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HAÏTI - Regard panoramique sur la conjoncture sociopolitique et économique de l’année 2007

Marc-Arthur Fils-Aimé

lundi 25 février 2008, mis en ligne par Marc-Arthur Fils-Aimé

Haïti semble entrer pour de bon dans le cadre du processus de la démocratie représentative. Avec les dernières élections de l’année 2006 qui ont réorganisé le paysage politique national, le pays s’installe peu à peu dans l’ordre occidental avec des élections périodiques, même si elles coûtent très chères et enfoncent davantage tout l’appareil responsable dans une dépendance déjà institutionnalisée et qui tend à devenir structurelle. Cette évolution, malgré son caractère stabilisateur, ne met pas fin pour autant à la faiblesse étatique.

Dans cette optique, et vu en dehors du pouvoir, on peut affirmer que les premiers mois de l’année 2007 se sont déroulés dans une atmosphère politique relativement calme. D’un côté, on dirait que la population s’est accommodée de la navigation à vue du gouvernement, de toutes ses gabegies administratives, de sa politique néolibérale et de toutes les conséquences de cette politique qui, entre autres choses perverses, a aggravé la pauvreté de la grande majorité des Haïtiennes et des Haïtiens. En guise de résistance, les petites bourses notamment, se sont contentées de se plaindre et souvent d’appeler la miséricorde du président et de son premier ministre, qui leur ont répondu par des gestes ponctuels sans lendemain, faits de distribution de cadeaux et de nourriture. Les députés, les sénateurs et les maires qui ont été sollicités pour exécuter ces manœuvres caritatives en ont profité – pour la plupart d’entre eux – pour arrondir leur salaire et augmenter leur capital politique en encourageant le clientélisme. Cette accalmie ne perdurera pas durant tout le règne quinquennal du président Préval.

De l’autre côté, l’élimination de certains gangs aguerris est due à des interventions musclées de la police haïtienne avec le support logistique des forces d’occupation, des interventions dont la grande majorité des victimes se recrutaient parmi des riverains innocents. Les quartiers qui étaient considérés comme des quartiers de non-droit, ont recouvré une certaine normalisation. La capitale et les autres villes de province vivent encore sous des assauts répétés des bandits, mais avec une ampleur moindre. De plus, l’intensification de la misère et la présence des trafiquants de drogue tapis dans toutes les sphères du pouvoir d’État, se révèlent des terreaux propices à ces genres d’activités, sans oublier les manipulations des politiciens impopulaires et avides du pouvoir. Ce n’est pas étonnant que les mois de novembre et de décembre, aient subi une remontée en hausse de l’insécurité à travers des actes de kidnapping exécutés parfois de façon spectaculaire en plein jour, au vu et au su de beaucoup de gens.

Le creuset de la crise d’après le président de la République.

Le chef de l’État a repris le discours de ladite classe traditionnelle pour diagnostiquer cette crise et donner une explication magique à ce mal qui affecte la configuration sociale, politique, économique et environnementale du pays : c’est la Constitution plébiscitée le dimanche 29 mars 1987 par une grande majorité de la population.

En effet, lors d’une visite officielle du président Préval à Washington, il a déclaré que la Constitution actuellement en vigueur alimente la principale source des problèmes qui bouleversent la nation.

Haïti, pourtant, est un pays enfoncé dans une crise qui date des premiers jours de son indépendance, le premier janvier 1804. Il n’y a aucune tranche de son histoire qui en soit totalement affranchie. Aujourd’hui encore, ce même vocable domine la conjoncture. D’après la grande majorité des partis politiques de la droite classique et de la social-démocratie, la Constitution a épuisé son rôle historique. Le président René Préval a surenchéri en déclarant que les macoutes n’existent plus et que la Loi-mère prévoit trop d’élections qui coûtent excessivement chères dans un pays économiquement exsangue. Elle a écorné le pouvoir du Président de la République en lui ôtant l’autorité de procéder à la révocation du premier ministre.

