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VENEZUELA - Une révolution sans modèle (par Paul Priou)

mercredi 1er novembre 2006, par Dial

Lors de son voyage annuel en France, où il retrouve sa famille et ses amis, le Père Paul Priou nous [1] a parlé de ce Venezuela où, avec la JOC [2], il prend part depuis trente-sept ans aux aspirations et aux luttes du peuple. « Ce que nous rêvions de faire est en train de s’accomplir », dit Pablo. « Jamais nous n’aurions pensé voir cela de notre vivant. »

 Des élections doivent se tenir le trois décembre prochain au Venezuela. Pouvez-vous faire le point ?

 Rappelons qu’aux élections législatives de 2005, l’opposition n’avait pas voulu participer. De ce fait, la Chambre est constituée aujourd’hui de différents partis qui adhèrent tous, chacun à leur manière, au « processus » révolutionnaire. Cela pose problème. Cette fois-ci, le président Hugo Chávez tient absolument à ce que l’opposition soit présente. C’est dans cet esprit qu’il a accepté un changement notable à l’intérieur du Conseil national électoral (CNE), l’organisme qui s’occupe de tout, composition des listes, bureaux de vote, observateurs internationaux, etc. Le nouveau CNE, dont les membres sont des indépendants, a été élu après consultations entre les forces gouvernementales et les forces d’opposition. Avec l’appui de quelques universités, les nouveaux élus se livrent à une révision du registre électoral et plus largement à tout ce qui touche la mise en place des élections. Un exemple : l’emploi des machines électroniques qui avait soulevé des critiques et des controverses. Donc, de ce point de vue, les choses sont calmées. Le plus gros souci de l’opposition était de se mettre d’accord sur un candidat unique. Finalement, l’ancien gouverneur de l’État de Zulia, Manuel Rosales, a été choisi pour faire face à Chávez. Celui-ci jouit d’une forte popularité gagnée grâce aux acquis sociaux, à ces diverses « missions » qui s’accomplissent pour changer la vie des gens des barrios [3] dans l’éducation, la santé, l’alimentation, le secours aux indigents - mission « La Negra Hipólita » - les transports. Bientôt seront inaugurées des lignes de métro et aussi ce qui manquait le plus dans un pays adorateur de la voiture, un train. Il couvrira tout le territoire et assurera des liaisons entre les banlieues et la ville de Caracas. Autre grand projet en collaboration avec le gouvernement colombien en cours de réalisation : l’oléoduc qui partira de Maracaibo et traversera la Colombie pour arriver à la côte du Pacifique et approvisionner ces grands demandeurs en énergie que sont les pays asiatiques.

 Les attaques de l’opposition restent très virulentes. Sur quoi portent-elles ?

 Les critiques visent surtout la politique internationale menée par le gouvernement. Les dépenses qu’il finance pour venir en aide aux pays d’Amérique centrale dans le domaine énergétique, et en faveur d’une Amérique latine unie. Un exemple. Chávez a racheté une partie de la dette argentine, afin que ce pays puisse aller de l’avant. Envers la Bolivie aussi, l’aide est remarquable. Des médecins et des éducateurs vénézuéliens travaillent sur le terrain. Animés par les mêmes préoccupations déployées dans leur propre patrie. Sait-on que l’UNESCO a déclaré le Venezuela « Territoire Libre d’Analphabétisme » ? La grande presse ne s’attarde pas là-dessus. Tout le monde sait que Chávez a acheté des armes à la Russie mais ignore qu’il a distribué un million d’exemplaires du Don Quichotte de Cervantes, et qu’il pense à distribuer 500 000 livres du roman de Victor Hugo, Les Misérables. On essaye de former des cercles de lecture sur les places publiques, on a créé et inauguré des studios de cinéma afin de renouer avec la production de films. C’est la première fois dans l’histoire que l’argent du pétrole est distribué de cette façon.

 Mais la politique sociale ne peut pas constituer à elle seule une politique de développement ?

 L’encouragement à fonder des coopératives est au cœur des projets actuels. Un appel a été lancé et actuellement on compte 100 000 coopératives inscrites. Dans tous les secteurs d’activités. Mais disons-le, on n’en est qu’aux premiers pas dans la formation des responsables de ces coopératives, surtout en ce qui concerne la production. Il est plus facile de monter des coopératives de services que de production. Ou de favoriser ce que l’on appelle des « entreprises de production sociale », où l’on parviendrait à éviter la structure verticale en encourageant la participation, y compris dans les entreprises qui dépendent de l’État. Quand tu veux aboutir à une démocratie participative, le chemin est dur. Tu ne passes pas d’une structure d’assistance à une structure de participation en claquant des doigts. Prenons un autre exemple : les Conseils communaux. Dans le quartier de Petare, où je vis, notre amie Raquel, que tu connais, appartient au Conseil communal. Un projet, évalué à trente millions de bolivars, a été approuvé pour installer l’eau dans la partie haute du quartier. Cinq personnes étaient responsables des travaux, cinq personnes en contrôlaient la bonne marche. Eh bien les gens ne voulaient pas croire que Raquel ne touchait pas une commission. C’est enraciné dans les mentalités, selon le fameux précepte : « Ne me donne pas de l’argent, mets-moi là où il y en a ».

