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DIAL 2465

AMÉRIQUES - Le “sommet des Amériques” et le “sommet des peuples des Amériques”

mardi 1er mai 2001, mis en ligne par Dial

Du 20 au 22 avril 2001 s’est tenu au Québec le IIIème Sommet des Amériques qui réunissait 34 chefs d’État et de gouvernement “démocratiquement élus” du continent américain et des Caraïbes, c’est-à-dire tous à l’exception de Cuba. L’objectif était d’avancer dans la réalisation d’une zone de libre-échange recouvrant l’ensemble du continent, concernant donc quelque 800 millions d’habitants. Un sommet alternatif, le Sommet des peuples des Amériques s’est tenu simultanément, regroupant quelque 2000 personnes appartenant à diverses organisations syndicales et populaires de différents pays. Un mur de trois mètres de haut séparait les deux sommets. Nous publions ci-dessous les principaux extraits de la déclaration finale du Sommet officiel, ainsi que la déclaration finale du Sommet des peuples (à l’exception de sa partie introductive).


Les progrès accomplis [1]

(…) Nous avons progressé dans la mise en œuvre des engagements collectifs que nous avons pris à Miami en 1994 et approfondis à Santiago en 1998. Nous reconnaissons la nécessité de continuer de remédier aux faiblesses de nos processus de développement et d’accroître la sécurité humaine. Nous sommes conscients qu’il reste beaucoup à faire si nous voulons que le processus du Sommet des Amériques ait sa place dans le cadre de la vie quotidienne de nos peuples et contribue à leur bien-être.

Indispensable démocratie

Nous reconnaissons que les valeurs et les pratiques de la démocratie sont fondamentales pour l’atteinte de tous nos objectifs. Le maintien et le renforcement de l’état de droit et du respect scrupuleux du système démocratique sont à la fois un objectif et un engagement commun, ainsi qu’une condition essentielle de notre présence à ce Sommet et aux Sommets futurs. Par conséquent, toute altération ou interruption inconstitutionnelle de l’ordre démocratique dans un État de l’hémisphère constitue un obstacle insurmontable à la participation du gouvernement de cet État au processus du Sommet des Amériques. Tenant dûment compte des mécanismes hémisphériques, régionaux et sous-régionaux actuels, nous nous entendons pour tenir des consultations dans l’éventualité d’une interruption du système démocratique d’un pays participant au processus du Sommet. (…)

Drogue, armes, corruption

Nous réitérons notre engagement à faire face aux nouvelles menaces multidimensionnelles à la sécurité de nos sociétés. Soulignons parmi celles-ci, le problème mondial de la drogue et les crimes s’y rattachant, le trafic illicite et l’usage criminel des armes à feu, le danger croissant que représente le crime organisé et le problème général de la violence dans nos sociétés. Reconnaissant que la corruption mine les valeurs démocratiques fondamentales, ébranle la stabilité politique et nuit à la croissance économique, et de ce fait, menace les intérêts vitaux dans notre hémisphère, nous nous engageons à raviver notre lutte contre la corruption. Nous reconnaissons également la nécessité d’améliorer les conditions favorables à la sécurité humaine à l’échelle de l’hémisphère.
Nous renouvelons notre engagement à l’égard de la mise en œuvre totale de la Stratégie antidrogue de l’hémisphère, fondée sur les principes de la responsabilité partagée, d’une approche globale et équilibrée, et d’une coopération multilatérale. Nous saluons le développement du Mécanisme multilatéral d’évaluation et réaffirmons notre engagement à faire de ce mécanisme unique au monde un des piliers centraux d’une coopération hémisphérique efficace dans le contexte de la lutte contre l’ensemble des facteurs qui constituent le problème mondial de la drogue. Nous exprimons notre soutien aux programmes de développement alternatif efficaces visant à éradiquer la culture illicite et nous nous efforcerons de faciliter l’accès au marché pour les produits qui résultent de ces programmes. (…)

Ouverture des marchés et réduction de la pauvreté

Des économies libres et ouvertes, l’accès aux marchés, des mouvements d’investissements soutenus, la formation de capital, la stabilité financière, des politiques publiques appropriées, l’accès à la technologie ainsi que le développement et la formation des ressources humaines sont essentiels pour réduire la pauvreté et les inégalités, élever les niveaux de vie et promouvoir le développement durable. Nous collaborerons avec tous les secteurs de la société civile et avec les organisations internationales pour faire en sorte que les activités économiques contribuent au développement durable de nos sociétés. (…)

Environnement

Nous reconnaissons le défi que représente la gestion de l’environnement dans l’hémisphère. À cet effet, nous demandons à nos gouvernements de s’engager à renforcer la protection de l’environnement et l’utilisation durable des ressources naturelles en vue d’établir un équilibre entre le développement économique, le développement social et la protection de l’environnement, ceux-ci étant des éléments interdépendants qui se renforcent mutuellement. Notre objectif est d’atteindre un développement durable dans l’ensemble de l’hémisphère.