Cette fracassante déclaration appelle une considération spéciale du fait que la Charte fondamentale a été retenue comme le creuset de cette crise qui ronge toutes les facettes de la vie sociopolitique et économique du pays. Deux méthodes nous sont offertes pour l’appréhender. L’une métaphysique, exclusivement basée sur une connaissance sensible des évènements et l’autre matérialiste et dialectique, confrontant la connaissance sensible et la connaissance rationnelle des évènements qui, dans la réalité, sont strictement liées. Notre analyse se veut matérialiste et dialectique.

Les manifestations visibles de la crise.

L’apparente atmosphère politique normale et apaisante se développe dans une sous-crise à l’intérieur de la grande crise structurelle qui handicape le développement du pays. Nous considérons ce moment comme une sous-crise du fait de son caractère conjoncturel, sans nier son imbrication dans la crise structurelle dont les racines sont plongées dans la formation sociale existante. Parmi les principaux éléments constitutifs de cette sous-crise, qui se présentent sous forme de bulles de savon qui gonflent, crèvent et se relayent, selon la nécessité du moment, nous énumérons :

 Ladite perte de légitimité et de confiance du Conseil Électoral Provisoire habituellement appelé CEP. Celui-ci qui a géré les élections des élus actuels, a été renvoyé au cours de l’automne dernier. Les secteurs sociopolitiques, économiques et religieux qui, lors du choix des membres de ce Conseil, sous le gouvernement de transition dirigé par le duo Boniface Alexandre et Gérard Latortue, avaient reconnu en chacun de ses mandataires des gens compétents, honnêtes et sérieux, n’ont pas daigné lever la moindre protestation pour les défendre de tous les vices dont ils sont accablés. Au contraire avec le même opportunisme, à peu près les mêmes secteurs se sont arrangés pour offrir en sacrifice d’autres citoyennes et citoyens qui se sont eux aussi enfermés, au nom d’un prétendu intérêt majeur de la Patrie, dans leur myopie politique et idéologique.

 Le renouvellement, du tiers du Sénat qui devait être effectif à la nouvelle entrée parlementaire le deuxième lundi de janvier prochain et la réalisation des élections indirectes, qui est un impératif constitutionnel sont ajournés sine die. Ces indirectes doivent mener à la formation des assemblées municipales et départementales qui représentent les principaux espaces de participation politique de la paysannerie. Le président de la République a usé de l’échéance des élections du tiers du Sénat arrivée à terme pour faire crever son malaise.

 Le conflit d’autorité ou la guerre de chapelle entre les autorités judiciaires et policières ou entre les membres des deux chambres et le pouvoir exécutif ou le pouvoir judiciaire.

 La cherté de la vie qui, dans la logique néolibérale, a atteint un niveau indomptable. Cependant, la faute n’incombe nullement au gouvernement parce que tout gouvernement moderne qui se respecte doit laisser le marché se réguler par lui-même. Ainsi, les principaux responsables ont-ils clamé leur innocence dans cette descente aux enfers des masses populaires qui ne savent pas à quel saint se vouer pour joindre les deux bouts. Nous sommes soumis à un étonnant paradoxe. Alors que le prix de toutes les marchandises flambe sans cesse malgré le jeu de yoyo du coût de baril de pétrole et de la relative stabilité de la gourde haïtienne indexée au dollar américain, les économistes au service du statut quo, n’arrêtent pas de féliciter le gouvernement pour avoir jugulé l’inflation et l’avoir maintenue à un chiffre. Les produits de première nécessité ont connu une augmentation de 150% à la fin de 2007. Malgré cette hausse inconsidérée, le salaire minimum n’a pas varié. Il en résulte une réduction du pouvoir d’achat de la population qui soupire de désespoir. Ces intellectuels du statut quo ont expliqué qu’il ne faut pas confondre la macro-économie et la micro-économie. Ces savants mécaniciens ont trouvé la formule pour isoler l’une de l’autre, deux catégories d’une même matrice politique, qui se chevauchent en permanence.

