 le ministère public, quand il assume avec fermeté sa mission pour l’amélioration de nos institutions démocratiques, dans le cadre de la Constitution ;

 les moyens de communication qui remplissent un rôle important dans le processus de démocratisation, même s’ils continuent souvent à défendre le système en vigueur, retardant la formation de la conscience critique du peuple ;

 les mouvements de défense de l’environnement qui ont éveillé une nouvelle conscience au sujet de la préservation de la nature, de l’équilibre vital de la planète et de la convivialité entre les hommes ;

 les mouvements sociaux, qui ouvrent de nouveaux espaces pour la solidarité et promeuvent un climat de plus grande tolérance et de respect de la différence.

22. Un grand nombre de ces initiatives sociales ont reçu le soutien et la participation de l’Église en tant qu’institution ou de groupes de chrétiens, motivés par leur foi. Ce n’est pas un hasard si les sondages d’opinion montrent que la société civile a manifesté sa confiance envers l’Église catholique, qui a mission d’être une espérance pour les pauvres.

23. En ce début du nouveau millénaire, alors que la mondialisation, qui engendre l’exclusion, menace l’avenir de l’humanité, nous encourageons des initiatives d’organismes de la société civile, comme celle du Forum social mondial, qui s’est tenu au début de l’année 2001 à Porto Alegre, et qui se renouvellera en 2002. Ancrés sur notre foi chrétienne, et rejetant toute forme de violence, nous voulons participer à cette inspiration créative.

L’enseignement social de l’Église

24. L’enseignement social de l’Église prend sa source dans la foi en la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, vécue intérieurement, interprétée par la tradition théologique et explicitée par le magistère. Nombreuses ont été les admonestations des prophètes et de Jésus lui-même au sujet du souci que tout être humain doit avoir de ses frères, surtout des pauvres et des exclus. Cette vérité est si évidente qu’elle a conduit Paul VI à affirmer avec force : “Entre l’évangélisation et la promotion de l’homme – le développement, la libération – existent des liens de nature anthropologique […] ; des liens de nature théologique […] ; des liens de cet ordre éminemment évangélique qui est l’ordre de la charité : comment pourrait-on annoncer le commandement nouveau sans promouvoir dans la justice et dans la paix le véritable et authentique progrès de l’homme ?” [3]

25. Ainsi, lorsque l’Église catholique se prononce sur la situation sociale, politique et économique, elle le fait en sachant que “de sa mission religieuse découlent des bienfaits, la lumière et la force qui peuvent favoriser l’organisation et le renforcement de la communauté humaine” [4]

26. L’Église assume, de cette manière, sa mission dans le domaine politique, en amenant les consciences chrétiennes à discerner la relation intrinsèque, et donc indissociable, entre la vie et la foi, entre la promotion humaine et la mission religieuse ;

27. Il y a plus de cent ans, l’Église catholique a défini son enseignement social face aux idéologies dominantes, qu’il s’agisse du libéralisme ou du socialisme. Récemment, la prévalence de ce que l’on appelle le néolibéralisme et les nouvelles conditions de production et de répartition des richesses ont conduit le magistère de l’Église à expliciter, de façon claire, sa position tant à l’encontre des déviations du système actuel qu’en faveur des nouvelles formes de solidarité.

28. Le pape Jean-Paul II a marqué son pontificat avec un appel à toute l’Église pour réaliser la mondialisation de la solidarité. Il considère que la mission de service de l’Église, preuve de sa fidélité au Christ, implique la mise en œuvre de toutes les formes de solidarité, car c’est ainsi qu’elle se présente comme “l’Église des pauvres” [5].

29. Dans l’exhortation apostolique Ecclesia in America, 1998, où il parle des péchés sociaux qui crient vers les cieux, le pape Jean-Paul II affirme : “Dans de nombreux pays américains s’impose de plus en plus un système appelé “néolibéralisme” ; lequel, appuyé sur une conception économiciste de l’homme, considère le profit et les lois du marché comme paramètres absolus au détriment de la dignité et du respect de la personne et du peuple. Souvent, ce système s’est transformé en une justification idéologique de certaines attitudes et façons d’agir dans le champ social et politique, qui conduisent à la marginalisation des plus faibles. De fait, les pauvres sont de plus en plus nombreux, victimes de politiques déterminées et de structures souvent injustes [6].”

