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DIAL 2966

ARGENTINE - Réclusion à perpétuité pour l’aumônier Von Wernich

Carlos Iaquinandi

jeudi 1er novembre 2007, par Dial

C’est la première fois que la justice argentine condamne un membre de l’église catholique pour son implication dans la répression durant la dictature (1976-1983). Cet article de Carlos Iaquinandi, membre de la rédaction du Service de presse alternative (SERPAL), publié par Adital le 10 octobre 2007, rapporte le verdict du tribunal et décrit les réactions et prises de positions qu’il a engendré.


Le procès oral a duré trois mois, pendant lesquels des centaines de personnes rassemblées à l’extérieur du tribunal situé dans la ville de La Plata, la capitale de la province de Buenos Aires, attendaient le verdict avec impatience. Le visage de l’aumônier militaire Christian Von Wernich restait impassible, tout comme lorsqu’il avait dû écouter les témoignages dramatiques de victimes de la répression qui l’accusaient d’avoir été présent pendant les tortures et d’être intervenu pour encourager les détenus à « parler » pour que cesse le martyre.

La défense avait plaidé en faveur de son acquittement, sous prétexte que le prêtre avait rempli sa « mission pastorale ». Les plaignants, le ministère public et les organisations de défense des droits humains avaient réclamé la peine maximale. Finalement, le Tribunal oral fédéral numéro 1 de La Plata a condamné Von Wernich à la réclusion à perpétuité pour sa participation aux actes de répression entre 1976 et 1983 pendant la dictature argentine. Il est reconnu coupable d’avoir participé à au moins sept homicides, à 42 privations illégitimes de liberté aggravées et à 32 cas de tortures. Les mères des disparus, les parents et amis des victimes de la répression, submergés par l’émotion du moment, n’ont pu retenir leurs larmes.

Le prêtre, qui avait été un collaborateur actif des tortionnaires pendant la dictature, s’était caché au Chili en 1996, où il continuait à célébrer la messe dans un village de la région de Valparaiso sous le nom de Christian González. C’est de là qu’il avait été ramené en 2003 pour répondre aux chefs d’accusation qui s’étaient accumulés contre lui.

La procédure judiciaire a abouti à ce jugement oral qui a déterminé la responsabilité de Von Wernich dans des délits très graves à l’encontre de dizaines de personnes qui avaient été auparavant emprisonnées et « portées disparues » par les forces de la répression.

Des témoins ont également évoqué le « péage » pervers imposé par le prêtre à certains membres des familles des victimes qui étaient venus lui demander des nouvelles de leurs époux, fils ou frères disparus. L’aumônier militaire demandait des sommes d’argent pour couvrir les frais de prétendus voyages à l’extérieur de la section des « détenus », comme il les appelait, admettant tacitement leurs conditions d’emprisonnement.

Certains médias ont souligné qu’il s’agissait du premier membre de l’Église à être condamné pour complicité pendant la répression. C’est vrai. C’est pourquoi il est important de rappeler qu’il est le premier, mais pas le seul ni le plus haut placé dans la hiérarchie.

Le communiqué émis par l’Épiscopat expédie en vingt lignes ce cas gravissime, avec l’habileté particulière dont font preuve les dignitaires ecclésiastiques dans ces occasions, et cultive l’ambiguïté avec des phrases en faveur de la réconciliation, donnant l’impression que Von Wernich n’a rien à voir avec l’Église et qu’eux restent toujours « partisans du bien ». De fait, le communiqué ne fait même pas mention du nom de l’aumônier militaire. L’Épiscopat n’est-il pas au courant non plus de la « mobilité géographique » qui a permis à Von Wernich d’aller officier comme prêtre dans le village chilien d’El Quisco lorsqu’il essayait d’échapper à la justice ?

La même chose s’est produite avec son supérieur direct, l’évêque de Nueve de Julio, qui n’a apparemment pas encore pris de décision sur Von Wernich. « En temps voulu, nous devrons statuer sur la situation, conformément aux dispositions du droit canonique », a-t-il déclaré à propos du prêtre condamné. Il sera intéressant de connaître la date et la teneur de la résolution prise sur la « brebis égarée ».