Une approche rationnelle de la crise.

En analysant le discours de cette classe politique traditionnelle, on dirait que toutes les crises et les sous-crises sont indépendantes les unes des autres. Elles ne résulteraient que d’une addition de problèmes de natures diverses sans aucune relation dialectique et entre elles et avec cette formation sociale issue de la façon dont les héros de la guerre de l’indépendance ont scellé leur victoire.

Les obstacles que renferme réellement la Constitution conçue au grand bénéfice des actuelles classes dominantes, ne résident pas dans les articles évoqués par M. Préval et les partis politiques courants. Par exemple, s’agissant du nombre élevé d’élections et de leur coût pharamineux, l’essence du problème ne réside pas là où le président le suppose, mais dans la nature de toutes élections à caractère bourgeois. N’existe-t-il pas des méthodes électorales où les candidates et les candidats peuvent obtenir le vote du peuple sans avoir besoin de prostituer leur conviction selon les intérêts de leurs commanditaires ?

Les politiciens, qu’ils détiennent les rênes du pouvoir ou qu’ils se portent dans l’opposition, se sont toujours tus sur les écueils qui nuisent à la promotion de la grande majorité, à son intégration au pouvoir public et à sa participation à ce pouvoir. Ils n’ont jamais dénoncé les articles qui exigent de tout éventuel candidat un titre de propriété, ou d’autres prescriptions qui excluent la majorité de la population du droit de gérer à tous les niveaux, la chose publique. L’article 135 qui donne les conditions pour être élu président, stipule dans son alinéa « d » par exemple que le candidat doit : « être propriétaire en Haïti d’un immeuble au moins et avoir dans le Pays une résidence habituelle ». Quid de la capacité des mandants de procéder à la révocation de ses mandataires quand ces derniers ne respectent pas leur promesse ou commettent des crimes passibles de peine afflictive et infamante ? Une nouvelle prescription à intégrer sans aucun doute dans la future Constitution populaire.

Le chef de l’État et les politiciens en course permanente pour le pouvoir n’ont jamais critiqué l’idolâtrie de la propriété privée instituée dans l’article 36 de la Constitution, qui empêche les paysans d’occuper les terres en jachère perpétuelle, ou appartenant à des propriétaires qui habitent en ville ou à l’étranger et qui se contentent d’extorquer les cultivatrices et les cultivateurs par des contrats illégaux et illégitimes.

Cette révérence excessive envers la propriété privée limite toute intervention de l’État en faveur d’une réforme agraire profonde et intégrale afin de lancer ou de relancer la production nationale. L’enclenchement d’un processus de développement durable axé sur la souveraineté alimentaire se veut le point de départ de tout dénouement à la crise. Cette mission est condamnée d’avance sans une rupture radicale des liens de tutelle avec quiconque.

Pourquoi s’obstiner à importer trois cent quarante mille tonnes de riz sur les quatre cent mille consommées sur tout le territoire national alors que nos rizières n’ont rien perdu de leur capacité de naguère ? Est-ce un nouveau déterminisme d’acheter de la République Dominicaine trente millions d’œufs sur les trente-un millions mangés mensuellement dans le pays ? Rien de plus que le sacro-saint du principe « avantage comparatif » et des autres émanations du néolibéralisme qui nous sont imposés de l’extérieur mais surtout que les classes dominantes et dirigeantes actives sur la scène nationale, ont sacralisés comme des mesures incontournables dans la logique de la mondialisation ce, pour cacher leur soumission et leur manque de volonté de solutions alternatives.

Les conséquences des remèdes des institutions de Bretton Woods

Au tréfonds de cette crise structurelle déjà complexe, s’est ajoutée la politique néolibérale du gouvernement. Cette composante de la globalisation est en train de détruire tous les pans de la vie nationale. Le gouvernement avec son alignement sur les exigences des institutions de Bretton Woods, se désengage du bien-être social du peuple, même de celui qui concerne les jeunes et les personnes avancées en âge. Une telle politique fournit son lot de malheur quotidien.