Droit du travail

Nous favoriserons le respect des normes fondamentales du travail reconnues au niveau international, telles qu’elles ont été incluses dans la Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi adoptée en 1998 par l’Organisation internationale du travail (OIT). Nous prendrons en considération la ratification ou l’adhésion des ententes de base de l’OIT, comme il convient. Afin de concrétiser notre engagement à créer de meilleures possibilités d’emploi, à enrichir les compétences des travailleurs et à améliorer les conditions de travail dans l’ensemble de l’hémisphère, nous reconnaissons la nécessité d’aborder dans les forums hémisphériques et internationaux pertinents les questions de la mondialisation liées à l’emploi et au travail.(…)

Démocratie et développement

La démocratie et le développement économique et social sont interdépendants et s’épaulent mutuellement, étant tous deux des conditions fondamentales à la lutte contre la pauvreté et l’inégalité. Nous ne ménagerons pas nos efforts pour libérer nos concitoyens des conditions déshumanisantes de la pauvreté absolue. Nous nous engageons à déployer davantage d’efforts pour atteindre les objectifs en matière de développement international, notamment une réduction de 50 % de la proportion de personnes vivant dans la pauvreté absolue, et ce, d’ici l’année 2015. (…)

Migrants

Nous reconnaissons les contributions culturelles et économiques des migrants aux sociétés qui les accueillent ainsi qu’à leurs communautés d’origine. Nous nous engageons à assurer le respect de la dignité des migrants, un traitement humain et des protections juridiques appropriées, la défense des droits de la personne ainsi que des conditions de travail saines et sécuritaires. Nous renforcerons les mécanismes de coopération hémisphérique pour répondre aux besoins légitimes des migrants et adopter des mesures efficaces contre le trafic de personnes.

Éducation et santé

L’avancement vers des sociétés plus démocratiques, des économies en expansion et l’équité sociale repose sur une population instruite et une main-d’œuvre qualifiée. Nous avons convenu d’une série de politiques visant à améliorer l’accès à une éducation de qualité par le biais de la formation des enseignants, l’enseignement des valeurs civiques et l’utilisation des technologies de l’information à la fois dans nos salles de classe et pour mesurer les progrès réalisés vers l’atteinte de ces objectifs. De meilleures politiques en matière d’éducation et un investissement accru dans nos sytèmes d’éducation aideront à réduire la disparité des revenus et à combler le fossé numérique dans notre hémisphère.(…)

Nous soulignons que la bonne santé et l’égalité d’accès aux soins médicaux, à des services de santé et à des médicaments à un coût abordable sont essentiels au développement humain et à l’atteinte de nos objectifs politiques, économiques et sociaux. (…)

Nous considérons que la diversité culturelle qui caractérise notre région est source de grande richesse pour nos sociétés. Le respect et la valorisation de cette diversité doivent constituer un facteur de cohésion qui fortifie le tissu social et le développement de nos nations. (…)

Traduction diffusée par le gouvernement canadien.


Les promesses inaccomplies [2]

(...) Depuis le Sommet de Miami en 1994, les chefs d’État et de gouvernement se sont mis d’accord pour renforcer la démocratie et les droits humains, soutenir l’éducation et réduire la pauvreté dans les Amériques. Pendant sept ans, rien n’a été fait. L’unique ordre du jour qui a été appliqué, favorisé par le déficit démocratique, a été la négociation de la Zone de libre-échange des Amériques [ZLEA]1.
Ce n’est pas la première fois que les chefs d’État et de gouvernement promettent un monde meilleur. Ce n’est pas la première fois qu’ils demandent aux peuples des Amériques d’espérer les fruits hypothétiques du libre commerce. Ce n’est pas la première fois que nous faisons face à la non-réalisation des promesses des chefs d’État.
Le projet de la ZLEA établit statutairement les droits et libertés des investisseurs, consacrant la suprématie du capital sur le travail, transformant la vie et le monde en marchandises, niant les droits humains, sabotant la démocratie et minant la souveraineté des États.

Les asymétries dans les Amériques

Nous vivons sans aucun doute dans une Amérique marquée par d’intolérables inégalités et des asymétries politiques et économiques injustifiables :
 une population de 800 millions de personnes dont près de 500 millions vivent en Amérique latine, la moitié de celles-ci vivant dans la pauvreté ;
 une dette inacceptable envers les pays du Nord de 792 milliards de dollars américains, dont 123 milliards sont destinés au paiement de la dette pour la seule année 1999 ;
 une concentration du capital, de la technologie et des brevets dans le Nord ;
 les États-Unis et le Canada concentrent à eux seuls 80 % du poids économique ;
 un marché du travail où une proportion élevée des emplois relèvent du secteur informel, un secteur sans voix ni droits et où les droits du travail sont constamment violés.