30. Dans la lettre apostolique Au début du nouveau millénaire, 2001, le pape dit avec la même force : “Notre monde entame le nouveau millénaire, dans les contradictions d’une croissance économique, culturelle et technologique, qui offre à un petit nombre de privilégiés de grandes possibilités, et laisse des millions et des millions de personnes, non seulement en marge du progrès, mais accablés par des conditions de vie très inférieures au minimum qui correspond à la dignité humaine [7].”

31. Tout ce qui vient d’être rappelé sur le magistère de l’Église veut être une source d’inspiration pour les choix que nous aurons à faire, avec la plus grande responsabilité, en cette année d’élections. L’Église ne se dérobe pas à son obligation éthique et évangélique de former les consciences pour que les chrétiens et les personnes de bonne volonté assument, dans la transparence et le sérieux de leur engagement, le devoir de faire le meilleur choix, pas seulement en pensant à eux-mêmes, mais en se référant de manière forte et radicale au bien commun.

À l’horizon des élections de 2002, les grandes options en jeu

32. Le présent document veut être un instrument de travail pour inciter non seulement les catholiques, mais tous les citoyens de notre pays, à assumer pleinement leurs responsabilités sociales.

33. Il ne traite pas seulement ici des élections prochaines, mais il veut ouvrir un espace de dialogue – avant, pendant et après les élections – pour que quelque chose de nouveau puisse effectivement naître de l’action des responsables politiques qui seront élus dans notre pays en 2002.

34. La lutte pour une démocratie réellement représentative doit pousser les partis à assumer, pleinement, leur responsabilité dans le choix de leurs candidats aux élections. Il est inadmissible que plusieurs de ces partis, même parmi ceux qui sont largement représentatifs au niveau national, continuent à présenter, comme candidats, des personnes connues pour leur usage sans scrupules des fonds publics. Certains utilisent les failles de la loi pour se maintenir éligibles même après avoir été condamnés.

35. C’est à partir de l’impératif éthique de la défense de la vie, à chaque étape de son déroulement sur la terre, que l’Église catholique assume des engagements politiques. C’est là le premier critère de jugement par rapport à tout système politique, modèle économique ou solutions techniques. Cet impératif éthique se concrétise, en tout lieu et à tout instant, dans des objectifs politiques. Face à la situation actuelle du Brésil, trois grands objectifs s’imposent en priorité : l’éradication de la faim, le respect effectif des droits de chaque homme, le développement durable, qui garantit la qualité de la vie pour la population, et le respect de l’environnement.

36. Nous recommandons aux partis politiques d’inclure ces trois objectifs dans leurs programmes politiques, pour en faire leur projet social. Pris en compte par les futurs élus de l’exécutif et du législatif, non seulement ils alimenteront la culture de l’espérance, mais encore ils contribueront à une vie collective plus juste, et à l’instauration de la paix par la maîtrise de la violence institutionnelle.

Pour l’éradication de la faim

37. Il faut réaliser d’urgence une juste redistribution des revenus du pays. Il ne suffit pas de produire suffisamment d’aliments, si la population entière ne peut en bénéficier.

38. Il est nécessaire de mettre en œuvre la véritable réforme agraire, promise depuis tant d’années. À côté d’énormes propriétés, souvent improductives, des milliers de familles sans terre réclament quelques hectares pour leur propre survie. La “spéculation sur la terre” ne doit pas l’emporter sur “l’exploitation de la terre par le travail”.

39. S’impose d’urgence une politique agricole articulée avec la réforme agraire, qui privilégiera le petit producteur rural. On favorisera une politique d’encouragement à l’agriculture familiale, par des programmes d’installation durable, de facilités de crédit, d’assistance technique et de répartition des ressources hydrauliques, d’appui et de garantie pour la commercialisation des produits.

40. Les projets bien connus de revenu minimum pour tous méritent une mise en œuvre effective. En les liant à une exigence de fréquentation scolaire, on attaque en même temps le problème de l’analphabétisme. En outre, ces projets offrent de nouvelles chances pour les familles les plus nécessiteuses et réduisent les situations de sous-nutrition et de mortalité infantile, de la même manière que le font les pastorales sociales, surtout celle de l’enfance.