On reproche aux petits paysans de détruire l’environnement en coupant de façon inconsidérée les arbres pour fabriquer du charbon. On omet de souligner l’inconsistance du gouvernement et celle des précédents dépourvus d’un plan pour encourager des sources énergétiques alternatives et pour contrôler le prix du gaz propane qui se trouve à la merci des maisons importatrices. On incrimine ces rudes travailleuses et travailleurs d’avoir abandonné leur jardin et la culture pour assiéger les villes et y multiplier les bidonvilles. Ce qui conduit, d’après une telle considération, à la diminution de la production nationale et par conséquent, au dérapage des coûts des vivres alimentaires pour la consommation nationale de base. La classe des paysans sans terre ou propriétaires d’« un mouchoir de terre » comme nous le disons très bien est prise comme le bouc émissaire de la grande pauvreté nationale. On élude le véritable problème qui réside dans la tenure de la terre. L’État, les églises notamment l’église catholique et les grands dons, en général, absentéistes, détiennent la presque totalité des terres fertiles.

L’on déplore beaucoup le phénomène de bidonvilisation de la capitale et des principales villes de province. On se réserve souvent cependant de rappeler que le prix des terrains, des matériaux de construction et des loyers en dollars américains ou indexés sur ces derniers, oblige les petits et moyens fonctionnaires et cadres à s’agglutiner dans des bidonvilles en ciment. Ils se mettent ensemble pour louer une maison plus ou moins décente, avec comme conséquence, la promiscuité, le commérage et toutes sortes de dépersonnalisation allant jusqu’à la séparation des couples. Des maisons se louent en dollars américains, et certains propriétaires ne s’embarrassent pas de refuser aux locataires haïtiens, même ceux qui ont la capacité de payer, leur maison réservée aux Blancs. Entendons par là les gens de la MINUSTAH et les employés (es) des organismes internationaux. Ils sont nombreux, celles et ceux qui sont persuadés que ces catégories sociales portent effectivement toute la responsabilité de la hausse vertigineuse des loyers. Pourtant, cette hausse correspond bien à l’indifférence ou du moins à l’absence de politique du gouvernement dans le cadre de l’autorégulation du marché.

Les remèdes indigestibles du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et de l’Organisation mondiale du commerce se conjuguent à l’aveuglement de nos classes dirigeantes et dominantes pour empirer la situation générale des masses populaires et une fraction de plus en plus importante de la petite bourgeoisie. L’augmentation du prix des produits pétroliers sur le marché international, malgré l’accord Pétro-Caribe avec le Venezuela et l’envahissement des produits de consommation importés au détriment des cultivatrices et des cultivateurs locaux influent très négativement sur le marché national. Cette invasion de marchandises parfois de mauvaise qualité au détriment de toute garantie de la production nationale, est fortement encouragée par les approches tarifaires des autorités monétaires qui sont les plus basses de toute la Caraïbe. Les taxes perdues à cause de la libéralisation douanière sont malheureusement récupérées sur la moindre activité des petites bourses. Les petits paysans aujourd’hui paient l’impôt locatif sur leur petite maison de campagne en chaume, un impôt dont ils ont été soustraits même sous la dictature des Duvalier alors que plus on est riche, moins on paie de taxes et d’impôts, ceci depuis toujours de façon légale et de façon irrégulière.

