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DIAL 2435

CHILI - Il faut juger Pinochet

Juan Subercaseaux A.

lundi 1er janvier 2001, mis en ligne par Dial

La levée de l’immunité de l’ancien dictateur Augusto Pinochet a été le pas décisif franchi par la Cour suprême du Chili pour ouvrir la voie à son jugement. Certains seraient tentés de penser que l’on pourrait en rester là, l’essentiel étant fait désormais. Il faut maintenir vive la conscience de la gravité des crimes commis par l’ancien dictateur pour comprendre à quel point il est nécessaire d’aller jusqu’au procès. C’est, avec exemples à l’appui, ce que nous rappelle Juan Subercaseaux A., avocat et conseiller éditorial de Reflexión y Liberación, dans un article paru dans cette revue, septembre-novembre 2000, Chili.


L’arrêt historique de la Cour suprême du 8 août 2000 a privé Pinochet de son immunité en raison de soupçons bien fondés d’avoir commandé, conjointement avec Arellano Stark, l’association illégale d’officiers de l’armée appelée « Caravane de la mort », responsable de séquestrations et homicides qualifiés ainsi que des inhumations illégales de 72 Chiliens détenus sans défense, en octobre 1973, dans les villes de Cauquenes, La Serena, Copiapó, Antofagasta et Calama.

(...)

L’arrêt de la Cour Suprême a été qualifié « d’historique » par la secrétaire d’État des États-Unis, Madeleine Albright, et de « décisif » par le président Lagos. Le ministre de l’Intérieur Insulza a souligné que « il a été perçu presque comme un jugement » (La Nación, 10 août 2000, p. 3) et que son contenu « ressemble beaucoup à une condamnation » (Caras, 18 août 2000, p. 70). Jaime Castillo, en mettant au même niveau soupçons fondés et présomptions fondées, lui confère pratiquement un caractère d’acte d’accusation. Tout cela montre à l’évidence que la procédure criminelle contre Pinochet doit être poursuivie pour enquêter sur sa responsabilité présumée dans les crimes de la Caravane de la mort, qui sont des crimes contre l’humanité comme celui des 19 détenus disparus, et des crimes de guerre comme celui des 53 exécutions politiques ; on affrontera ainsi sa mise en accusation ou inculpation, suite à sa déposition préalable.

Cela paraît d’autant plus urgent que, après le vote levant l’immunité, l’opinion publique nationale et internationale s’est montrée ébranlée par les révélations et témoignages qui ont filtré sur les atrocités commises par les forces armées durant le gouvernement de Pinochet.

Citons quelques cas :

1. Celui de l’enfant Carlos Fariña, âgé de 13 ans, arraché violemment à son domicile de La Pincoya, en octobre 1973, par une patrouille de carabiniers, pour être assassiné clandestinement par des militaires du régiment Yungay de 4 balles en plein visage et 8 dans le dos, puis enterré illégalement en lieu inconnu. On a refusé de révéler sa destination et l’endroit où il se trouvait à sa mère veuve (morte de chagrin et d’un cancer en 1977) ainsi qu’à ses deux frères, et cela pendant 27 ans. Son corps fut retrouvé par hasard près de l’aéroport de Pudahuel. (La Nación, 20 août 2000, p. 9)

2. Cas d’un groupe d’environ 700 détenus disparus. D’après le pasteur Enrique Vilches, président de la Congrégation méthodiste pentecôtiste universelle, dans une déclaration envoyée au Palais de la Moneda le 2 août 2000 et envoyée par celui-ci aux tribunaux de justice, ces gens furent transportés par Transportes Progreso et la Sudamericana de Vapores pour être jetés à la mer ; « on les arrosait d’un liquide pour que les poissons les dévorent plus rapidement et que même les ossements se dissolvent dans un délai n’excédant pas 5 jours ; on utilisait des morceaux de rails pour qu’ils soient engloutis. » Cette information lui a été fournie par un colonel en retraite de la force aérienne. « Il y a aussi le cas de 144 personnes qui entrèrent vivantes, les unes à l’Hôpital militaire et les autres à l’Hôpital de la Fach, et qui furent purement et simplement mutilées pour utiliser leurs corps, par exemple leurs cornées et leur moelle osseuse pour faire des transplantations, si bien que des personnes sont même venues de l’Uruguay pour utiliser ces organes. » (La Tercera, 3 août 2000)