 « En avant vers le nouveau socialisme », telle est la devise de Chávez. Comment l’interpréter ?

 Il est aussi question de « Socialisme du XXIe siècle ». Ce qui a cours ici est une révolution sans modèle, qui acquiert ses caractéristiques à partir de ses propres expériences. Au mois de juillet 2006, s’est tenu ici le Second Congrès de Philosophie Internationale. Énorme brassage d’idées, avec beaucoup de personnalités venues de l’Amérique latine. Avant cela, en janvier, il y a eu à Caracas le Forum social mondial (FSM). Un projet politique important, visionnaire, se donnant pour but de mettre en échec la globalisation libérale. La JOC s’est consacrée à organiser, parmi les actes du Forum, le 1er Congrès Latino-Américain, réunissant une dizaine de pays, du Mouvement des enfants et des adolescents travailleurs. CARITAS avait son stand, les Églises œcuméniques avaient leur stand, l’Église catholique avait son stand. La réflexion sur la Théologie de la libération a été approfondie.

 L’Eglise a fait partie des détracteurs les plus acharnés du régime. Où en est-elle aujourd’hui ?

 Mgr Jorge Urosa, qui était auparavant archevêque de Valencia, a été nommé archevêque de Caracas, alors que le poste était vacant depuis deux ans. Au cours des six premiers mois de l’année 2006, les relations se sont améliorées entre la hiérarchie et le gouvernement. Mgr Urosa a été reçu par le président Chávez, par le Maire de Caracas, dans un climat d’entente et de respect. Et, lorsqu’il était de retour de Rome où il venait de recevoir la « pourpre cardinalice », Chávez a tenu à l’accueillir à l’aéroport. Cela dit, entre autres, il reste deux points qui coincent. Le premier touche à l’enseignement religieux dans les écoles publiques, que l’Église réclame. Et le second tient aux transformations exigées à l’intérieur du Conseil national électoral, les mêmes que celles exigées par l’opposition. Est-ce à dire qu’il n’y a pas de réconciliation ? Non, c’est complexe, fluctuant, des remous se produisent, des évolutions.

Le Venezuela s’est fait le champion de l’Intégration latino-américaine. Pourtant, il a récemment quitté la Communauté andine des nations (CAN), dont il faisait partie avec le Pérou, l’Équateur et la Colombie.

Il s’est retiré parce que les autres membres avaient signé des accords bilatéraux avec les États-Unis, permettant ainsi aux produits importés des États-Unis de pénétrer sans frais de douane sur les marchés concernés. N’oublions pas les déboires du Mexique après son entrée dans le grand ensemble nord-américain. Cela a causé la ruine des petits paysans et des petites entreprises. En revanche, le MERCOSUR - Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, plus le Venezuela et la Bolivie en tant que membre associé – est appelé à jouer un rôle de plus en plus important dans la cohésion du continent. Que l’ALBA (Alternative Bolivarienne pour les peuples de notre Amérique, signée en décembre 2004 entre Cuba et le Venezuela, et suivie par la Bolivie, contre le projet de Zone de libre-échange des Amériques, ZLEA, ALCA en espagnol) soit une utopie, oui. Une utopie à poursuivre. Ce serait fonder les relations économiques sur l’appui entre les uns et les autres et non pas sur la concurrence qui élimine le voisin. Que les relations économiques ne soient plus fondées sur la concurrence mais sur la solidarité et sur la coopération irait totalement à contre-courant de la pensée néo-libérale. On ne peut être que d’accord avec de telles orientations, du même coup d’ailleurs on sauverait la planète. L’initiative de Chávez d’offrir du pétrole à moindre prix aux quartiers défavorisés des villes des Etats-Unis a suscité un tollé. Et plein d’autres initiatives de ce style. « Scandale », ont crié les gens de l’opposition. Pourquoi donner aux autres alors que chez nous il y a tant à faire. Courte vue.

 Avais-tu pensé, Paul, voir un jour le Venezuela changé de fond en comble ?

 Les copains disent : on voit se mettre en place ce que nous avions toujours voulu faire, et que nous pensions ne voir jamais. Peut-être nos enfants ou nos petits-enfants… Cette révolution sans modèle, en train de se faire, répond aux aspirations et aux luttes que nous avons menées. Certains bons esprits avaient glosé sur « la fin de l’histoire »… Nous montrons qu’il existe une alternative, que quelque chose de nouveau émerge. Certes le nouveau système économique n’est pas réalisé. Mais ça bouge, et pas seulement ici. Avoir un Indien, Evo Morales, comme Président de la Bolivie, c’est un symbole. Une avancée sur laquelle on ne pourra pas revenir.


