Accueil > Français > Amérique latine et Caraïbes > CUBA - Les sanctions économiques constituent le principal obstacle au (...)

CUBA - Les sanctions économiques constituent le principal obstacle au développement du pays

Salim Lamrani

lundi 24 octobre 2011, mis en ligne par Salim Lamrani

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

Cuba Si France a réalisé un entretien avec Salim Lamrani à l’occasion de la parution de son ouvrage, État de siège : les sanctions économiques des États-Unis contre Cuba.

Vous venez de publier un nouvel ouvrage sous le titre État de siège. De quoi traite-t-il exactement ?

Comme son sous-titre l’indique, ce livre traite des sanctions économiques unilatérales que les États-Unis imposent à Cuba depuis 1960. Elles ont été établies en pleine Guerre Froide dans le but de renverser le gouvernement révolutionnaire de Fidel Castro dont les réformes économiques et sociales n’étaient guère appréciées par l’administration Eisenhower de l’époque. Plus d’un demi-siècle plus tard, alors que l’Union Soviétique a disparu et que la Guerre Froide n’est plus qu’un vieux souvenir, Washington persiste à maintenir un état de siège économique qui asphyxie toutes les catégories de la population cubaine et qui affecte en premier lieu les secteurs les plus vulnérables à savoir les femmes, les personnes âgées et les enfants.
Il faut savoir que la rhétorique diplomatique pour justifier l’hostilité étasunienne vis-à-vis de Cuba a fluctué selon les époques. Dans un premier temps, Il s’agissait des nationalisations et leurs indemnisations. Par la suite, Washington a évoqué l’alliance avec l’Union soviétique comme principal obstacle à la normalisation des relations entre les deux pays. Puis, dans les années 1970 et 1980, l’intervention cubaine en Afrique, plus précisément en Angola et en Namibie, pour aider les mouvements de libération nationale à obtenir leur indépendance et pour lutter contre l’Apartheid en Afrique du Sud, a été pointée du doigt pour expliquer le maintien des sanctions économiques. Enfin, depuis l’effondrement de l’Union soviétique, Washington brandit l’argument de la démocratie et des droits de l’homme pour maintenir l’étranglement économique sur la nation cubaine.

Quel est justement l’impact de ces sanctions sur la population cubaine ?

Les sanctions économiques contre Cuba constituent le principal obstacle au développement du pays et tous les secteurs de la société en sont affectés. Il faut savoir les États-Unis ont toujours été le marché naturel de Cuba pour des raisons historiques et géographiques évidentes. La distance qui sépare les deux nations ne dépasse pas les 150 km. En 1959, 73% des exportations cubaines étaient destinées au marché étasunien et que 70% des importations en étaient issues. Il y avait donc une forte dépendance à l’égard du Voisin du Nord. Entre 1960 et 1991, les relations avec l’URSS avaient permis d’atténuer l’impact des sanctions mais ce n’est plus le cas désormais.
Concrètement Cuba ne peut rien vendre aux États-Unis, qui reste le premier marché du monde, et ne peut rien acheter hormis quelques matières premières alimentaires depuis l’année 2000, mais à des conditions drastiques tels que le paiement des marchandises à l’avance, dans une autre monnaie que le dollar – donc Cuba doit assumer les frais de taux de change – et sans possibilité de contracter un prêt. Cela limite donc énormément les possibilités commerciales de l’île, qui doit se fournir auprès de pays tiers à un coût bien supérieur.

Vous soulignez également le caractère extraterritorial des sanctions économiques.

En effet, depuis 1992 et l’adoption de la loi Torricelli, les sanctions s’appliquent également aux pays tiers qui feraient du commerce avec Cuba, ce qui constitue une grave violation du droit international qui prohibe à toute législation nationale d’être extraterritoriale– c’est-à-dire de s’appliquer au-delà du territoire national. En effet, la loi française ne peut pas s’appliquer en Espagne tout comme la loi italienne ne peut pas s’appliquer en France. Néanmoins, la loi étasunienne sur les sanctions économiques s’applique à tous les pays qui font du commerce avec Cuba.
Ainsi toute embarcation étrangère qui accosterait à un port cubain se voit interdire l’entrée aux États-Unis pendant six mois. Cuba étant une île, elle est fortement tributaire du transport maritime. La plupart des flottes commerciales opérant dans le détroit de Floride réalisent logiquement la plus grande partie de leurs activités avec les États-Unis au vu de l’importance du marché. Donc, elles ne prennent pas le risque de transporter des marchandises à Cuba et lorsqu’elles le font, elles exigent un tarif bien supérieur à celui appliqué aux pays voisins tels qu’Haïti ou la République dominicaine, afin de pallier au manque à gagner découlant de l’interdiction d’accoster à un port étasunien. Ainsi, si le prix habituel du transport de marchandises est de 100 pour la République Dominicaine, il passe à 600 ou 700 lorsqu’il s’agit de Cuba.

Vous revenez également sur le caractère rétroactif des sanctions économiques.

Depuis l’adoption de la loi Helms-Burton en 1996, tout entrepreneur étranger qui souhaiterait investir à Cuba sur des terres nationalisées en 1959, se voit menacé de poursuites judiciaires aux États-Unis et ses avoirs risquent d’être gelés. Cette loi est une aberration juridique dans la mesure où elle est à la fois extraterritoriale et rétroactive – c’est-à-dire qu’elle s’applique pour des faits survenus avant l’adoption de la loi – ce qui est contraire au droit international. Prenons le cas de loi anti-tabac en France. La loi est entrée en vigueur le 1er janvier 2008. Mais si on a fumé dans un restaurant le 31 décembre 2007, on ne peut pas être condamné pour cela car la loi ne peut pas être rétroactive. Or la loi Helms-Burton s’applique pour des faits survenus dans les années 1960, ce qui est illégal.

