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DIAL 2589

BRÉSIL - Brève biographie de Lula

Frei Betto

mercredi 16 octobre 2002, par Dial

La victoire de Lula au second tour des élections brésiliennes le dimanche 27 octobre ne fait plus de doute, après qu’il soit arrivé en tête au premier tour avec plus de 46 % des voix. L’arrivée au pouvoir d’un homme de gauche, d’origine très populaire, ancien syndicaliste ayant affronté des situations difficiles au temps de la dictature, créateur du Parti des travailleurs (PT) est un événement d’une grande importance pour le Brésil, mais aussi pour beaucoup de pays d’Amérique latine. Nous donnons ci-dessous un bref récit de quelques événements de la vie de Lula. Texte de Frei Betto, paru dans ALAI-Amlatina, du 7/10/2002.


Luis Inácio Lula da Silva est originaire de Garanhuns (Pernanbouc) où il naquit le 27 octobre 1945 selon ce qui est enregistré sur son certificat de baptême. Selon ses frères aînés, cette date aurait été celle de son baptême alors que celle de sa naissance serait le 6 octobre. De fait, en ce mois d’octobre, il aura un double cadeau : on votera pour qu’il devienne président du Brésil le 6, et le 27 pour qu’il assume la présidence. L’appellation " Lula " fut ajoutée à son nom en 1982 pour des raisons électorales. Avant-dernier de 8 enfants de Eurídice Ferreira de Melo, doña Lindú, et d’Arístides Inácio da Silva, il a passé sa petite enfance sur les 8 hectares de terre où sa famille plantait des haricots, du maïs et du manioc pour sa propre consommation.

Lorsque Lula eut 7 ans, en 1952, la mère et les enfants partirent treize jours en camion depuis le Nordeste jusqu’à São Paulo, se partageant une petite ration de farine, de fromage et de cassonade. Ils allèrent à la rencontre du père qui travaillait comme arrimeur dans le port de Santos.

Élève du groupe scolaire Marcílio Dias, où il fit ses études primaires, Lula contribuait au maigre revenu familial en cirant des chaussures et en vendant des oranges et du tapioca dans le port de Santos. En 1956, la famille déménagea pour la capitale São Paulo. Elle vivait dans Vila Carioca, dans une pièce cuisine à l’arrière d’un bar. À l’âge de 12 ans il prit son premier emploi, comme aide dans une teinturerie. Deux années après, il rentra dans une entreprise de métallurgie et obtint le diplôme de tourneur à Senai. Lula alla pour la première fois au Syndicat des ouvriers de la métallurgie de São Bernardo do Campo e Diadema en 1967, lorsqu’il travaillait dans les industries Villares. En 1969, il fut élu suppléant du directoire du syndicat et, en 1972, membre du directoire exécutif. En 1975, il assumera pour la première fois la présidence du syndicat, élu avec plus de 90 % des votes. Réélu en 1978, il lança les campagnes sur les salaires, introduisant la lutte pour un repositionnement des salaires et pour promouvoir de grandes mobilisations de masse.

La grève de 1979

Février 1979. À Morumbi, Coríntians et Guarany [1] jouèrent pour le chanpionnat de São Paulo. Parmi les gens du peuple, Lula, Devanir Ribeiro, Janjão et Alemão étaient suppoters. La campagne pour les salaires des ouvriers de la métallurgie de São Bernardo do Campo e Diadema commençait. Les revendications portaient sur une augmentation de 34,1 % par rapport à l’indice officiel, pour repositionner les salaires en fonction des pertes subies. En voyant la foule dans le stade, Lula eut une idée : convoquer une assemblée syndicale capable de remplir un stade de football. Le 13 mars 1979 : 80 000 ouvriers de la métallurgie en grève occupaient la pelouse et les gradins du stade de Vila Euclides, à São Bernardo do Campo. Sans micro, Lula prononça son discours, repris par ceux qui l’entendaient, comme des ondes successives créées sur l’eau par le jet d’une pierre.

