Accueil > Français > Dial, revue mensuelle en ligne > Archives > Années 2000-2009 > Année 2006 > Décembre 2006 > AMERIQUE LATINE - Brève défense de la théologie de la libération

DIAL 2903

AMERIQUE LATINE - Brève défense de la théologie de la libération

Jesús Roberto Ospina Salinas

vendredi 1er décembre 2006, par Dial

Il est toujours intéressant de découvrir comment un courant théologique peut être perçu par ceux qui n’en sont pas les producteurs mais plutôt les usagers. Ce texte, écrit par un non-spécialiste qui est un défenseur des pauvres et un croyant convaincu, a valeur de témoignage. Il atteste de l’influence que ce courant théologique a encore aujourd’hui dans la vie des croyants. Cet article, en provenance du Pérou, a été rédigé par Jesús Roberto Ospina Salinas. Il a été publié sur le site d’ADITAL (Agencia de Información Fray Tito para América Latina), le 4 septembre 2006.


Écrire une défense de la théologie de la libération excède ces quelques notes parce que je me considère seulement comme le militant d’une cause, celle des pauvres, sans compter tout ce que représenterait une telle proposition. D’un autre côté, je crois que la pratique de millions de personnes dans le monde est une affirmation quasi suffisante de l’actualité et du dynamisme de cette théologie. […] Je voudrais montrer ici que l’apport de la théologie de la libération comprend, selon mon point de vue, deux aspects fondamentaux.

Le premier est évident. Il a à voir avec l’agenda et la mise en évidence par toute l’Eglise catholique (et d’autres également) que le message évangélique central c’est l’amour pour Dieu et l’amour pour le prochain et que l’on aime authentiquement Dieu quand on aime son prochain. Dans la Bible et dans la pratique de Jésus-Christ, l’amour pour le prochain est décrit comme un amour pour le plus faible, la veuve, l’étranger et l’orphelin, et ceux-ci existent aujourd’hui au Pérou et dans le monde, particulièrement les pauvres et ceux qui sont extrêmement pauvres et exclus. Et pour rendre concret cet amour, la théologie de la libération propose comme chemin l’option préférentielle pour les pauvres. Elle souligne la qualité de l’option, de l’élection, de l’alternative, en faisant appel à la liberté humaine que nous avons tous de choisir ceci plutôt que cela. Aimer les pauvres n’est pas une obligation ni une imposition. Cette option relève de la liberté.

Cette option cherche la libération intégrale l’homme, tâche qui n’est pas facile et exige des changements. C’est pourquoi on indique que l’homme a besoin d’une transformation, d’une libération qui doit être intérieure (au niveau des attitudes et des valeurs dans l’être humain), et sociale (choisir de construire et de s’engager à vivre dans une société juste). Il doit se réconcilier avec l’amour gratuit de Dieu, pour avoir la foi et le courage, et surmonter ainsi le péché, raison ultime des mots humains pour le croyant.

Il en est ainsi parce que l’histoire humaine et l’histoire de Dieu sont unies. Ici sur la terre se réalise le plan de Dieu, il n’est pas possible de penser en un Dieu de la vie qui ne soit inséré dans cette vie, bien plus encore s’il en est le Créateur, Dieu est le premier promoteur de l’histoire. Un point mis en valeur par les spécialistes est le thème du libre arbitre. Dieu respecte sa création et les initiatives que les hommes ont de choisir pour faire le bien, d’où la nécessité pour les croyants d’agir, de s’engager dans l’histoire, et comme nous l’avons vu plus haut, à partir des préférés de Dieu : les pauvres.

Ainsi, Dieu est présent dans tout être humain, de façon cachée (parce que nous êtres humains sommes tous fils de Dieu) s’il n’est pas croyant, et de façon active s’il croit en Dieu et pratique en plus la justice. Dieu agit dans l’histoire à travers des actes humains. C’est pourquoi celui qui dit aimer Dieu et n’aime pas son prochain est un menteur, car c’est l’action qui découvre et révèle Dieu dans l’homme. La prière est aussi une action, je crois, quand elle s’oriente vers l’amour, quand elle est une expression de l’amour.

L’œuvre monumentale du père Gustavo Gutiérrez, La Théologie de la libération, Perspectives, et celle d’autres théologiens, ont marqué et développé ces idées et beaucoup d’autres. Pour soutenir leurs propositions les théologiens ont recours aux sciences sociales, comme saint Augustin, saint Thomas et d’autres théologiens ont eu recours à Aristote et à d’autres savants et à d’autres disciplines de leur temps. Parce que selon eux la théologie (comme toute discipline qui se flatte d’avoir une rigueur académique) doit être en dialogue avec la pensée de son temps. Être en dialogue avec l’autre signifie qu’il faut d’abord avoir une identité et, à partir de là, chercher d’autres disciplines pour essayer de mieux comprendre la réalité.

Ainsi, pour parler de la pauvreté dans le monde, la théologie de la libération devait compter avec certains outils pouvant lui donner une idée de ce que nous entendons aujourd’hui par pauvreté et comprendre certains des mécanismes (le système esclavagiste et la féodalité par exemple) que les hommes ont reconnu comme générateurs d’une division artificielle dans le monde : les riches et les pauvres. À cause de ces dialogues, certains ont voulu y voir une adhésion à certaines idéologies, mais rien n’est plus éloigné et étranger aux théologiens de la libération (et vice-versa, les praticiens en sciences sociales ne se convertissent pas au christianisme pour établir un dialogue avec la théologie).