Pour le respect des droits de l’homme de tous

41. Il faut inverser les priorités dans l’emploi des ressources de l’État fédéral, des États et des communes, en traitant d’abord les problèmes les plus urgents de la population brésilienne tels que l’éducation, la santé, le logement et la sécurité. Il convient de donner une nouvelle orientation à la politique économique actuellement tournée vers le service de la dette intérieure et extérieure, au détriment des investissements sociaux. Une telle inversion exige, à son tour, de développer des mécanismes de contrôle, par la population, de l’exécution du budget et des dépenses publiques.

42. Le droit au travail est essentiel pour l’épanouissement de l’homme. La création d’emplois est une priorité. Les partis ne peuvent ignorer la voix du peuple qui demande de nouveaux emplois, par des programmes d’investissements dans les logements sociaux et les réseaux d’assainissement, et des aides aux coopératives et aux groupements de quartier pour ces travaux.

43. On favorisera l’expansion du marché intérieur, en recherchant la satisfaction des besoins élémentaires des gens et le développement d’une épargne interne qui réduira la dépendance du pays par rapport aux capitaux externes spéculatifs. On réclamera un audit de la dette intérieure et extérieure et une révision des accords avec le FMI.

44. Les investissements dans le secteur social doivent favoriser le respect des droits fondamentaux de la personne humaine pour tous les habitants de notre pays. Un traitement injuste est réservé, en fait, aux pauvres et spécialement à la population d’origine indigène ou africaine. Une vraie démocratie exige le dépassement de toutes les formes de discrimination – de classe, de race et de sexe – et également la fin de la violence et de l’impunité.

Pour un développement durable

45. Nous sommes conviés à assumer, attentifs à l’avenir de la planète, un développement durable, c’est-à-dire où l’être humain puisse produire tout ce dont il a besoin sans nuire à la nature, source de vie pour les générations futures.

46. L’Église propose, face à une consommation effrénée, l’apport d’une culture de la simplicité, intrinsèquement liée à la culture de la solidarité. L’économie solidaire, les initiatives du secteur tertiaire, les services rendus gratuitement par les bénévoles, les projets tournés vers le développement des communautés et vers le bien commun peuvent être renforcés, s’ils reçoivent l’encouragement de politiques adaptées.

47. Il est possible de vivre dans la région semi-aride du Brésil. Il ne s’agit pas de combattre la sécheresse, mais surtout d’apprendre à survivre malgré l’irrégularité des précipitations, comme le montre la solution proposée par la campagne pour un million de citernes, que mène, dans la région du Nordeste, la Caritas [8], en liaison avec divers mouvements pastoraux et organisations sociales. Et sans doute faudra-t-il encore d’autres mesures économiques pour garantir la vie des gens dans la région semi-aride.

Orientations pour les communautés ecclésiales

Eléments essentiels

48. Toute l’Église a la responsabilité de former les consciences en vue de la participation aux transformations socio-politiques. L’action concrète dans ce champ revient, avant tout, aux laïcs qui, de manière spéciale, doivent ici exercer leur compétence, comme déjà l’affirmait l’épiscopat latino-américain à Saint-Domingue [9].

49. Pour tous les chrétiens, il est urgent de ne pas dissocier vie et foi, et d’exprimer leur fidélité au Christ dans leur vie quotidienne, dans leurs relations sociales et dans leur participation politique. Le Concile dénonçait comme “une des plus graves erreurs de notre temps” [10] le divorce entre la foi proclamée et la vie quotidienne. Le Concile affirmait encore : “En négligeant ses devoirs temporels, le chrétien néglige ses devoirs envers le prochain et envers Dieu lui-même, et met en péril son salut éternel [11].”