L’intensification du chômage devient plus aiguë pendant que des employés du service public ont été licenciés au profit de la politique de privatisation des entreprises publiques. La population active augmente alors que la création d’emplois ne suit pas la même croissance. Au contraire, la classe ouvrière a diminué comme une peau de chagrin. Dans les années 80, on l’avait calculée à soixante mille dans le secteur industriel. Elle est passée aujourd’hui à peu près à trente mille malgré la propagande insidieuse au niveau international de la disposition en Haïti d’une main abondante à bon marché. « Pour les États qui se dévalorisent eux-mêmes dans l’espoir de survivre sur le marché mondial, le problème est que cette stratégie n’est valable qu’à la condition que le nombre d’États dans cette situation soit et reste très limité. Dès lors que ces États sont plus nombreux, ils courent le risque de voir la mobilité descendante qu’ils pratiquent de façon ciblée et donc limitée se transformer en une politique de « chute libre ». Plus il y a de pays à bas salaires qui se retrouvent obligés de liquider leurs idéaux humanitaires pour assurer leur survie sur le marché mondial, plus ils s’engagent dans une course à la sous-enchère, et le profit que ces États retirent de leurs avantages relatifs se retournent contre eux »

Cette aberration, issue d’une des contradictions inhérentes au système capitaliste qui s’épanouit à partir de la loi de l’offre et de la demande et donc de l’existence du pouvoir d’achat de la majorité, défie en même temps cette loi en forçant la classe ouvrière des pays dits sous-développés à accepter des salaires de misère.

Les promesses d’aide du Cadre de la coopération intermédiaire (CCI) et d’autres semblables de l’Union européenne ne sont pas tenues. Les décaissements se font très timidement et tombent sans une très large mesure sous la responsabilité directe d’ONG et d’organismes internationaux. Le gros du budget de l’année fiscale 2007-2008 repose sur la bonne foi et la bonne volonté de la communauté internationale malgré ses désistements de ces trois ou quatre années précédentes. L’État haïtien est réduit à sa plus simple expression. La loi HOPE (Haitian Hemispheric Opportunity Through Partnership Encouragement Act), votée par le parlement américain en décembre 2006 rentre dans la même catégorie de poisson d’avril ou de canular. Jean Poincy a écrit : « … Ce pour dire que HOPE a tous les défauts du monde, parce que les 100 000 emplois attendus ou du moins, les 20,000 emplois espérés en quelques mois sont loin d’être réalisés, parce qu’un an plus tard on ne peut compter que 3000 emplois dus non à de nouveaux investissements, mais à la réouverture de certaines maisons de sous-traitance. En d’autres termes, tout est une récupération d’emplois perdus. Quand je qualifiais HOPE de bouffée de gaz carbonique pour répliquer à la ministre du Commerce qui faisait croire que HOPE était une bouffée d’oxygène pour l’économie haïtienne, le vice-président de l’Association des Industries d’Haïti qui reprend ses gants aujourd’hui pour exiger ses modifications de HOPE, qualifiait de pessimistes mes commentaires »

L’on comprend malheureusement pourquoi l’espoir chez les jeunes s’effrite. Ils ne sont obsédés que par leur départ du pays à la recherche d’un avenir meilleur. Comme du temps des Duvalier, disons mieux de Jean-Claude Duvalier, des gens par dizaines reprennent le chemin de la mer sur de frêles embarcations en direction des Bahamas, de la Floride et des îles avoisinantes. La Républicaine dominicaine, malgré l’importance de la main d’œuvre haïtienne pour son économie, expulse les travailleurs par centaine presque tous les jours en dehors du respect des normes les plus élémentaires du Droit International dans ce domaine.

Ce tableau décevant de la situation socio-économique ne peut pas garantir à long terme la stabilité politique et un climat de sécurité dans le pays sans la répression systémique des masses populaires. Les narcotrafiquants et les politiciens traditionnels misent sur cette faiblesse accentuée par une impunité choisie et voulue et sur la misère qui se répand de nos jours même chez les classes sociales ou les fractions de classe qui autrefois en étaient épargnées, pour fomenter les troubles publics et pour satisfaire leurs bas appétits. Les délinquants sociaux en ont profité aussi pour commettre des actes des plus crapuleux allant jusqu’aux kidnappings et aux assassinats des écoliers et des personnes avancées dans la tranche du troisième âge.

