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BRÉSIL - « Créer une alternative à la gauche de Lula ! », Entretien avec Luciana Genro, députée du Parti socialisme et liberté (PSOL)

Franck Gaudichaud

mercredi 10 juin 2009, mis en ligne par Franck Gaudichaud

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Luciana Genro est une militante de la gauche radicale brésilienne de longue date. Elle entre au Parti des Travailleurs (PT) en 1985, à l’âge de 14 ans. Enseignante, elle est élue Députée du Rio Grande do Sul en 1994 et réélue en 1998. En 2002, elle devient Députée Fédérale. Exclue du PT l’année suivante pour avoir refusé de voter la loi néolibérale de réforme des retraites proposée par le gouvernement Lula, elle participe à la fondation du PSOL (Parti socialisme et liberté), parti pour lequel elle sera réélue en 2006. En plus de ses activités parlementaires, elle occupe actuellement la vice-présidence nationale du PSOL.

Franck Gaudichaud : Depuis le Brésil, et notamment suite au succès du Forum Social Mondial de Belém de janvier dernier, comment vois-tu le nouveau panorama latino-américain et le « tournant à gauche » d’une partie du continent ?

Luciana Genro : Nous sommes face à une situation très riche, notamment parce qu’il existe des processus politiques importants au Venezuela, en Équateur, en Bolivie, au Paraguay aussi. Ces expériences, qui passent par des gouvernements nationalistes et progressistes, sont essentielles pour montrer au Brésil que d’autres gouvernements sont capables de créer l’espoir au sein du peuple. Le gouvernement de Lula ne s’est pas acquitté de sa tâche : celle de réaliser le changement social nécessaire au peuple brésilien. L’exemple de Chávez au Venezuela, l’exemple de l’Équateur qui a organisé un audit de la dette externe [et dénoncé une part de celle-ci], sont des exemples qui démontrent a contrario l’ampleur du manque de courage politique du gouvernement Lula. Ils montrent que oui, il est possible de faire face à l’impérialisme, qu’il est possible de s’opposer au paiement de la dette, etc. Le Brésil est ainsi le contre- modèle de ces processus. Il se comporte comme un petit impérialisme latino-américain, y compris en s’opposant aux mesures progressistes que le gouvernement du Paraguay ou le gouvernement de l’Équateur ont prises. Dans ce contexte, le Forum Social Mondial de Belém a démontré qu’il existe malgré tout, une convergence de personnes disposées à lutter pour que ces résistances latino-américaines se déroulent aussi au Brésil. Le PSOL est particulièrement engagé dans ce combat.

FG : Quel est l’état des conflits sociaux et du mouvement social brésilien ? On sait par exemple que le Mouvement des sans terre (MST - l’un des principaux mouvement social du continent) bien qu’il ait exprimé des critiques claires contre la gestion social-libérale du PT, a finalement appelé à voter Lula, lors des dernières présidentielles, comme « moindre mal » : où en est-on aujourd’hui ?

LG : Nous vivons une période très difficile pour les mouvements sociaux du Brésil parce que les directions de ces mouvements, principalement le mouvement syndical, mais aussi celle du MST, ont été en partie cooptées par le gouvernement Lula. Elles ont ainsi été paralysées du fait de leur étroite relation historique avec le PT, mais aussi à cause des moyens financiers que le gouvernement leur a offerts par le biais de conventions et d’autre type de ressources données aux syndicats et au MST lui même.

Cependant, le mouvement syndical a commencé à réagir, de nouvelles directions surgissent ainsi que des syndicats indépendants de la CUT, qui était une centrale très combative mais qui aujourd’hui est liée au gouvernement et aux institutions. Le MST commence lui aussi à regarder et penser au-delà du gouvernement Lula. Nous constatons également que la crise économique frappe le Brésil de plein fouet : rien qu’en décembre dernier, 600 000 personnes ont perdu leur travail. Le chômage est un problème central… Moi même, en tant que députée, j’ai présenté un projet de loi pour congeler les licenciements et nous luttons pour que ce projet soit approuvé. Nous pensons qu’avec les conséquences de la crise mondiale et le chômage, le processus de réorganisation du mouvement social et syndical va prendre plus de force et s’accélérer. Nous allons assister à davantage de luttes et plus de conflits sociaux, et de nouvelles directions devraient apparaître, dynamisant ces mobilisations.