Les États-Unis affirment que les sanctions économiques sont une simple question bilatérale et qu’elles ne concernent pas le reste du monde.

Les exemples que j’ai cités précédemment démontrent le contraire. Je vais en citer un autre. Un constructeur automobile allemand, coréen ou japonais – peu importe sa nationalité en réalité – doit démontrer au Département du Trésor que ses produits ne contiennent pas un seul gramme de nickel cubain pour pouvoir les vendre sur le marché étasunien. Il en est de même pour toutes les entreprises agroalimentaires souhaitant investir le marché étasunien. Danone, par exemple, devra démontrer que ses produits ne contiennent aucune matière première cubaine. Donc, Cuba ne peut pas vendre ses ressources et ses produits aux États-Unis mais dans ces cas précis, elle ne pourra pas les vendre à l’Allemagne, la Corée ou le Japon. Ces mesures extraterritoriales privent ainsi l’économie cubaine de nombreux capitaux et les exportations cubaines de nombreux marchés à travers le monde.

Les sanctions économiques ont également un impact dans le domaine de la santé.

En effet, près de 80% des brevets déposés dans le secteur médical sont du fait des multinationales pharmaceutiques étasuniennes et de leurs filiales, ce qui les place dans une situation de quasi-monopole. Cuba ne peut y avoir accès en raison des restrictions imposées par le gouvernement des États-Unis. Or il faut savoir que le droit international humanitaire interdit tout type de restriction à la libre-circulation d’aliments et de médicaments, y compris en temps de guerre. Et officiellement, les États-Unis ne sont même pas en guerre contre Cuba.
Un exemple précis : Les enfants cubains ne peuvent bénéficier du dispositif Amplatzer fabriqué aux États-Unis qui permet d’éviter une chirurgie à cœur ouvert. Des dizaines d’enfants sont en attente de cette intervention. Rien que pour l’année 2010, quatre enfants ont intégré cette liste. : María Fernanda Vidal, âgée de 5 ans, Cyntia Soto Aponte, âgée de 3 ans, Mayuli Pérez Ulboa, âgée de 8 ans et Lianet D. Alvarez, âgée de 5 ans.
Ces enfants sont-ils responsables du différend qui oppose La Havane à Washington ? Non ! Pourtant ils en payent le prix !

Dans votre livre, vous revenez également sur le caractère irrationnel de certaines restrictions.

En effet, il faut savoir que depuis 2004 et l’application stricte des règles du Bureau de Contrôle des Biens Etrangers (OFAC), tout touriste étasunien qui consommerait un cigare cubain ou un verre de rhum Havana Club lors d’un voyage à l’étranger risque une amende d’un million de dollars et dix années de prison. Autre exemple : un Cubain vivant en France ne peut théoriquement pas manger un hamburger à Mc Donald’s. Ces mesures sont irrationnelles car elles sont inapplicables. Les États-Unis ne disposent pas des ressources matérielles et humaines pour mettre un fonctionnaire étasunien derrière chaque touriste. Néanmoins, elles illustrent l’obsession des États-Unis à étouffer économiquement les Cubains.

Votre ouvrage contient un prologue de Wayne S. Smith et une préface de Paul Estrade, qui sont connus des spécialistes, mais sans doute moins du grand public. Rappelez-nous qui sont-ils ?

Wayne S. Smith est un ancien diplomate étasunien, et actuellement professeur à l’Université Johns Hopkins de Washington. Il a été le dernier diplomate étasunien en poste à Cuba avec le rang d’ambassadeur entre 1979 et 1982. Il s’est distingué par sa politique de dialogue et de rapprochement avec La Havane sous le gouvernement de James Carter. C’est un partisan d’une normalisation des relations entre Cuba et les États-Unis et il dresse dans le prologue un constat lucide sur le caractère anachronique, cruel et inefficace des sanctions économiques.
Quant à Paul Estrade, il est professeur émérite à l’Université Paris VIII et il s’agit sans doute du meilleur spécialiste de Cuba en France. Ses travaux sur la question sont une référence dans le monde universitaire. Dans sa préface, il rappelle la manière dont l’état de siège contre Cuba est le plus souvent occulté par les médias lorsqu’ils abordent les difficultés économiques de ce pays.


État de siège : les sanctions économiques des États-Unis contre Cuba
Prologue de Wayne S. Smith
Préface de Paul Estrade
Paris, éditions Estrella, 2011, 15€.

Disponible en librairie et sur Amazon
Pour toute commande dédicacée, veuillez contacter : lamranisalim[AT]yahoo.fr

Les opinions exprimées dans les articles et les commentaires sont de la seule responsabilité de leurs auteurs ou autrices. Elles ne reflètent pas nécessairement celles des rédactions de Dial ou Alterinfos. Tout commentaire injurieux ou insultant sera supprimé sans préavis. AlterInfos est un média pluriel, avec une sensibilité de gauche. Il cherche à se faire l’écho de projets et de luttes émancipatrices. Les commentaires dont la perspective semble aller dans le sens contraire de cet objectif ne seront pas publiés ici, mais ils trouveront sûrement un autre espace pour le faire sur la toile.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.