Aucun amendement de la constitution sous la férule d’un gouvernement néolibéral n’emmènera un changement qualitatif à cette situation.

Jacques Edouard Alexis depuis l’accession de René Préval au pouvoir depuis presque deux ans, nous a fourni suffisamment d’éléments pour visualiser le proche avenir. Il est vrai que le président a été élu non sur la base d’un programme bien charpenté et bien élaboré, mais plutôt sur celle de quelques slogans à caractère subjectif visant surtout à barrer la voie à d’autres candidats de tendance de droite plus traditionnelle. Depuis les premiers jours de ce pouvoir, deux cœurs battent dans son sein dont l’un à gauche pour soutirer les avantages offerts par le Venezuela et Cuba, et l’autre, le vrai, à droite pour assurer l’administration américaine, ladite communauté internationale et les classes dominantes locales. Malgré cette absence d’un plan directeur, les grands traits du mandat quinquennal de ce gouvernement peuvent être perçus à travers les mesures qu’il a adoptées et les grandes lignes de ses perspectives. L’actuel pouvoir, même avec éventuellement un autre gouvernement à sa tête, s’est muré selon ses choix politiques et idéologiques à l’intérieur du cadre néolibéral.

Nous pouvons citer quelques-uns de ces grands traits.

Les préparations techniques et administratives pour la privatisation des entreprises publiques parmi les plus rentables comme la téléphonie vont bon train. Des dispositions et des sites aptes à accueillir les zones franches sont déjà là. On a même décelé une mauvaise foi sans fard, des dirigeantes et des dirigeants pour céder des terres fertiles à la construction de ces usines flottantes. Au moindre petit accroc, comme la syndicalisation des ouvrières et des ouvriers, ces dernières lèvent l’ancre pour s’installer dans d’autres pays là où leur intérêt leur paraît à chaque instant plus sécurisant. Puisque le gouvernement ne lutte en faveur d’aucune sorte d’autonomie, il courra toujours après des fonds venus d’ailleurs pour financer la moindre activité, y compris plus de 60% de l’administration publique. Le pays bénéficiera du soutien de la communauté internationale qui financera quelques projets d’infrastructure ponctuels qui ne sont inscrits dans un aucun cadre planifié car, il faut quand même en toute décence, amortir le choc de la politique antipopulaire d’un président élu sous le parapluie d’une organisation paradoxalement connue pour son aversion du néolibéralisme.

En effet, le gouvernement, dans le cadre du PAS (Politique d’Ajustement Structurel) continuera d’appliquer sa politique de libéralisation totale qui octroiera aux commerçants, aux propriétaires des maisons à tous les échelons l’opportunité de fixer les prix des marchandises locales ou importées, des loyers à un niveau qui défraie la capacité de toutes les petites bourses.

Malgré le chômage qui ronge tous les tissus sociaux de la grande majorité de la population, les révocations au sein des entreprises publiques se maintiendront au désavantage des petits et moyens employés et des techniciens sous prétexte de rentabiliser ces dernières. Alors que les cadres qui gagnent mensuellement des fortunes agrémentées de toutes sortes d’avantages seront assurés de leur poste.

Cette politique ne se déploie pas dans un vide institutionnel général comme plus d’un le croiraient. Une certaine structuration des appareils politiques des secteurs traditionnels pour asseoir le système se dessine. Même si il n’a pas à se soucier, d’après l’article 134.3 de la Constitution qui lui interdit un troisième mandat, le président Préval est contraint de se courber à certaines exigences de la démocratie représentative. Il ne peut ajourner indéfiniment l’institutionnalisation des collectivités territoriales constituées d’un ensemble d’instances inscrites dans la Constitution. Leur accorder leur pleine autorité et leur pleine souveraineté, c’est une autre paire de manches. Nous ne devons pas nous méprendre sur la possibilité d’éventuels conflits non larvés mais vraiment ouverts entre les nouvelles autorités locales et le pouvoir central dont elles dépendent pour leur budget. Les exigences de ces autorités locales du fait de leur proximité avec la population qui en général n’a aucune confiance en cet État, seront plus grandes et les pressions de cette dernière sur elles plus fortes et plus directes.