De nombreux croyants continuent à attendre une attitude de réforme profonde des autorités de l’Église catholique argentine. L’un des membres du Tribunal oral fédéral de La Plata, Norberto Lorenzo, a qualifié la sentence de « précédent important », parce que pour la première fois un membre de l’Église catholique était jugé. Il a ajouté, à titre personnel, qu’il estimait que « l’Église devait faire une autocritique, sérieuse, profonde et réaliste, face à la société, sur la façon dont elle avait agi pendant la dictature ».

L’analyste Washington Uranga, dans une note publiée dans le journal argentin Página 12, affirme que la condamnation de Von Wernich « ne peut pas vraiment être lue comme une sanction de la société contre un ministre religieux, puisqu’elle prétend que l’ancien aumônier de la police de Buenos Aires a agi de façon complètement isolée et à l’insu de ses supérieurs ecclésiastiques ». Il ajoute qu’« il ne serait pas juste d’englober dans la sentence toute l’institution ecclésiastique qui compte également en son sein certaines des victimes de la répression du curé, de la police et des militaires ». Dans la suite de cette même chronique, le journaliste s’exprime en ces termes : « Loin de remplir la mission religieuse qui lui avait été confiée en tant qu’aumônier, Von Wernich a agi comme membre à part entière des forces de répression commandées par le général Ramón Camps. La condamnation du prêtre Von Wernich pour génocide constitue probablement la tâche la plus grave de toute l’histoire de l’Église catholique argentine. Mais elle ne servira pas à grand chose si les responsables ecclésiastiques ne la considèrent pas comme une leçon pour l’institution ».

Pour finir rappelons les propos du sociologue Fortunato Mallimacci, cités par l’agence Ecupress, au sujet de la plaidoirie finale de l’accusé : « Le prêtre Von Wernich prit finalement la parole. L’Église catholique prit finalement la parole. Confiant, assuré, arrogant, hautain, il regarda le tribunal, regarda la caméra et demanda dix minutes. Puis il regarda fixement le crucifix qui dominait la salle (jusqu’à quand le tribunal de justice restera-t-il un lieu sacré ?) et prit la parole, explicitement, en sa qualité de prêtre catholique. » Il ajoute ensuite : « Ce n’était pas quelqu’un qui se posait des questions sur son passé ou qui mettait ses actions en doute. Bien au contraire, sûr de lui, il réaffirmait à voix haute, gestes à l’appui, qu’il avait fait ce qu’il devait faire. Dieu et l’Église le lui avaient demandé et ordonné. Lui ne faisait qu’obéir. […] Et pour que ne subsiste aucun doute sur le fait que c’était un prêtre et, par son intermédiaire, l’Église catholique, qui parlait, il utilisa tous les symboles catholiques disponibles. Jésus-Christ, la Bible, Dieu, la Vierge Marie, le Démon, le péché, la confession, les sacrements et les 2 000 ans d’histoire de l’Église dont il faisait partie, nous dit-il, nous rappela-t-il et nous menaça-t-il, l’accompagnaient à cette époque. »

Dans la salle du procès oral, l’audience a écouté les paroles hypocrites de Von Wernich. Mais elle a aussi écouté les témoignages courageux et émouvants de ceux qui ont été victimes de la terreur orchestrée par les organes de répression et leurs collaborateurs civils. Elle a également écouté le discours du prêtre Rubén Capitanio, témoin pendant le procès, qui a affirmé : « L’Église n’a pas tué, mais elle n’a pas sauvé. Nous aurions dû être aux côtés des crucifiés, et moins proches des crucificateurs. » Mais la phrase reste en deçà de la réalité. Notre mémoire se souviendra toujours que certains n’ont pas seulement été proches des crucificateurs, mais ont, à leurs côtés, dissimulé, menti, nié et toléré. Ils se sont faits complices dans leur intention d’absoudre par leur présence et par leur parole ceux qui ont séquestré, torturé et assassiné. La condamnation de Von Wernich est une étape importante, essentielle. Mais il reste un long chemin devant nous. Et ce chemin, nous devons le parcourir.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2966.
 Traduction de Cécile Rousseau pour Dial.
 Source (espagnol) : Adital, 10 octobre 2007.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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