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DIAL 3056 - Dossier « Diaspora africaine »

HONDURAS - Les Garifunas sont confrontés à leur propre déclin

Michael Deibert

vendredi 1er mai 2009, mis en ligne par Dial

Les Garifunas seraient les seuls Noirs du continent américain qui n’aient jamais connu l’esclavage. Arrivés en 1635 sur l’île de San Vicente avec le naufrage de deux négriers espagnols, ils ont dû faire face à de nombreuses menaces dont les dernières en date, l’occidentalisation et le tourisme, ne sont sans doute pas les moins dangereuses. Cet article de Michael Deibert a été publié sur le site de Tierramérica, le 6 octobre 2008.


La culture garifuna, chef-d’œuvre de l’humanité selon l’UNESCO, risque de disparaître, menacée par la privatisation des plages centroaméricaines.

« Les Garifunas étaient les meilleurs navigateurs du monde » déclare Jermonino Barrios, pied nu sur le sable d’une étroite frange de plage hondurienne qui s’étend entre la Laguna de los Micos et la mer des Caraïbes.

Barrios, ancien soldat de 67 ans, parle avec orgueil de son peuple réparti entre le Belize, le Costa Rica, le Guatemala, le Honduras et le Nicaragua.

« Avant il y avait 200 à 300 Garifunas qui vivaient ici, et maintenant il y en a à peine quelques-uns » explique-t-il à Tierramérica.

« Ils sont partis travailler aux États-Unis et ailleurs » regrette-t-il en jetant un œil aux constructions aux toits de paille qui se dressent, paresseuses, sous les palmiers qui font face aux vagues qui se brisent.

Dans l’histoire tumultueuse de l’incursion européenne dans ce qui est aujourd’hui l’Amérique et le trafic des esclaves africains vers ces côtes, il y a peu d’épisodes aussi émouvants que l’histoire des Garifunas.

L’origine de ce peuple remonte à 1635 avec le naufrage de deux galions espagnols et de leur cargaison d’esclaves dans les eaux de l’île caribéenne de San Vicente. Les Africains qui survécurent se mélangèrent à des membres des autochtones caribéens, la population dominante de San Vicente à l’époque.

Adoptant comme langue un idiome amérindien de la grande famille arahuaca, le parler des descendants africains a fini par donner naissance à ce qui est aujourd’hui reconnu comme la langue garifuna.

Si elle contient bien quelques éléments du français, assez différents du créole parlé dans d’anciennes enclaves françaises comme Haïti ou la Martinique, et d’autres langues comme l’espagnol, le garifuna est unique et est toujours principalement amérindien.

Parce qu’ils se sont mélangés aux peuples locaux, les garifunas ont souvent été appelés eux-mêmes « caribéens noirs ».

En 1797, au milieu des luttes entre Français et Britanniques pour San Vicente, les Garifunas ont été déportés sur l’île de Roatan, qui fait aujourd’hui partie du Honduras, ce qui a provoqué une grande mortalité. Presque 3000 d’entre eux et de leurs descendants se sont déplacés vers le continent, et de là se sont dispersés le long des côtes centraméricaines de la mer des Caraïbes, depuis le Nicaragua jusqu’au Belize.

La première mention faite de leur existence au Belize est une lettre datée de 1802 qui évoque une plainte déposée auprès d’un magistrat britannique local et qui fait état de la présence de quelques 150 Garifunas installés le long du fleuve Belize.

« L’impression générale qui prévalait parmi les magistrats était que ces personnes étaient dangereuses » explique à Tierramérica E. Roy Cayetano, membre fondateur du Conseil national Garifuna du Belize dans sa maison de Dangriga, un village du Sud qui est le centre de la culture de ce peuple.

Avec le temps, l’héritage ethnique et linguistique unique des Garifunas a commencé à être considéré comme digne de protection.

Une figure importante du développement de la conscience garifuna a été le journaliste hondurien Thomas Vincent Ramos, très influencé par le leader nationaliste jamaïcain noir Marcus Garvey et son Universal Negro Improvement Association (Association universelle pour l’amélioration de la condition noire).

Ramos a aménagé au Belize au début du XXème siècle, et fondé The Carib Development and Sick Aid Society (Société caribéenne de développement et d’aide aux malades), et a instauré le Jour de célébration de l’installation garifuna en 1941 qui commémore l’arrivée de cette communauté sur les côtes de ce pays.

Plus tard survinrent d’autres dangers auxquels les Garifunas essaient de faire face. Jusqu’en 1965 on ne pouvait pas se déplacer par route jusqu’à Toledo, le district le plus au sud du Belize, alors que maintenant les voyageurs peuvent choisir entre deux autoroutes.

Des villages comme Miami au Honduras, situé sur une frange idyllique de mer et de sable où les Garifunas ont construit leurs maisons, se voient envahis par des constructeurs et des projets commerciaux et touristiques qui cherchent à embobiner les Garifunas et à les priver de leur mode de vie traditionnel.

Pour le moment, le village ne partage avec l’énorme ville touristique des États-Unis que le nom et la mer des Caraïbes.

Non loin de Miami, une affiche proclame que le terrain est la propriété de l’Institut hondurien du tourisme et que l’on va y construire un centre touristique et un terrain de golf. Les habitants de l’endroit disent que le gouvernement de Manuel Zelaya a vendu il y a peu le terrain à des entreprises de construction.

Ces dernières années, l’une des voix les plus émouvantes qui a pris la défense du mode de vie garifuna a été celle du musicien bélizien Andy Palacio, décédé cette année [1].

Palacio a décrit le village dans une chanson en 2007 : « J’ai voyagé vers le fleuve près de Miami / Quand j’ai regardé, il était entouré de soldats / Ils me demandaient mes papiers ».

« Il y eu une grande érosion culturelle et idiomatique » dit Cayetano en parlant des forces qui éloignent les jeunes Garifunas de leur tradition qui consiste à vivre à l’air libre et à s’approvisionner en ressources alimentaires par la pêche et l’agriculture.

« Les plus jeunes n’apprennent déjà plus la langue, et ceux qui la parlent sont de plus en plus vieux. Nous devons faire face à l’économie salariale et à ses difficultés. Elle se présente sous des apparences prometteuses, parce que nous voyons que les gens qui ont de l’argent ont du pouvoir » ajoute-t-il.

Quelques initiatives ont vu le jour pour freiner ce déclin. Le Conseil national garifuna du Belize, par exemple, s’est formé au début des années 80 pour promouvoir et préserver la culture garifuna dans ce pays, et il y a peu il a été essentiel pour aider à construire l’École primaire Gulisi.

Baptisée du nom d’une héroïne qui a survécu à la déportation à Roatan, l’école donne des cours de langue et de culture garifuna au sein d’un programme éducatif plus large.

En 2001, la danse, la musique et la langue garifunas ont été déclarées chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

Observer la plage de Miami et réfléchir au futur des Garifunas rappelle un hymne local, « Baba » (père), dont le message semble être fait à la mesure des temps difficiles que vit ce village :

« Anihein baba wama, furíeigiwamá lun Wabúngiute Íderalámugawa lídangien sianti Anihei baba wama, furíeigiwamá lun Wabúngiute Dúsuma lámuga wachara ya ubóuogu… »

« Le Père est avec nous. Prions notre Dieu. Car il peut nous aider au-delà de l’impossible. Le Père est avec nous. Prions notre Dieu. Car nos maux peuvent être moins nombreux ici sur Terre… »


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3056.
 Traduction de Véréna Neidhardt pour Dial.
 Source (espagnol) : Tierramérica, 6 octobre 2008.

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[1En janvier 2008.

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