Mais ces dialogues et instruments (de quelques disciplines qu’il s’agisse) sont toujours au service de la fin que poursuit, dans ce cas, la théologie, qui est de servir à l’interprétation et actualisation du message évangélique qui a aujourd’hui une actualité considérable. Si la pratique de Jésus-Christ (sa façon d’agir dans l’histoire) possède aujourd’hui une actualité (les théologies de la libération l’appellent l’option préférentielle pour les pauvres) ce n’est pas dû seulement à l’apport de la théologie de libération mais fondamentalement à son honnêteté et à sa densité comme valeur humaine d’amour et de service. Une fois j’ai lu chez le père Gustavo quelque chose comme cela : puisse la théologie de la libération ne pas avoir été nécessaire dans la société parce qu’il n’y aurait eu dans ce monde ni pauvres ni injustices, mais aussi longtemps qu’il y en aura, nous disons clairement que la théologie de la libération existera. Elle manifestera un message évangélique qui pousse à construire un monde solidaire, juste et d’amour entre tous les hommes et les femmes.

Un second apport a quelque chose à voir avec ce dernier thème, la construction d’une société juste, prégnante de valeurs humaines. Cette société naîtra de l’effort et du rêve des hommes et des femmes qui visent une relation horizontale renouvelée, amicale et juste entre tous les êtres humains. Les hommes et les femmes, quelles que soient leur religion, croyance, idéologie, race, sont des êtres humains qui peuvent choisir d’avoir un certain type de conduite face à la vie. Ils peuvent choisir pour fondement l’égoïsme ou l’amour, la solidarité ou l’individualisme, et ils peuvent faire de la justice et de la miséricorde les deux piliers de l’harmonie et du respect, etc. Et ces valeurs peuvent provenir d’options politiques ou idéologiques (c’est le cas du libéralisme, du communisme ou du socialisme) mais aussi elles peuvent aussi venir de courants religieux, lesquelles, dans leurs droits légitimes à l’usage de la liberté d’expression, peuvent encourager les gens à avoir un type de conduite, un type de pratique et un modèle de société dans lequel ils désirent vivre. Non pas comme quelque chose qui leur est imposé mais comme un choix libre d’idéaux face à la réalité.

C’est ici que la théologie de la libération et d’autres théologies et églises sèment des idéaux dans le désert qu’entraîne le processus de globalisation. Égoïsme et individualisme agissent comme moteur de l’histoire, et à cause de cela le pouvoir du plus fort abandonne les faibles au sort du marché (euphémisme concernant le progrès des puissants sur les autres). D’où l’importance de messages comme ceux de Leonardo Boff, entre autres, sur la nécessité de construire une société basée sur des valeurs humaines de solidarité et d’amour. Parce qu’une société se construit sur des valeurs et des principes, ceux-ci sont les piliers sur lesquels l’économie et le commerce prennent assise. La technologie, les inventions, les découvertes, qui doivent être développées, sont toujours au service de la société qui les ordonne. Ainsi, on fait aujourd’hui une technologie de guerre pour éliminer l’homme, et non pas une technologie de vie pour éliminer la faim. Les priorités sont clairement désignées et exprimées.

C’est vrai que l’on peut être en désaccord sur ces priorités et même sur la place de certaines valeurs par rapport à d’autres dans des sociétés différentes (l’égalité plutôt que la liberté, et vice-versa). Ces désaccords ont une connotation politique car ils expriment une participation au débat sur les fondements éthiques, moraux et humains d’une société. Mais s’il est vrai que Dieu opère dans l’histoire humaine, Lui et son Règne font que l’histoire humaine est plus qu’humaine, elle est également divine. Alors, face à la façon dont une société se construit, il est clair que tous, y compris les prêtres et les théologiens, ont une opinion à donner.

Bien plus, s’ils croient en un Dieu de la Vie dans l’histoire, ils sont alors moralement obligés de donner leur opinion. Cependant, il n’est pas question qu’ils décident des mécanismes et des procédures à mettre sur pied pour construire une telle société, cela n’est pas de leur compétence. Bien plus, je n’ai jamais entendu aucun théologien sérieux dire que cette société doit être faite de telle ou telle façon, mais ils élaborent une réflexion et orientent l’homme pour que cette société qu’ils construisent ou désirent construire, soit conforme aux valeurs de respect de la vie et permette la construction d’un monde juste et plein d’amour spécialement à l’égard de ceux qui souffrent le plus, les pauvres. Pour eux cela vient de Dieu, pour d’autres cela peut simplement exprimer la qualité de l’être humain, de tous et de chacun [...].

Finalement, l’apport de la théologie de la libération dans la mise en œuvre d’une pratique de solidarité et d’amour instaurée il y a 2000 ans, est inégalable et indiscutable. Elle a encouragé et inspiré la foi de millions de personnes, a permis le dialogue entre les Eglises, et redécouvert la valeur de chaque être humain à la marge de sa condition sociale. Bien plus, elle a permis à l’Eglise catholique de faire cela sien depuis longtemps. Pour tout cela, et en toute sécurité, il faut être reconnaissants à l’égard des inspirateurs d’une théologie qui s’est nourrie et qui vit dans une église et dans un peuple qui cherchent Dieu dans la justice et le cœur de chaque être humain.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2903.
 Traduction Alain Durand pour Dial.
 Source (espagnol) : ADITAL (Agencia de Información Fray Tito para América Latina), 4 septembre 2006.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.