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DIAL 2487

MEXIQUE - Le gouvernement entend se prémunir contre la biopiraterie

Diego Cevallos

lundi 16 juillet 2001, mis en ligne par Dial

Plusieurs fois, nous avons ici même attiré l’attention sur les phénomènes de biopiraterie dont sont victimes les pays d’Amérique latine (cf. DIAL D 2045, 2136, 2303, 2419, 2444). Actuellement, le gouvernement du Mexique envisage de mettre sur pied un organisme spécialisé pour freiner les tentatives des entreprises étrangères de faire breveter des espèces vivantes dont le lieu d’origine est le Mexique. Article de Diego Cevallos, diffusé par IPS, juin 2001.


Le vice-ministre de l’agriculture, Victor Villalobos, a expliqué à IPS que la décision a été adoptée après que l’entreprise étasunienne POD-NERS ait enregistré sous son nom un haricot semblable à celui produit au Mexique et après la tentative de la firme transnationale Dupont de faire la même chose à propos d’un type spécial de maïs.

Les organisations non gouvernementales écologiques qualifient les actions de ces compagnies transnationales de biopiraterie.

Villalobos a pris la défense de la création de l’organisme en indiquant que le gouvernement "doit veiller au respect du droit des agriculteurs, des paysans et des ethnies, puisque ce sont eux qui ont sélectionné les races et les variétés des espèces végétales que nous connaissons aujourd’hui". Le nouvel institut, dont le nom n’a pas encore été arrêté, aura pour mission de réaliser des études et de défendre à l’extérieur le contrôle mexicain sur les espèces originaires du pays, y compris dans les cas où elles auraient été modifiées à travers une manipulation génétique ou des croisements naturels.

Les experts avertissent que le progrès de la biotechnologie permet que n’importe quelle espèce vivante originaire du monde en développement peut être modifiée et ensuite brevetée par des firmes transnationales. Villalobos a expliqué, face à cela, que l’organisme désigné par le gouvernement de Vincente Fox, qui peut être mis en route en septembre, recouvrira les tâches de contrôle et de suivi des demandes d’inscription faites pour obtenir les brevets de produits originaires du Mexique.

L’affaire a pris de l’importance après que le groupe écologique international Greenpeace ait protesté en mai à Mexico pour alerter sur le fait que l’Office européen des brevets s’apprêtait à reconnaître le maïs Optium, présenté par Dupont, et dont les caractéristiques sont similaires aux espèces autochtones mexicaines.

Le droit de propriété sur le type de maïs que défend Dupont, développé avec des méthodes traditionnelles d’amélioration génétique, devait entrer en vigueur le 1er juin en Europe. Toutefois, au dernier moment, le gouvernement du Mexique a présenté un recours de non-conformité devant l’Office européen des brevets, ce qui a permis que soit lancé un processus de controverse et de délibération.

Le maïs Optium HOC/HO a des caractéristiques similaires, quoique non identiques, à diverses espèces mexicaines. Les experts signalent que la reconnaissance de Optium peut porter préjudice aux producteurs locaux, car elle donnerait à Dupont la propriété exclusive d’un type de grains dérivés de l’original. La firme a répondu que son grain, lequel contient un minimum de 6% d’huile et de 55% d’acide oléique, n’existe pas au Mexique ni en aucun autre pays. Elle a même assuré que son produit a été obtenu par le croisement d’espèces étrangères au Mexique.

Le sous-secrétaire Villalobos a reconnu devant IPS qu’il n’y a pas d’étude montrant qu’il y aurait au Mexique un type de maïs ayant les caractéristiques exactes de celui de Dupont, "mais nous sommes le pays d’origine et dans peu ou beaucoup de temps les spécialistes obtiendront une espèce semblable".

De son côté, Liza Covantes, une des porte-voix au Mexique de Greenpeace, a indiqué que, même si on n’a pas gagné pas le procès, la "rapacité" d’une entreprise transnationale agrobiotechnologique a été du moins freinée.

Mais le gouvernement de Fox n’est pas sûr d’obtenir l’annulation du brevet, qui rentrerait en vigueur seulement en Espagne, France et Italie, pays auxquels le Mexique ne vend pas de maïs.

Villalobos a précisé : "Nous devons reconnaître qu’il n’y a pas au Mexique d’évidences scientifiques qui prouve l’existence d’une espèce comme Optium, mais il n’y a aucun doute que ce pays est le lieu d’origine du grain." "C’est un cas typique de le biopiraterie", a soutenu la Fondation internationale pour le progrès rural, organisme non gouvernemental. Biopiraterie est un terme forgé par des groupes écologiques pour définir la pratique présumée d’entreprises du Nord industrialisé consistant à enregistrer comme leur appartenant des connaissances ancestrales sur les plantes et d’autres êtres vivants originaires du Sud en développement.

Les écologistes et les autorités mexicaines pensent qu’on ne peut pas accorder le brevet réclamé par Dupont, car le type de maïs qu’il défend est similaire à des espèces locales.

En revanche, Dupont assure que c’est une espèce unique, qui "présente des valeurs ajoutées pour la santé et pour la nutrition, comme l’huile monoinsaturée, qui réduit le mauvais cholestérol en même temps qu’il maintient le bon".

Les écologistes ont averti, dans une lettre envoyée au ministère de l’agriculture le 15 mai, que les répercussions pour le Mexique seraient très graves au cas où le brevet sollicité par Dupont entrerait en vigueur. Covantes a indiqué que si cette entreprise transnationale parvient à faire reconnaître Optium, il deviendrait impossible de commercialiser le maïs mexicain ayant des caractéristiques semblables, du moins en Europe, et ses producteurs se verraient obligés de payer des royalties à la transnationale.

Le maïs est originaire de la zone que le Mexique occupe aujourd’hui. C’est après avoir cultivé cette plante pendant des milliers d’années que les peuples originaires ont créé autour de ce grain une cosmologie que l’on retrouve encore aujourd’hui.

Le Mexique connaît en matière de biopiraterie d’autres cas différents de celui de Dupont.

Les autorités de l’agriculture sont engagées depuis 1999 dans un processus pour annuler un brevet accordé aux États-Unis pour un type de haricot, espèce cultivée pendant des siècles au Mexique. L’histoire du conflit date de 1994, quand Larry Proctor, président de l’entreprise POD-NERS, acheta un paquet de haricots au nord du Mexique et l’emmena aux États-Unis. Ensuite, il sélectionna à partir de ce paquet les grains jaunes et les cultiva et, après divers croisements, il obtint ce qu’il décrit comme une population uniforme et unique de haricots. POD-NERS sollicita le brevet en 1996 et trois années après il lui fut accordé sous le nom de Enola. Toutefois, les agriculteurs mexicains soutiennent qu’il s’agit d’une espèce très semblable à celle qu’ils cultivent.

Selon la Fondation internationale pour le progrès rural, le cas du maïs et du haricot mexicain démontre la fragilité ou l’inefficacité des normes internationales pour réguler les brevets des êtres vivants, et pour protéger les pays en développement face à la biopiraterie.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2487.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, juin 2001.
 
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