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DIAL 2996

BRÉSIL - « Signe des temps », lettre circulaire 2008 de Dom Pedro Casaldàliga

Pedro Casaldàliga

mardi 1er avril 2008, par Dial

Selon son habitude, Dom Pedro Casaldàliga, une des très grandes figures de l’épiscopat brésilien, aujourd’hui évêque émérite de la Prélature de São Félix de Araguaia (Mato Grosso) envoie à ses amis une lettre circulaire en début d’année. Bien qu’atteint par les inconvénients de l’âge, il garde toujours la même ardeur, la même puissance d’indignation, le même souffle au vent de l’Esprit. Ce n’est pas sans raison que, dans un éditorial antérieur, Dial avait écrit de lui qu’il cumulait ces trois caractéristiques d’être à la fois évêque, prophète et poète.


Je pensais à la lettre circulaire de 2008 quand m’envahit, comme un fleuve biblique de lait et de miel, une véritable inondation de messages de solidarité et d’affection à l’occasion de mes 80 ans. Ne pouvant répondre à chacun et à chacune d’entre vous en particulier, et aussi parce que le frère Parkinson a ses caprices, je vous demande de recevoir cette circulaire comme une accolade personnelle, affectueuse, de gratitude et de communion renouvelée.

Je suis en train de lire une biographie de Dietrich Bonhoeffer, intitulée, de manière très significative, Nous aurions dû crier. Bonhoeffer, théologien et pasteur luthérien, prophète et martyr, fut assassiné par le nazisme le 9 Avril 1945 dans le camp de concentration de Flossenburg. Il dénonçait « la grâce à bon marché » à laquelle nous réduisons souvent notre foi chrétienne. Il donnait aussi cet avertissement : « celui qui n’a pas crié contre le nazisme, n’a pas le droit de chanter le grégorien ».

À la veille de son martyre, il arrivait finalement à cette conclusion militante : « Il faut arrêter la roue en bloquant ses rayons ». Il ne suffisait pas alors de secourir ponctuellement les victimes broyées par le système nazi qui pour Bonhoeffer était la roue ; et aujourd’hui on ne peut se suffire du système d’assistance et des réformes-replâtrage face à cette roue qu’est pour nous le capitalisme néolibéral avec ses rayons du marché généralisé, du gain multiforme, de la macro dictature économique et culturelle, des terrorismes d’État, de la course aux armements de nouveau croissante, du fondamentalisme religieux, de la dévastation mortifère de la terre, de l’eau, de la forêt et de l’air.

Nous ne pouvons pas rester frappés de stupeur devant l’iniquité des structures et accepter comme une fatalité l’injuste inégalité entre les personnes et les peuples, l’existence d’un Premier monde qui a tout et d’un Tiers monde qui meure d’inanition. Les statistiques se multiplient et nous découvrons de plus en plus de drames, de plus en plus de situations infrahumaines. Jean Ziegler, rapporteur des Nations Unies pour l’alimentation, fort de son d’expérience, affirme que « l’ordre mondial est un assassin puisque la faim aujourd’hui n’est plus une fatalité ». Il affirme aussi que « destiner des millions d’hectares à la production de biocarburants est un crime contre l’humanité » ; le biocombustible ne peut être un festival de profits irresponsables. L’ONU donne l’alerte sur le réchauffement global de la planète qui avance plus rapidement que ce que l’on pensait ; à moins que l’on adopte des mesures d’urgence, cela provoquera la disparition de 30 % des espèces animales et végétales, et des millions de personnes se verront privées d’eau ; les sècheresses, les incendies, les inondations prolifèreront. On se demande avec angoisse : qui va adopter ces « mesures d’urgence » ?

Le grand capital agricole, avec le commerce agricole et toujours plus celui des hydrocarbures, gagne les zones rurales, concentrant terre et revenu, expulsant les familles paysannes les condamnant à errer, sans terre, dans des campements, grossissant les périphéries des villes où règne la violence. Dom Edwin Kräutler, évêque de Xingu et président du CIMI, dénonce « le développement en Amazonie devenu synonyme de détruire la forêt, de brûler, de raser, de tuer ». Selon Roberto Smeraldi, des Amis de la terre, les politiques contradictoires de la Banque mondiale d’un coté « promettent de sauver les arbres » et d’un autre coté « aident à la destruction de l’Amazonie ».