Les effets négatifs du libre commerce

Les accords de libre commerce aggravent les inégalités entre les riches et les pauvres, entre les hommes et les femmes, entre les pays du Nord et les pays du Sud ; ils détruisent les liens écologiques entre l’homme et l’environnement. 20 % de la population mondiale consomme 80% des ressources naturelles de la planète. Ces accords orientent l’économie vers l’exportation au détriment des besoins des communautés locales. Nous assistons au renforcement du pouvoir économique et légal des entreprises, au détriment de la souveraineté des peuples.
Les accords de libre commerce peuvent entraîner la fragmentation du tissu familial et social, ce qui aura de graves répercussions sur la croissance et le développement de la jeunesse.
Les accords de libre commerce favorisent la marchandisation des biens communs de l’humanité et de la planète. La logique néo-libérale réduit le citoyen à un simple consommateur. Cette logique favorise la rentabilité à court terme sans prise en compte des coûts écologiques et sociaux.
Les accords de libre commerce menacent l’agriculture locale basée majoritairement sur le travail des femmes, sous la pression des grandes industries agroalimentaires et des politiques de dumping, mettant en danger la sécurité alimentaire.
Les accords de libre commerce favorisent la privatisation systématique des services publics tels que la santé, l’éducation et les programmes sociaux, moyennant les programmes d’ajustement structurel dans les pays du Sud et les coupes faites dans les budgets des pays du Nord.
Les accords de libre commerce favorisent la marginalisation des peuples indigènes et l’appropriation de leurs connaissances à des fins commerciales.
Les accords de libre commerce impliquent une féminisation croissante de la pauvreté et l’exacerbation des inégalités déjà existantes entre hommes et femmes. Les inégalités salariales augmentent considérablement ainsi que le travail accompli dans des conditions infrahumaines - et à tout le moins dégradantes - sans droit à la syndicalisation, le travail domestique et communautaire non rémunéré et non reconnu, la violence domestique et le commerce sexuel des femmes qui est devenu la troisième activité la plus lucrative après le commerce des armes et de la drogue.
Il n’est pas possible de parvenir à un accord équitable dans un tel contexte.

Ce que nous voulons

Nous voulons donner la priorité aux droits humains et collectifs tels qu’ils sont définis dans les traités internationaux, sur les accords commerciaux. Ces droits doivent être respectés sans discrimination ni exclusions basées sur le genre [sexe], l’orientation sexuelle, l’âge, l’ethnie, la nationalité, la religion, les convictions politiques ou les conditions économiques.
Nous voulons le respect absolu des droits humains qui sont universels, égaux et indivisibles.
Nous voulons construire des ponts entre les peuples des Amériques, nous inspirer du pluralisme de nos histoires et de nos cultures, nous renforcer mutuellement dans l’exercice de la démocratie représentative et participative.
Nous voulons expérimenter une véritable égalité entre hommes et femmes, assurer la protection de tous les enfants, respecter l’environnement, partager les richesses de manière solidaire et équitable.
Nous voulons le respect intégral des droits fondamentaux du travail, et parmi eux le droit de s’associer, le droit de négocier des accords collectifs et le droit de grève ainsi que leur application aux travailleurs migrants.
Nous faisons nôtre la Déclaration du Sommet des peuples indigènes célébré à Ottawa du 29 au 31 mars 2001 et nous réclamons la reconnaissance de leurs droits fondamentaux.
Nous voulons des États qui soient promoteurs du bien commun, capables d’intervenir activement pour assurer le respect de tous les droits humains, y compris, pour les femmes, le droit à une maternité librement consentie, pour renforcer la démocratie en y incluant le droit à la communication, pour assurer la production et la distribution de la richesse.
Nous voulons que les États garantissent l’accès universel et gratuit à une éducation publique de qualité, aux services sanitaires et sociaux, particulièrement en ce qui concerne les services destinés aux femmes (maternité, contraception, avortement), éliminent la violence contre les femmes et les enfants et veillent à la défense de l’environnement pour les générations présentes et futures.
Nous voulons des investissement socialement productifs et écologiquement responsables. Les règles qui s’appliquent à l’échelle continentale doivent promouvoir les investissements qui garantissent la création d’emplois de qualité à la place d’investissements spéculatifs. Ils doivent également favoriser une production durable et la stabilité économique.
Nous voulons un commerce juste et équitable.
Nous exigeons l’abolition de l’embargo des États-Unis contre Cuba.
Nous exigeons l’arrêt immédiat du Plan Colombie, qui militarise toute la région et aggrave la situation déjà déplorable des droits humains.
Nous exigeons des mécanismes démocratiques pour l’adoption de tout accord éventuel, ce qui passe par une ratification par référendum.
Nous accueillons avec joie les conclusions des différents forum du Sommet des peuples. Ces conclusions enrichiront notre projet alternatif pour les Amériques.
Nous lançons un appel aux peuples des Amériques pour intensifier leur mobilisation contre le projet de la ZLEA et développer d’autres modes d’intégration fondés sur la démocratie, la justice sociale et la défense de l’environnement.
Québec, 19 avril 2001.
D’autres Amériques sont possibles !

Traduction DIAL
En cas de reproduction, mentionner la source DIAL.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2271.
 Traduction Dial.
 Source (français) : IIIème Sommet des Amériques , avril 2001.
 
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[1Nous avons rajouté des sous-titres dans l’un et l’autre texte (NdR)

[2Sigle français : ZLEA (Zone de libre-échange des Amériques). Sigle anglo-saxon : FTAA (Free Trade Area of Americas). Sigle espagnol : ALCA (Area de Libre Comercio de las Americas) (NdR)).

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