Deux jours après, alors que 170 000 travailleurs étaient déjà en grève dans tout l’ABC [2], la grève fut considérée illégale. Dans la nuit du 22 mars au 23, tandis que les ouvriers de la métallurgie veillaient dans le syndicat, à Brasilia le ministre du travail, Murilo Macedo, discutait avec le gouverneur de São Paulo, Paulo Maluf. Peu après, les troupes de la police militaire intervinrent contre le syndicat.

La répression du mouvement fut implacable. Avec Vila Euclides fermée, les travailleurs tinrent leurs assemblées dans l’église Matriz de São Bernardo do Campo. Alors qu’il discutait avec les patrons sur la trêve de quarante-cinq jours dans le mouvement, Lula exigea et obtint la réouverture du stade. Le 1er mai de cette année coïncida avec la période de trêve. 150 000 travailleurs participèrent à la manifestation dirigée par Lula dans Vila Euclides, lorsque Vinicius de Moraes chanta « L’ouvrier en bâtiment » et que se répandit la nouvelle que Sérgio Paranhos Fleury, chef de l’Escadron de la mort, était mort de façon étrange, noyé sur la côte de São Paulo. À la fin de la trêve, le 13 mai, un accord raisonnable entre les patrons et le syndicat fut signé, l’intervention suspendue et la grève terminée. Cependant, bien que les revendications salariales aient été réduites, le résultat politique du mouvement conduit par Lula fut significatif. En mobilisant tout son potentiel répressif, le gouvernement révéla aux travailleurs son caractère dictatorial ; la tendance du pouvoir public à se soumettre aux multinationales devint visible, ainsi que celle du ministère du travail par rapport à la FIESP (Fédération et centre des industries de l’État de São Paulo) ; la loi sur la grève resta lettre morte ; le leadership de Lula et de ses compagnons du directoire gagnait en représentativité, car, même après l’intervention de l’État dans le syndicat, ils furent reconnus par le gouvernement et les patrons comme les seuls interlocuteurs légitimes.

La grève de 41 jours

En 1980, Lula conduisit la grève historique de 41 jours. La campagne pour les salaires des ouvriers de la métallurgie de São Bernardo do Campo e Diadema comportait avant tout des revendications concernant des garanties en matière de droit du travail, la réduction de la durée du travail à 40 heures hebdomadaires, le contrôle des chefs par les travailleurs et le droit pour les dirigeants syndicaux d’entrer dans les entreprises à n’importe quel moment. Comme les patrons se montraient intraitables dans les négociations, la grève commença le 1er avril, quand 140 000 ouvriers de la métallurgie se croisèrent les bras. La répression du mouvement fut telle qu’on alla jusqu’à utiliser des hélicoptères de l’armée qui, munis de mitrailleuses, survolaient les assemblées de Vila Euclides. Lula persista en disant que les travailleurs ne se laisseraient pas intimider. Alors qu’ils chantaient l’hymne national, tous brandissaient des drapeaux du Brésil distribués par le syndicat. Le 17 avril, le ministre du travail, Murilo Macedo, décida la seconde intervention dans le syndicat présidé par Lula, interdisant les dirigeants, mais sans obtenir qu’ils se séparent de la direction du mouvement. Le 19, à 6 heures du matin, Lula fut appréhendé dans sa maison par le DOPS (Département d’ordre public et social), au cours d’une opération coordonnée par le gouvernement de Paulo Maluf, et qui impliquait de la prison pour de très nombreux dirigeants syndicaux dans tout l’ABC, y compris des syndicalistes et des juristes de São Paulo. Le 1er mai, Lula eut la joie de savoir, en prison, que 120 000 personnes s’étaient réunies dans une manifestation à São Bernardo do Campo. Quelques jours après, grâce à une permission spéciale, il eut la tristesse d’assister, escorté, à la messe de funérailles de sa mère. Pour faire pression afin que les patrons reprennent les négociations, Lula et ses compagnons de prison firent une grève de la faim pendant 6 jours.

Le 20 mai 1980, Lula obtint sa révocation de la prison préventive. Libéré, la première chose qu’il fit en arrivant à la maison fut de faire sortir les oiseaux de la cage... Jugé par la justice militaire en novembre 1981, il eut une peine de six ans et six mois de prison. Ultérieurement, le Tribunal supérieur militaire annula le procès. La grève se terminal le 11 mai, et le résultat en fut un grand progrès politique dans l’organisation et dans la conscience de classe des ouvriers de la métallurgie de l’ABC.