Mais l’Utopie continue. Comme dirait Bloch, nous sommes « des créatures en espérance » (et porteuses d’espérance). L’espérance continue, comme une soif et comme une source. « Contre toute espérance, nous espérons ». C’est d’espérance précisément que parle la récente encyclique de Benoît XVI. (Dommage que le Pape dans cette encyclique ne cite pas une seule fois le Concile Vatican II qui nous a donné la Constitution Pastorale Gaudium et Spes – Joie et Espérance. Soit dit en passant, le Concile Vatican II continue à être aimé, accusé, passé sous silence, oublié …. A qui le Concile Vatican II fait-il peur ?) Face au discrédit de la politique, quasiment dans le monde entier, notre Agenda latino-américain 2008 parie pour une nouvelle politique ; et même « nous demandons, en rêvant tout haut, que la politique soit un exercice d’amour ».Un amour très réaliste, militant, qui subvertisse les structures et les institutions réactionnaires, construites avec la faim et le sang de la majorité des pauvres, au service du condominium mondial d’une minorité ploutocrate.

Pour leur part, les organismes et les projets alternatifs réagissent, en essayant d’éveiller les consciences, de provoquer une sainte rébellion. Le FSM 2009 va se tenir précisément en Amazonie brésilienne et l’Amazonie sera un de ses thèmes centraux. Et la XIIe rencontre interecclésiale des Communautés ecclésiales de base, en 2009, se tiendra aussi en Amazonie, à Porto Velho, Rondônia. Notre militance politique et notre pastorale de libération doivent assumer toujours davantage ces défis majeurs qui menacent notre planète. « Donc, nous choisissons la vie » comme le dit la devise de la Campagne de la Fraternité 2008. L’apôtre Paul, dans sa Lettre aux Romains, nous rappelle que « toute la création gémit dans les douleurs de l’enfantement » (Rom. 8,22). Les cris de mort se croisent avec les cris de vie dans cet enfantement universel.

C’est le temps des paradigmes. Je crois aujourd’hui que, comme paradigmes les plus importants et les plus urgents, on doit citer les droits humains de base, l’écologie, le dialogue interculturel et interreligieux et « le vivre ensemble » pluriel des personnes et des peuples. Ces quatre paradigmes nous concernent tous parce qu’ils vont à la rencontre des convulsions, des objectifs et des programmes qu’est en train de vivre l’humanité maltraitée, mais encore et toujours en espérance. Avec des faux-pas et des ambiguïtés, notre Amérique se déplace vers la gauche ; « Des vents nouveaux soufflent sur le continent » ; nous sommes en train de passer « de la résistance à l’offensive ». Les peuples indiens d’Abya Yala ont salué avec une grande joie la déclaration de l’ONU sur les droits des peuples indiens qui touche plus de 370 millions de personnes dans quelques 70 pays du monde. Et ils revendiqueront sa mise en œuvre.

Notre Église d’Amérique latine et des Caraïbes, à Aparecida, même si cela n’a pas été la Pentecôte dont nous avions rêvé, a été une profonde expérience de rencontre entre les évêques et le peuple ; elle a confirmé les traits les plus caractéristiques de l’Église de la libération : la marche à la suite de Jésus, la Bible dans la vie, l’option pour les pauvres, le témoignage des martyrs, les communautés, la mission d’inculturation et l’engagement politique.

Sœurs et frères, quels rayons allons-nous briser dans notre vie quotidienne ? Comment aiderons-nous à bloquer la roue fatale ? Aurons-nous le droit de chanter en grégorien ? Saurons-nous introduire dans nos vies ces quatre paradigmes les plus importants en les traduisant dans une pratique journalière ?

Recevez une accolade affectueuse dans l’espérance subversive et dans la communion fraternelle de l’Évangile du Royaume. Allons toujours vers la vie.

Pedro Casaldàliga.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2996.
 Traduction de Bernard & Jacqueline Blanchy pour Dial.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, les traducteurs, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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