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AMÉRIQUE CENTRALE - Conflits frontaliers

dimanche 1er avril 2001, mis en ligne par Dial

L’héritage colonial se fait toujours sentir en Amérique centrale en matière de délimitation imprécise de certaines frontières. Cela donne lieu régulièrement à des tensions que chaque État déclenche et utilise au gré de ses propres nécessités intérieures, pour renforcer le sentiment national et détourner l’attention d’autres problèmes intérieurs. Les personnes qui vivent aux frontières se reconnaissent mal dans ces politiques. Il vaut mieux développer que militariser ! Article paru dans Noticias Aliadas, 18 décembre 2000.


Vingt jours après que les soldats du Belize aient volé un drapeau guatémaltèque dans une école isolée de la frontière, celui-ci fut renvoyé en hélicoptère dans la ville de Guatemala. Au cours de la cérémonie mélodramatique du 4 novembre 2000, l’ambassadeur guatémaltèque au Belize remit le drapeau au ministre des relations extérieures, qui le passa au président, qui à son tour le mit dans les mains du ministre de la défense, qui le passa à un groupe de cadets qui le hissèrent et qui tirèrent 21 coups de canon pour le saluer.

Avec sept pays partageant un peu plus de 500 000 km2, l’Amérique centrale a connu pendant longtemps des conflits frontaliers car ces pays sont en compétition pour l’espace. Mais, alimentées par des politiques intérieures et des ingérences étrangères, les tensions ont augmenté ces derniers mois tout le long des 4 000 km de frontières.

Deux paysans guatémaltèques ont été assassinés l’année passée à la frontière par les soldats du Belize. En octobre 1999, le Guatemala avait relancé sa revendication concernant le territoire du Belize, l’ex-colonie britannique devenue indépendante en 1981. Le Guatemala avait suspendu sa revendication en 1986, mais aucune délimitation de la frontière ne fut établie par accord mutuel. En dépit des efforts de médiation de l’Organisation des États américains (OEA), les deux gouvernements ont militarisé la frontière, et le Belize a demandé à la Grande-Bretagne d’accroître son aide militaire.

Parmi les facteurs qui ont contribué à l’augmentation des tensions, il y a, d’une part, la nécessité pour le gouvernement guatémaltèque de détourner l’attention d’une situation détériorée au plan économique et de la sécurité, et d’autre part une cartographie imprécise. Dans toute la région, les frontières ont été mal définies par les gouvernements coloniaux. Les régions frontalières, éloignées des centres de pouvoir politique et économique, ont servi de refuges pour des dissidents et des groupes d’indigènes en fuite et, pendant des décennies, les gouvernements centraux ont eu peu d’intérêt à renforcer les contrôles.

Pendant le siècle passé, un fort sentiment nationaliste conduisit les politiques à essayer d’exercer leur contrôle sur les frontières, avec des résultats mitigés. Alors que l’arbitrage international avait réglé divers points en discussion, il n’a pas suffi d’ajuster les cartes pour réduire les tensions dans les différentes régions. À la frontière entre El Salvador et Honduras, fixée en 1992 par la Cour internationale de justice dont le siège est à La Haye aux Pays-Bas, les citoyens ne savent toujours pas avec certitude s’ils sont Salvadoriens, Honduriens ou les deux.

L’intervention étrangère - la plus récente est celle des États-Unis dans les années quatre-vingt - a exacerbé les querelles. Les contras rebelles soutenus par les États-Unis ont livré une guerre à partir des bases installées au Costa Rica, donnant ainsi aux Nicaraguayens la sensation que leur frontière sud - le fleuve San Juan qui constitue 42 % des 300 km qui séparent les deux pays - était vulnérable. Le président nicaraguayen Arnoldo Alemán dont la popularité déclinait, a suscité le sentiment nationaliste contre l’ingérence du Costa Rica sur le fleuve qui, selon le Traité Cañas-Jerez de 1858 - premier accord frontalier formel -, est contrôlé par le Nicaragua.

La querelle qui s’est exacerbée l’année passée est aussi le résultat d’un développement économique inégal. Plus d’un demi-million de Nicara-guayens ont fui la pauvreté pour rechercher du travail au Costa Rica, incitant à la xénophobie et fournissant au président costaricain Miguel Ángel Rodríguez un argument convenable pour justifier des conditions sociales mauvaises. Une enquête récente de CID-Gallup a montré que 46 % des Costaricains considèrent le Nicaragua comme un « ennemi ».

Les essais d’intégration régionale économique ont été durement critiqués. Un pacte économique en discussion entre le Mexique, le Guatemala, le Honduras et El Salvador réduirait la bureaucratie frontalière pour accélérer le transport des marchandises dans la région. Voyager par voie terrestre du Guatemala au Panama prend 72 heures, et 20 au moins sont perdues au passage des frontières. Mais des milliers de résidents aux frontières qui gagnent leur vie en changeant de l’argent et en renseignant les voyageurs sur les démarches à faire, ont menacé de fermer violemment les passages aux frontières si leurs revenus étaient mis en péril.

Les tensions frontalières se sont étendues à l’océan. Les querelles sur les limites des eaux partagées par le Belize, le Honduras et le Guatemala dans le golfe du Honduras, et par El Salvador, le Honduras et le Nicaragua dans le golfe de Fonseca ont entraîné des confrontations répétées et une installation coûteuse de flotteurs. Une décision de 1999 prise par le Honduras et la Colombie pour partager la Caraïbe, apparemment au détriment du Nicaragua, a incité Alemán à se rattraper en établissant un impôt de 35 % sur les produits du Honduras.

Selon Carlos Granados, professeur de géographie à l’université de Costa Rica, les querelles frontalières continueront jusqu’à ce que les politiques reconnaissent le point de vue de 4 millions de personnes qui vivent tout au long des frontières de la région.

Granados a déclaré : « La limite des frontières est perçue dans la capitale d’une façon très différente qu’aux frontières elles-mêmes. Ici nous parlons de souveraineté, quand dans ces régions la frontière est une membrane très vulnérable constamment traversée. Au lieu de vouloir militariser la frontière, que [les gouvernements] établissent une législation qui favorise le développement. »

Héctor Rosada, coordinateur du Projet de coopération transfrontalière en Amérique centrale, a souligné qu’un tel développement doit être établi localement.

Rosada a précisé que souvent les projets traditionnels de développement « partent de l’État, du centre. La main longue de l’État s’étend parfois jusqu’aux frontières, mais au moment des conflits elle se referme comme un poing et les blinde. Lorsqu’il y a des conflits, cette coopération transfrontalière se transforme en défense de la souveraineté et de la territorialité, et ne permet pas que soient mieux intégrés et mûris les projets de développement en provenance de l’extérieur. » Mais même les projets de développement les mieux faits pourraient être mis en danger par l’intervention militaire étrangère. Beaucoup d’observateurs craignent que ne s’étendent dans la région les efforts menés par les États-Unis dans leur lutte contre le drogue, et Granados est préoccupé par le débordement du conflit armé de Colombie sur le Panama et le reste de l’Amérique centrale.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2457-2.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, décembre 2000.
 
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