3. Un témoignage concordant : celui de l’officier de l’armée en retraite Pedro Rodríguez Bustos, officier de Renseignements généraux du régiment Buin, témoignage fait devant le magistrat Juan Guzmán le 26 décembre 1999. Cet officier déclara avoir été informé d’un ordre secret émanant du Commandement de la garnison de l’armée à Santiago, qui proposait de tenir une réunion avec le corps des sous-officiers qui avaient fait partie du régiment Buin en 1973, dans le but que ceux-ci apportent des informations sur le lieu où avaient été enterrés les corps (des détenus disparus). La réunion se situait dans le cadre du « bien entendu, il s’agissait de « nettoyer » une frange du camp militaire de Peldehue qui devait être remis à Codelco Chile, División andina ». Le commandant du régiment Buin de l’époque, le colonel Mario Navarrete Barriga, ordonna la tenue de cette réunion, et les informations recueillies furent transmises au Commandement de la garnison qui eut la responsabilité de nettoyer ladite frange... L’opération reçut l’appui d’hélicoptères du Commandement d’aviation de l’armée et les restes des exécutés furent retirés de l’endroit, puis jetés à la mer, dûment emballés. (El Mostrador, 21 août 2000)

Des témoignages précédents, qui n’ont pas été démentis, nous pouvons conclure que dans les atrocités concomitantes avec les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, ainsi que dans ces crimes eux-mêmes, furent impliqués des patrouilles, des militaires et des carabiniers, ainsi que des régiments, des commandements, des commandos d’appui, et même des hôpitaux de ces institutions. Tout cela compromet institutionnellement les forces armées et les forces de l’ordre et rend invraisemblable leur version selon laquelle elles ignorent où se trouvent les détenus disparus ; invraisemblables aussi leurs « difficultés » à répondre aux tribunaux de justice ou simplement à la Table de dialogue. De telles « atrocités » révèlent à quel point est immoral le soutien de la « famille militaire » ou des partis de droite ou des chefs de grandes entreprises aux principaux responsables desdites atrocités, à commencer par celui qui était à la tête du gouvernement militaire, le général Pinochet. De même, elles mettent en lumière à quel point est pernicieuse, perverse et irresponsable l’attitude de ceux qui, sous prétexte de « paix sociale » ou de « réconciliation » ou de « procès en bonne et due forme », proposent de régler le « cas Pinochet » en invoquant une prétendue mauvaise santé physique et/ou mentale pour lui permettre de rentrer chez lui en toute impunité, laissant le champ libre pour que, dans l’avenir, se repète un nouveau et atroce génocide, semblable ou pire encore, qu’il soit de droite ou de gauche. Voilà le problème social majeur que nous pouvons léguer à nos enfants et petits-enfants, aux nouvelles générations.

Le défi pour le peuple chilien, et spécialement pour son pouvoir judiciaire, est le suivant : condamner ou absoudre les crimes contre l’humanité d’un dictateur. Le monde nous observe. On ne peut pas ressusciter les morts. On ne peut défendre le droit à la vie qu’en sanctionnant les assassins. Jésus de Nazareth le dit : « Vous avez entendu qu’il a été dit à vos pères : « Tu ne tueras point et celui qui tuera sera jugé. Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi et les Prophètes. Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » (Mt. 5, 21, 17)


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2435.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Reflexión y Liberación, septembre-novembre 2000.
 
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