Tout ce nouveau développement de la démocratie taillée sur un patron étranger va déboucher sur la recomposition des diverses fractions de la bourgeoisie du fait de nouveaux modèles d’investissement dans les zones franches, le textile et probablement dans les cultures favorisant le biogaz. En effet, la bourgeoisie haïtienne s’est traditionnellement caractérisée par son engouement pour le commerce, comme source de profit facile. Mais avec ces nouveaux débouchés, sans renoncer à leur esprit de rapine traditionnel, elle saisira ces nouvelles occasions pour s’enrichir au détriment de la majorité des habitants du pays.

La propagande qui se répand de plus en plus pour cultiver les plantes oléagineuses généralement mangeuses d’humus pouvant produire le biodiesel dans ce petit pays dépendant à près de 60%, malgré sa vocation agricole, de l’importation de sa nourriture, ne soulagera pas la crise. Au contraire, nous devons nous attendre aux conséquences suivantes :
  La persistance de la déstructuration du milieu paysan et de ses organisations surtout en période électorale.
  L’intensification de l’aliénation des masses paysannes avec le déversement de projets anti-développements déversés sans égards par de riches ONG locales et internationales.
  L’augmentation de la cherté de la vie et l’implantation d’autres bidonvilles.
  Le risque de la montée de la délinquance et sous prétexte da la combattre, augmentation de la répression contre les masses populaires
  c.-à-d. création d’une atmosphère de guerre pour tuer dans l’œuf toute tentative d’organisation et de syndicalisation.
  La politique du biogaz dans un petit pays qui perd de plus en plus sa souveraineté alimentaire, va augmenter sa dépendance.
  La migration interne et vers l’étranger se maintiendra, peut-être avec beaucoup plus de persistance et de persévérance.

La présence da la MINUSTAH (Mission des Nations-unies pour la stabilité d’Haïti) se montrera de plus en plus indispensable pour le pouvoir, les classes dominantes locales et ladite communauté internationale. En tant que force étrangère sur le sol national, elle s’est elle-même fixée ses conditions de prolongation dans le pays. Elle prendra le temps, pense-t-elle, qui s’avèrera nécessaire pour aplanir toutes les difficultés liées à la problématique de l’insécurité. Le Secrétaire général de l’ONU, M. Edi Annabi ne cache pas l’intention de son institution dans ses déclarations. L’implication de ses soldats dans des viols de jeunes adolescentes et adolescents, leur participation à la corruption dévoilée par des voix internationales autorisées n’ont pas ébranlé leur conviction d’occupants, ni celle des classes dominantes locales qui les autorisent à piétiner la souveraineté nationale.

La crise qui perdure malgré les changements à la tête du pays, comme nous l’avons vu, ne pourra être attribuée ni à la Constitution, ni à des personnes prises en tant qu’individus du fait de son caractère systémique. Il est vrai que les personnes ont leur responsabilité dans cette situation qui empire de jour en jour, mais c’est seulement à cause de leur choix politique antipopulaire et de leur démarche conservatrice mis au service de la bourgeoisie compradore. La solution dépendra d’une montée consciente des masses populaires, canalisée par leur propre instrument politique devant être construit pour prendre à jamais en main leur destin. Elles ont aujourd’hui la possibilité d’utiliser les quelques acquis démocratiques tels que le droit à la parole et à l’organisation politique, qu’elles ont arrachés au système dominant au prix de longues luttes et d’énormes sacrifices pour concrétiser leur rêve.


Marc-Arthur Fils-Aimé est directeur de l’Institut Culturel Karl Lévêque.}

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