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DIAL 3048

BRÉSIL - « Aujourd’hui, je n’ai plus ces rêves » dit le Cardinal, lettre circulaire 2009 de Dom Pedro Casaldàliga

Pedro Casaldàliga

dimanche 1er mars 2009, mis en ligne par Dial

Comme l’année dernière, nous publions ci-dessous la très belle lettre circulaire de 2009 de Dom Pedro Casaldàliga, évêque émérite de la Prélature de São Félix de Araguaia (Mato Grosso).


Le Cardinal Carlo Martini, jésuite, bibliste, qui a été archevêque de Milan et qui est mon collègue de Parkinson, est un ecclésiastique de dialogue, d’accueil et partisan d’une profonde rénovation de l’Église comme de la société. Dans son livre de confidences et de confessions intitulé Colloques nocturnes à Jérusalem, il déclare : « Avant, je faisais des rêves sur l’Église. Je rêvais d’une Église qui suivrait son chemin dans la pauvreté et l’humilité, qui ne dépendrait plus des pouvoirs de ce monde, dans laquelle on aurait arraché les racines de la méfiance, qui ferait davantage de place aux personnes qui pensent de façon plus ouverte, qui encouragerait plus spécialement ceux qui se sentent petits et pécheurs. Je rêvais d’une Église jeune. Mais aujourd’hui, je n’ai plus ces rêves ». Cette affirmation catégorique de Martini n’est pas et ne peut pas être une déclaration d’échec, de déception ecclésiale, de renoncement à l’utopie. Martini continue de rêver, mais il ne rêve plus que du Royaume de Dieu qui est l’utopie des utopies, car c’est le rêve de Dieu lui-même.

Avec lui et avec des millions d’autres personnes dans l’Église, nous rêvons d’une « autre Église possible » au service d’un « autre monde possible ». Le Cardinal Martini est un bon témoin et un excellent guide sur ce chemin alternatif, comme il l’a déjà toujours démontré.

Aussi bien dans l’Église – cette Église de Jésus qui comprend des Églises diverses – que dans la société avec ses différents peuples, ses cultures variées et ses différents processus historiques, aujourd’hui plus que jamais, nous devons rechercher à tout prix la justice et la paix, la dignité humaine, l’égalité dans l’altérité, et enfin nous devons progresser vers une écologie profonde. Comme le disait Bobbio, ce philosophe italien défenseur des droits humains : « Il faut installer la liberté au cœur même de l’égalité ». Tout ceci dans une vision et une action strictement mondiales. Il s’agit là de l’autre globalisation, celle que revendiquent nos penseurs, nos militants, nos martyrs et aussi tous nos affamés.

La grande crise économique actuelle est une crise globale de l’humanité qui ne peut être résolue par aucune forme de capitalisme car un capitalisme humain n’existe pas. Le capitalisme en lui-même reste toujours homicide, anti-écologiste et suicidaire. On ne peut servir en même temps le dieu des banques et le Dieu de la Vie, ni conjuguer ensemble la toute puissance et l’usure avec la convivialité fraternelle. La question centrale est la suivante : S’agit-il de sauver le système ou s’agit-il de sauver l’humanité ? C’est dans les grandes crises que se trouvent les grandes opportunités. En chinois, le mot « crise » a deux sens : la crise comme danger et la crise comme opportunité.

Dans la campagne présidentielle des États-Unis, on a souvent remis en valeur « le rêve de Luther King », en essayant d’actualiser ce rêve. De même, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la convocation de Vatican II, on s’est souvenu, avec nostalgie, du « Pacte des catacombes » de l’Église servante et pauvre. Le 16 novembre 1965, quelques jours avant la clôture du concile, 40 Pères du Concile ont célébré l’Eucharistie dans les catacombes romaines de Domitille et ont signé le « Pacte des catacombes ». Dom Helder Camara, dont nous célébrons cette année le centenaire de la naissance, était l’un des animateurs principaux de ce groupe prophétique. Ce Pacte, dans ses 13 points principaux, insiste sur la pauvreté évangélique de l’Église qui devrait être sans titres honorifiques, sans privilèges et sans ostentations mondaines. Il insiste aussi sur la collégialité et sur la coresponsabilité de l’Église comme Peuple de Dieu, sur l’ouverture au monde et sur l’accueil fraternel.