FG : Parle-nous du PSOL, un parti qui a créé un espoir à la gauche du PT pour beaucoup de brésiliens. Quelles sont la situation et les perspectives de votre parti ?

LG : Notre parti vient de fêter ces cinq ans d’existence et ce furent cinq années très riches, mais compliquées parce qu’il n’est pas facile de construire un parti à la gauche du gouvernement Lula, quand ce gouvernement reçoit encore 80 % d’approbation de la population, une approbation souvent basée sur les concessions sociales que le gouvernement a faites au travers de subventions versées aux familles les plus pauvres [système de la Bolsa Familia], et aussi par contraste avec le gouvernement précèdent de Fernando Henrique Cardoso et du PSDB [Parti de la social-démocratie brésilienne- centre droit]. Nous avons donc passé ces cinq années à essayer de démontrer au peuple brésilien qu’il existe une alternative à gauche du PT, que l’opposition à Lula ne signifie pas nécessairement revenir à la droite néolibérale, au PSDB, à Fernando Henrique Cardoso et ses représentants.

Les élections municipales qui se sont déroulées en octobre 2008 ont représenté un moment important de consolidation du PSOL dans les petites municipalités et dans certaines grandes capitales. Désormais, nous nous préparons aux conflits sociaux à venir, produits de la crise économique. Nous nous efforçons de consolider le mouvement social et les syndicats. Nous sommes aussi tournés vers 2010, année où auront lieu de nouvelles élections présidentielles. Nous présenterons une alternative de gauche grâce à la candidature de Heloisa Helena [1], qui a obtenu un premier succès en 2006 quand nous avons obtenu 7 millions de voix et que nous nous sommes apparus comme une force politique alternative pour tout un secteur du peuple. Nous espérons faire mieux en 2010 !

FG : Une dernière question : tu étais présente au congrès du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) français, en janvier dernier, en tant que membre des délégations internationales et représentante du PSOL. Comment les militants brésiliens perçoivent-ils la naissance de cette nouvelle force anticapitaliste ? Selon toi, existent-ils des passerelles ou des parallèles entre la construction du PSOL et le NPA ?

LG : Pour nous, ce processus de constitution du NPA représente une grande joie. Nous nous y identifions complètement parce que le PSOL a aussi été le résultat d’une confluence de plusieurs forces politiques et, beaucoup plus que de forces politiques organisées, le résultat du regroupement de personnes qui n’avaient jamais milité dans des partis politiques, qui étaient des acteurs des luttes sociales ou encore de militants qui avaient été membres du PT mais étaient déçus de son évaluation. Nous avons réussi le regroupement de ces forces de gauche au sein du PSOL. Et nous constatons qu’en France, il se passe un peu la même chose avec le NPA. L’initiative de la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) de former un nouveau parti, de s’autodissoudre dans ce nouveau parti et de chercher grâce au NPA à impulser un processus de regroupement des forces anticapitalistes sur le plan international est très important. Le PSOL depuis sa création a insisté sur la nécessité du regroupement international des anticapitalistes parce que nous savons que nous n’allons pas transformer nos pays, sans unir nos forces internationalement, surtout dans un monde où le capitalisme est de plus en plus internationalisé. La crise mondiale démontre clairement qu’il est impossible de sortir de la crise nationalement.

Nous sommes persuadés que le PSOL en Amérique Latine et le NPA en Europe ont un grand rôle à jouer dans cette dynamique ! Nous souhaitons travailler étroitement avec le NPA pour mener à bien le défi de construire une alternative de la gauche anticapitaliste non seulement dans nos pays, mais aussi sur le plan international.


Traduction par Catherine Ferré.

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[1Heloisa Helena, alors militante de la tendance Démocratie socialiste (affiliée à la IVe Internationale) a été élue sénatrice de l’Etat de Alagoas, dans le Nordeste brésilien, pour le Parti des travailleurs (PT) en 1998. Comme Luciana Genro, elle a été exclue de ce parti, en décembre 2003, pour avoir défendu les résolutions du congrès du PT contre les réformes proposées par le gouvernement Lula. Heloisa Helena était la candidate du PSOL pour les élections présidentielles de 2006, recueillant 6,85% des votes exprimés.

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