50. Dans la même ligne, le pape Jean-Paul II, dans son exhortation Christi Fideles Laici, affirme : “Pour animer chrétiennement l’ordre temporel, dans le sens du service rendu à la personne et à la société, les fidèles laïcs ne peuvent en aucune façon abdiquer leur participation à la “politique”, c’est-à-dire dans les formes multiples et diverses de l’action économique, sociale, législative, administrative et culturelle, destinée à promouvoir de façon organique et institutionnelle le bien commun. (…) Tous et chacun ont le droit et le devoir de participer à la vie politique, dans la diversité et la complémentarité des modes d’action, des niveaux, des fonctions et des responsabilités. (…) L’opinion très répandue que la politique est nécessairement un lieu de perdition morale, ne justifie pas du tout le scepticisme ni l’absentéisme des chrétiens dans les affaires publiques. Au contraire, le Concile Vatican II a dit de façon significative : “L’Église loue et apprécie le travail de tant de personnes qui se dévouent pour le bien de la nation et prennent sur eux le poids d’une telle responsabilité au service des hommes” [12].

51. Il y a cependant des limites à l’action politique des clercs : “Il est défendu aux clercs d’assumer des charges publiques qui impliquent une participation au pouvoir civil” [13], “(Les clercs) ne doivent pas prendre une part active dans les partis politiques… à moins que, de l’avis de l’autorité ecclésiastique compétente, ce soit nécessaire pour la défense des droits de l’Église ou la promotion du bien commun [14]”. La raison de cette injonction est bien expliquée dans le document de Puebla : “Les pasteurs, puisqu’ils doivent se soucier de l’unité, se dépouilleront de toute idéologie de parti susceptible d’influencer leur jugement et leurs actes. Ils auront ainsi toute liberté pour évangéliser le monde politique comme le Christ l’a fait, et dans la ligne de son Évangile sans esprit de parti ni idéologisation [15].

52. Des sondages d’opinion au cours des années récentes ont montré que la majorité des fidèles catholiques et des citoyens ne désire pas que l’Église intervienne directement dans la politique des partis, en désignant des candidats, mais souhaite qu’elle aide les électeurs, par des informations et des réflexions critiques, à mieux exercer leur choix. On rencontre, cependant, des groupes de catholiques et d’autres chrétiens qui veulent désigner des candidats représentant leur propre confession religieuse. Il importe que le critère du bien commun soit toujours premier par rapport au simple critère de la confessionnalité et que les catholiques prennent en compte les orientations de l’épiscopat dans la conjoncture actuelle.

Orientations pratiques

53. L’Église catholique du Brésil, au moyen des documents de la CNBB et d’initiatives diocésaines, s’efforcera de :

 faire prendre conscience aux citoyens et aux citoyennes qu’ils sont responsables de leur vote, les convaincre qu’il importe de bien voter en choisissant avec soin les candidats sur les différentes listes. Pour ce faire, on pourra utiliser des tracts, des affiches, des programmes radiophoniques ;

 promouvoir des débats et des réflexions sur les programmes et les candidats, afin de mieux évaluer chacun d’entre eux ;

 organiser également des séminaires, des rencontres et d’autres formes d’échanges pour débattre et approfondir les thèmes socio-politiques particuliers à la région ou au lieu concerné, afin d’atteindre plus efficacement un plus grand nombre de personnes ;

 recommander que le choix du candidat se fasse à partir de son programme, de son respect du pluralisme culturel et religieux, de son comportement éthique et de ses qualités (notamment honnêteté, compétence, leadership, transparence, volonté de servir le bien commun, démontrée par son comportement antérieur…), de son engagement pour la justice et pour la cause des exclus [16], en veillant particulièrement à ce que le programme d’action corresponde à ce qui est proposé dans le présent document ;

 créer ou renforcer des comités contre la corruption électorale et pour l’application de la Loi 9840 qui interdit l’achat de votes et l’usage de la machine administrative ;

 favoriser spécialement la participation des femmes à la vie politique, et agir pour qu’elles occupent les places que la loi leur réserve ;

 mettre en valeur les candidats catholiques élus, en les accompagnant dans l’exercice de leur mandat et en cherchant à maintenir des relations de dialogue avec la communauté ecclésiale.

54. L’Église ne désignera pas de candidats ni de partis par le canal de sa hiérarchie, mais, pour réaliser les objectifs et les actions décrits ci-dessus, les fidèles laïcs seront encouragés à promouvoir des groupes “Foi et Politique”, ou toute autre forme d’organisation qui les aidera à jouer un rôle actif dans la conscientisation et la formation politique.