Aujourd’hui, nous-mêmes, dans la conjoncture explosive actuelle, nous proclamons la permanence de tous ces rêves, sociaux, politiques et ecclésiaux auxquels, de toute façon, nous ne pouvons pas renoncer. Nous continuons à refuser le capitalisme néolibéral, le nouvel impérialisme de l’argent et des armes, ainsi que cette économie de marché et de consumérisme qui plonge dans la pauvreté et dans la famine une très grande partie de l’humanité. Nous continuons à refuser toute discrimination pour des motifs de genre, de culture et de race. Nous exigeons la transformation substantielle des organisations mondiales que sont l’ONU, le FMI, la Banque mondiale, l’OMC… Nous nous engageons à vivre nous-mêmes une « écologie profonde et intégrale », tout en favorisant une politique agricole alternative pour remplacer la politique destructrice des latifundios, des monocultures et des pesticides. Nous participerons aux transformations sociales, politiques et économiques pour parvenir à une démocratie de « haute intensité ».

Avec l’Église, nous voulons vivre, à la lumière de l’Évangile, la forte passion de Jésus pour le Royaume. Nous voulons être l’Église de l’option pour les pauvres et devenir communauté œcuménique mais aussi macro œcuménique. Le Dieu dans lequel nous croyons, celui que Jésus appelait Père, ne peut être en aucune façon celui des fondamentalismes, de l’exclusion, des inclusions absorbantes et de l’orgueil prosélyte. Faire de notre Dieu le seul Dieu véritable, cela a assez duré. « Mon Dieu me laisse-t-il rencontrer Dieu ? »… Avec tout le respect que j’ai pour l’opinion de Benoît XVI, le dialogue interreligieux n’est pas seulement possible, il est nécessaire. Nous ferons de la coresponsabilité ecclésiale l’expression légitime d’une foi adulte. Nous exigerons, en corrigeant ainsi des siècles de discrimination, la pleine égalité de la femme dans la vie et dans les ministères de l’Église. Nous stimulerons la liberté et reconnaîtrons les services de nos théologiens et de nos théologiennes. L’Église deviendra un réseau de communautés de prière, de service et de prophétie qui témoigneront de la Bonne Nouvelle : une Bonne Nouvelle de vie, de liberté et de communion heureuse.

Une Bonne Nouvelle de miséricorde, d’accueil, de pardon, de tendresse, comme celle de Jésus à la Samaritaine, que nous apporterons jusqu’aux frontières de tous les chemins de l’humanité. Nous continuerons à rendre vivante dans la pratique ecclésiale la recommandation de Jésus : « Il n’en sera pas ainsi entre vous » (Mt 21, 26). L’autorité sera un service. Le Vatican cessera d’être un État et le Pape ne sera plus un chef d’État. La Curie devra être profondément réformée et les Églises locales cultiveront l’inculturation de l’Évangile et le partage des ministères. L’Église s’engagera, sans crainte et sans détournement, dans les grandes causes de la justice et de la paix, des droits humains et de l’égalité reconnue de tous les peuples. Elle sera prophétique dans ses annonces, ses dénonciations et sa façon de consoler. Comme le disait Pie XI, la politique vécue par tous les chrétiens et toutes les chrétiennes sera « l’expression la plus élevée de l’amour fraternel ».

Nous ne voulons absolument pas renoncer à tous ces rêves même s’ils peuvent paraître chimériques. « Chantons encore ! Rêvons encore ! » Nous restons fidèles à la parole de Jésus : « C’est le feu que je suis venu apporter sur la Terre et que puis-je vouloir sinon qu’il brûle » (Luc 12, 49). Avec humilité et courage, à la suite de Jésus, nous essayerons de vivre tous ces rêves chaque jour de notre vie. Il y aura encore des crises et l’humanité, avec ses religions et ses églises, restera tout à la fois sainte et pécheresse. Mais on aura toujours les campagnes universelles de solidarité, les Forum sociaux, les organisations paysannes, les mouvements populaires, les conquêtes des Sans-Terre, les pactes écologiques, les chemins alternatifs de notre Amérique, les Communautés écclésiales de base, les processus de réconciliation entre le Shalom et le Salam, les victoires des Indiens et des Afro-Américains… Dans toutes ces situations, une fois de plus et pour toujours, « je m’en tiens à ce qui a été dit : l’Espérance ».

Que chaque personne qui lira cette circulaire fraternelle, en communion de foi religieuse ou de passion humaine, reçoive un abrazo de la taille de tous ces rêves. Les vieux ont encore des visions dit la Bible (Jl 3, 1). Voici quelques jours, j’ai lu cette définition : « La vieillesse est une sorte de post guerre » ; ce n’est pas nécessairement une défaillance. Parkinson est seulement une incommodité sur le chemin et nous suivons toujours notre route vers le Royaume de Dieu qui est en nous.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3048.
 Traduction de Francis Gély.
 Source (espagnol) : Servicios Koinonía, février 2009.

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