Le Parti des travailleurs

La proposition de créer le Parti des travailleurs est apparue le jour même de la naissance de Sandro, le fils de Lula : le 15 juillet 1978. Dans l’hôtel Bahía, à Salvador, où il participait à un congrès des ouvriers du pétrole, Lula déclara à la presse que l’heure était venue pour la classe ouvrière de créer son propre parti politique. Lula découvrit que la question syndicale est aussi une question politique. Sur la scène politique nationale, tous les partis prétendaient être la voix du peuple, alors que le peuple lui-même ne savait pas comment faire entendre sa voix. En janvier 1980, plus de quatre-vingts députés se réunirent à l’hôtel Pampas Palace, à São Bernardo do Campo pour débattre du projet du PT. Ils n’ont pas voulu faire partie de façon permanente d’un parti de classe, discipliné, pratiquant la démocratie interne et doté d’un programme clairement socialiste.

Lula parcourut le Brésil pour convaincre la classe ouvrière qu’il était inutile d’attendre qu’un Congrès national, rempli de patrons, fasse des lois favorables aux salariés. La première réunion historique du Parti des travailleurs eut lieu en janvier 1980, paradoxalement dans un ancien fief de la bourgeoisie de São Paulo, le collège Sion. Des intellectuels comme Antonio Candido, Mário Predosa et Sérgio Buarque de Hollanda adhérèrent ultérieurement au projet du nouveau parti. En 1982, le parti des travailleurs, qui réunissait déjà 400 000 militants dans tout le Brésil, promut Lula comme candidat pour le poste de gouverneur de São Paulo.

Malgré l’absence de ressources pour mener la campagne et les préjugés de classe de l’électorat, Lula obtint 1 200 000 voix. En 1986, il fut élu à l’Assemblée nationale constituante avec 652 000 voix, le score le plus élevé obtenu par un député fédéral dans cette élection. Sur les 572 « municipe » de São Paulo, il eut des voix dans 568 d’entre eux, surtout dans les régions industrielles. Dans l’Assemblée constituante, son action en faveur des intérêts des travailleurs fut considérée comme exemplaire par la presse spécialisée. Président du parti, réélu depuis sa fondation en 1980, Lula abandonna ce poste en 1987, renforçant ainsi le principe de rotation dans la direction du parti. Depuis lors, il devint président honoraire du PT. Et il aida à fonder la CUT (Centrale unique des travailleurs), la CMP (Centrale des mouvements populaires) et l’Institut de la citoyenneté, dont il est président. Maintenant, il se prépare à être président du Brésil, et à accéder au poste le 1er janvier 2003.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2589.
 Traduction Dial.
 Source (portugais) : ALAI-Amlatina, du 7/10/2002.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Deux équipes de football.

[2Grande banlieue industrialisée de São Paulo.

Messages

  • Lula fut et demeure un Président digne, une école et un maître éducateur en développement.

    Les chefs d’Etat africains doivent aller à son école.

    C’est un grand homme. J’espère que la classe politique béninoise a appris quelque chose de lui lors de son bref séjour à Cotonou.

    Je souhaite que sa fondation anime une fois l’an une rencontre internationale sur le thème "comment gouverner dans l’intérêt de son peuple’’

  • Passionnant le destin d’un homme qui ne s’est pas résigné en face de difficultés d’où qu’elles viennent.

    La nature de l’homme ce n’est pas les réussites sociales qui ont découlé de ses victoires personnelles et collectives qui la façonne mais son engagement à oser poser un pas là où d’aucuns pensent que c’est l’apanage des érudits : il a été un démiurge né des milieux défavorisés mais une force qui a apporté au Brésil profond et superficiel l’âme qui le manquait en face des grandes nations devant lesquelles il n’avait rien d’inférieur sinon que l’Homme-Levier qui lui manquait.

  • Lula est un véritable docteur en développement !

  • Bonjour,
    J’aimerais obtenir un livre sur la vie du Président Luiz Inàcio Lula da Silva.
    Est-ce possible ?
    Merci.
    Cordialement.
    Michel BRISSAY.

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