Propos recueillis par Françoise Barthélémy.

L’entretien a paru dans le numéro de novembre 2006 de la revue missionnaire Peuples du Monde.

Texte reproduit avec l’autorisation de la revue et de l’auteur.

responsabilite


[1Françoise Barthélémy pour la revue missionaire Peuples du monde.

[2Jeunesse Ouvrière Chrétienne.

[3quartiers.

Messages

  • Je crois devoir répondre à cet article car il ne reflète que une partie de ce que j’observe au Vénézuela.
    La problématique des élections et de l’identification du votant à l’aide de des machines électroniques est un problème TRES important. Lors de du réferendum présidenciel (que le président à tenté d’éviter par tout les moyens), des listes de personnes votant contre le président Chavez on été diffusées sur internet avec la mention "traître à la patrie" à l’initiative d’un député proche du gouvernement. Par la suite, des personnes ont perdu leur emploi à cause de leur prise de position lors de ce référendum. Cela pause un véritable problème de démocracie. Il est clair que Chavez a fragilisé la démocratie au Venezuela. Certes, il reçoit un soutient important mais rappelons que plus 40% des votants lors du référendum on voté pour son départ. Ce n’est pas rien.
    Je lis :"Celui-ci jouit d’une forte popularité gagnée grâce aux acquis sociaux". La popularité du président est certainement en baisse car la violence dans le pays semble incontenable. On parle de plus 40 morts de mort violente par jour sur le territoire. Le nouveau sport semble être la séquestration pour demander une rançon. Les gens ont peur pour leurs enfants. La population en a assez. La situation économique n’est pas bonne et l’emploi fait toujours défaut. C’est principalement du à la volonté du président de se venger de la grêve organisée par le passé par les entreprises et les commercants. Chavez gère énormement d’argent et tue les entreprises en important tout de l’étranger en revandant à bas pris sur des marchés publics. Les producteurs locaux ne peuvent récupérer leurs coûts et cessent de produire. Ainsi, le pays est de plus en plus dépendant de son pétrole et de ses importations et l’emploi disparaît.
    L’entrée massive d’argent du pétrole suite à l’augmentation du prix du barril, ainsi que sa gestion par le gouvernement pose également le problème de la corruption. Il est indéniable que cet argent est en partie utilisé pour faire adhérer les gens de façon volontaire ou forcée a projet du président. "Tu n’es pas avec nous, tu n’auras pas de travail". Transparency International, une ong multinationale classe le Vénézuela comme un des pays le plus corrompus du contienent américain et chaque année son index de performance à ce niveau se dégrade.
    Le président se présente comme l’intégrateur de l’Amérique Latine alors qu’il n’a de cesse de diviser. Pour rappel, le Vénézuela est en dispute plus ou moins ouverte avec le Mexique, la Colombie, l’Equateur et le Pérou, le Guatemala pour seul motif que leur gouvernements (élu aussi démocratiquement que Chavez lui-même) sont soit trop proches de Washington ou n’adhèrent pas à son projet.
    Je lis : "Sait-on que l’UNESCO a déclaré le Venezuela « Territoire Libre d’Analphabétisme » ? La grande presse ne s’attarde pas là-dessus.". D’après mes informations ce serait plutôt le contraire. Le gouvernement annonce un niveau d’analphabétisme de 0, alors que l’ONU annonce un chiffre de 1.000.000 d’analphabètes au Venezuela. On ne parle pas de la même chose. De plus le système éducatif est mis à mal et politisé. On ne compte plus les actions des jeunes universitaires qui protestent contre la main mise des politiques (chavistes) dans l’enseignement. Une nouvelle fragilisation de la démocratie.
    En ce qui concerne les réalisations d’instalations, le métro de Caracas est bien antérieur à Chavez. La mise en route du metro de Valencia qui est présentée comme une réalisation du gouvernement n’est pas correcte. Ce projet a été initié avant l’arrivée de Chavez au pouvoir. Lors de l’arrivée de celui-ci, ce projet à été mis en veilleuse. Les financements ont été bloqués par Chavez en conflit avec le gouverneur de cet état. Une fois qu’un de ses supporter est finalement élu (un militaire qui ne fait certainement pas l’unanimité), les financements ont repris et comme par hasard il est terminé peu avant les élections.
    Oui, il y a des choses positives qui voient le jour au Vénézuela. Les coopératives dont il est fait mention dans cet article semblent être une réalité. Mais à côté de cela il y a des choses qui font réellement peur et je dois dire que je suis très inquiet pour ce pays. Pourquoi le Vénézuela est-il en train de se militariser ? Quelle serait la menace ? A cela s’ajoute des choix économiques qui me semblent être plus que discutables.

    Voir en ligne : VENEZUELA - Une révolution sans modèle (par Paul Priou)

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