55. L’Église pourra divulguer des informations sur les candidats, en veillant à l’exactitude de ces informations et en restant rigoureusement dans le cadre de la Loi.

56. Pour éviter une dispersion des votes, il est recommandé que, dans le choix des candidats, les électeurs catholiques cherchent à agir en partenariat avec les mouvements populaires, les associations de quartier ou d’autres formes d’expression de la société civile, en évitant tout amalgame entre l’Église et un candidat ou un parti.

57. Il convient d’être vigilants à l’égard des partis qui continuent à désigner comme candidats des personnes manifestement sans scrupules. On conseillera de ne pas soutenir de tels candidats, et même de refuser tout candidat d’un parti qui soutient de tels personnages.

58. Il faut faire spécialement attention aux partis qui incluent dans leurs listes des leaders catholiques dans le seul but de capter des votes. Les votes donnés à de tels candidats contribuent à l’élection de politiciens qui ne méritent pas toujours d’être soutenus.

Calendrier minimum

59. Nous suggérons qu’au cours de l’année 2002, jusqu’en octobre, les diocèses, les équipes pastorales, les mouvements et les groupes “Foi et Politique” étudient le présent document et mettent en œuvre :

 une large diffusion de ce document, afin de conscientiser l’opinion publique, par des débats, des rencontres, des articles, des études, tant dans les communautés et les groupements que dans les médias (radios, journaux, TV…) ;

 une réflexion critique, en réunissant les candidats à des fonctions électives, des membres des mouvements sociaux et des partis, des étudiants et des intellectuels, des travailleurs et des représentants syndicaux ;

 la révision et l’interprétation des aspects de ce document et des positions de l’Église, qui, au cours du débat pré-électoral pourront nécessiter une meilleure formulation ou un approfondissement.

60. Étant donné le nombre et la complexité des thèmes, le calendrier ci-dessous est proposé pour les études, les débats et la diffusion, avec l’idée de porter chaque mois l’accent sur un aspect du document :

2001

Décembre : Première diffusion générale du document et élaboration d’un plan d’étude et de diffusion au niveau local.

Remettre le document aux dirigeants des partis, au niveau fédéral et celui des États, en leur demandant d’éviter d’accueillir et de soutenir des candidats poursuivis pour corruption.

2002

Janvier : Étude et diffusion des orientations pour les communautés ecclésiales sur le travail de conscientisation politique.

Février, mars, avril : Étude et diffusion du document en cherchant à préciser le “pourquoi” et le “comment” de l’intervention de l’Église dans le débat électoral. Élaboration des affiches régionales, diocésaines ou communautaires.

Mai à décembre  : Étude et diffusion du document final de la 40ème Assemblée générale de la CNBB (avril 2002) sur les “exigences éthiques et évangéliques de l’élimination de la faim et de la misère”, en parallèle avec la réflexion sur le présent document et les affiches électorales.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2531.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Conférence nationale des évêques brésiliens (CNBB), novembre 2001.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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[1Cf. PNUD 1999 (septembre). Pauvre : celui qui dispose d’un revenu inférieur à 1,08 US$ par jour.

[2Cf. le Panorama social de l’Amérique latine, étude de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPAL), qui désigne le Brésil comme le pays des Amériques où règne la pire répartition des revenus.

[3Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, n° 31.

[4Cf. Gaudium et Spes n° 42.

[5Cf. Laborem Exercens, n° 8.

[6Exhortation post-synodale Ecclesia in America, n° 56.

[7Lettre apostolique Novo Millenium Ineunte, n° 50.

[8Secours catholique.

[9Conférence épiscopale de Saint-Domingue n° 103.

[10Gaudium et Spes, n° 43.

[11Idem.

[12Gaudium et Spes, n° 75 et Christi fideles Laici, n° 42.

[13Code de Droit Canon, canon n° 285, § 3.

[14Code de Droit Canon, canon 287, § 2.

[15Cf. Document de Puebla, n° 526.

[16Cf. Pour un nouvel ordre constitutionnel, n° 29.

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