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DIAL 2458

EL SALVADOR - Retrouver les enfants disparus : une recherche juste et nécessaire

dimanche 1er avril 2001, par Dial

Face à certains propos dubitatifs, une association salvadorienne, Pro-Búsqueda (cf DIAL D 2411), regroupant des familles d’enfants disparus pendant la guerre (1979-1992) explique ici les diverses raisons pour lesquelles il est nécessaire de continuer les recherches permettant de localiser les enfants disparus. Texte paru dans En Búsqueda, novembre 2000, San Salvador (El Salvador)


« Il n’y a pas de soulagement à ma douleur, mon coeur défaille. Pourquoi ma douleur est-elle sans fin ? » Jr 8,18 et 15,21.

Ces derniers jours, à travers différents média, des opinions diverses au sujet des faits survenus pendant le conflit armé se sont fait entendre. La métaphore la plus employée consistait à comparer ce qui s’était passé à des « blessures ». Le président Francisco Flores lui-même a déclaré que revenir sur des affaires comme celle des jésuites assassinés à la UCA [1] revenait à « rouvrir les blessures du passé, rouvrir ce dossier produira une polarisation de la société. »

Pro-Búsqueda travaille sans cesse à guérir les blessures ouvertes dont souffrent de nombreuses mères et leurs enfants, victimes de la disparition. Des mères qui, des années durant ont dû survivre en endurant la douleur constante de ne pas savoir où se trouvaient leurs fils et leurs filles. Dans ce sens, les familles qui sont membres de Pro-Búsqueda ne rouvrent pas les blessures du passé puisqu’elles ont été toujours ouvertes, ce sont des blessures du présent, elles seront des blessures de l’avenir tant que l’on ne saura pas où sont leurs filles et leurs garçons disparus. Ces familles ont encore bien moins l’intention de polariser la société salvadorienne, car il faut rappeler qu’il n’y aura pas de véritable réconciliation sans la rencontre d’elles et de la société avec les enfants disparus.

Ceci étant, nous voulons partager quelques réflexions sur les raisons des enquêtes sur les cas d’enfants disparus. La première raison est que la pratique de la disparition forcée et de la disparition liée au conflit est un fait établi. Pro-Búsqueda a enregistré 598 dénonciations dont la moitié sont, au sens strict, des disparitions forcées. La disparition, fait impossible à nier, ne peut pas être le fruit d’une imagination perverse qui prétendrait discréditer des institutions ou des personnes. Il y a une douloureuse histoire à raconter derrière chacun des cas dénombrés. Il est bien évident que ce n’est ni le lieu ni notre objectif de le faire ici ; par contre nous voulons qu’il soit bien clair que c’est cette douleur, que pendant des années les familles de Pro-Búsqueda ont portée dans leur coeur, qui est la raison principale, le moteur de nos recherches. Dans certains cas il a été et il sera possible de localiser les disparus, aujourd’hui adolescents, dans le pays même ou à l’étranger. Chacune des retrouvailles contribue dans une large mesure à amoindrir la douleur et à refermer la blessure d’une mère ou d’un père, d’une grand-mère ou d’un grand-père.

Une autre raison est que les instances compétentes de l’État d’El Salvador, en ce qui concerne l’affaire des enfants disparus et d’autres affaires, n’ont pas, à ce jour, mis en place des recherches destinées à clarifier, aux yeux de la société, le comment et le pourquoi de ces événements. Ce n’est que de façon implicite que l’on reconnaît que la pratique des disparitions d’enfants a eu cours pendant le conflit armé.

Face à l’opinion publique certains membres ou ex-membres des forces armées ont avancé l’argument, entre autres, que recueillir et éloigner les enfants de la zone de conflit pour ensuite, par exemple, les remettre à la Croix Rouge d’El Salvador, avait été un « acte humanitaire ».

Cela induit des questions : pourquoi, maintenant, ne collaborent-ils pas avec nous en nous permettant de faire des recherches dans leurs archives afin de localiser le lieu où se trouvent actuellement ces enfants ? Pourquoi s’y refusent-ils ? Ne serait-ce pas une démonstration supplémentaire de leur humanité que d’autoriser l’accès aux archives ? Ces interrogations valent pour les personnes et les institutions liées aux disparitions et au procédures d’adoption de centaines d’enfants.

Enfin, le droit à la vérité, même lorsque l’accès à la justice pénale est refusé, est une chose à laquelle les familles ne peuvent pas, humainement, renoncer. Comment une mère peut-elle oublier ou renoncer à connaître le sort du fruit de ses entrailles ? C’est pourquoi le cri « Où sont-ils ? » exprime le bien fondé du droit des familles à savoir ce qu’il est advenu de leurs filles et de leurs fils. C’est un droit reconnu par la Convention de l’enfant, et plus largement, par le droit international.

Le droit à la vérité n’est pas en contradiction avec la loi d’amnistie. Ce que la loi d’amnistie empêche c’est d’ouvrir un procès pénal à l’encontre des responsables. Mais pas dans tous les cas, puisque la disparition forcée, par exemple, est un délit qui n’a pas de prescription puisqu’il reste effectif tant que l’enfant disparu n’a pas été localisé, ce qui signifie que la disparition forcée ne peut être juridiquement amnistiable.

À ce jour Pro-Búsqueda a pu mettre en lumière une partie de la vérité à travers le processus de recherche qui a rendu possibles les retrouvailles de 104 jeunes avec leurs familles ; par ailleurs 78 autres cas résolus sont en attente du moment des retrouvailles.

Chacun des jeunes retrouvé est, en quelque sorte, une petite lumière qui éclaire les recherches de notre Association. C’est en outre un apport à la réconciliation nationale qui ne sera durable que dans la mesure où elle prendra appui sur la rencontre avec la vérité, pour l’instant prisonnière de la peur démesurée de ceux qui disent qu’ils n’ont pas de comptes à rendre et qu’ils n’ont rien à craindre.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2458.

 Traduction Dial.

 Source (espagnol) :  En Búsqueda, novembre 2000.

 

En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

 

 

responsabilite


[1UCA : Université Centraméricaine de San Salvador, tenue par les jésuites. C’est là qu’eut lieu le massacre de cinq d’entre eux ainsi que de deux autres personnes par un commando militaire le 16 novembre 1989 - Cf. DIAL D 1444 (NdT)

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