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DIAL 3365 - Témoignages d’acteurs et actrices des luttes

PÉROU - L’exploitation minière dans le village San Mateo : Dégâts et luttes

Margarita Pérez

vendredi 8 avril 2016, par Dial

L’écologie est souvent présentée comme un souci de riches. Les deux premiers textes du numéro d’avril de DIAL montrent, s’il en est besoin, qu’il n’en est rien et que cette affirmation souffre en fait d’un double biais, ethnocentriste et classiste. Les deux témoignages de Margarita Pérez et Mario Tabra donnent ainsi à voir les contours de ce que l’on peut appeler une écologie populaire [1]. Péruviens, ils sont membres de la Confédération nationale des communautés affectées par l’extraction minière (CONACAMI). Ces textes ont d’abord fait l’objet d’une présentation orale lors d’un séminaire organisé par le Conseil latinoaméricain de sciences sociales (CLACSO) les 24, 25 et 26 juin 2009 à Lima sur le thème « Luttes pour le territoire : Extraction minière, Amazonie et écologie populaire ». Les présentations en lien avec l’extractivisme minier ont été publiées dans un ouvrage collectif intitulé La naturaleza colonizada [2] dont sont extraits ces deux textes.


Frères et sœurs, bonsoir.

Pour moi, c’est une grande joie de pouvoir être parmi vous ce soir et de pouvoir faire connaître à beaucoup de gens les abus que commettent tant les compagnies minières que le gouvernement central. Comme l’a dit tout à l’heure le camarade [3], nous sommes plusieurs camarades à être confrontés à des expériences et des cas similaires. Dans mon cas, cela a commencé en 1999 et je veux justement souligner le rôle de l’association coordinatrice CONACAMI, que nous avons initiée ensemble, avec Monsieur Miguel Palacín, à ce moment-là. Voilà maintenant dix ans que nous luttons dans cette affaire et nous continuerons jusqu’au bout.

Alors, les choses ont commencé en 1999, l’endroit où je vis est tout petit, il est éloigné de la route centrale, éloigné du village de San Mateo, c’est une zone rurale. La compagnie a acheté au gouvernement péruvien, le bois qui était, que j’ai toujours caractérisé comme le poumon de San Mateo, parce que c’est la vérité. Cet endroit était destiné à un hôpital, plus particulièrement pour les malades de tuberculose. De façon abusive le gouvernement l’a vendu à l’entreprise Proaño, Lisandro Proaño. Et cette entreprise a commencé à abattre les arbres jusqu’à ne laisser qu’une pampa et, en même temps se rendait à ma communauté pour acheter les terrains, les habitations, les lopins de terre et tout. Dans un premier temps par le biais de tromperies, de mensonges, alléguant qu’ils allaient aménager la zone, construire des centres éducatifs, des dispensaires. En fait, ce n’était pas ça le but. Au bout du compte, nous avons été peu nombreux à nous opposer à la vente et la majorité vendit ses terrains. Nous nous y opposâmes. Moi en particulier. Alors ils ont commencé à nous menacer et ces menaces, ils les mirent à exécution. Les menaces étaient qu’ils allaient pénétrer sur nos terrains avec des machines, qu’ils allaient raser les maisons, que peu leur importait que nous soyons à l’intérieur. Ils disaient que le gouvernement leur avait vendu les terrains et que si nous nous ne voulions pas vendre, l’armée allait venir et nous tuer comme de simples vers de terre, et d’autres choses encore.

Et puis ils ont exécuté la menace. Au mois de janvier la compagnie est entrée à cinq heures de l’après-midi avec ses engins bulldozers et a commencé à raser les maisons. Je suis sortie pour leur faire face, à cette époque je n’avais pas beaucoup d’expérience de ce type de conflit, mais j’ai quand même réussi à me défendre. Et j’ai porté plainte devant les autorités compétentes, les autorités locales que sont le juge, le gouverneur, la municipalité, la police nationale ; à la suite de quoi il y a eu la visite d’inspection pendant laquelle les autorités se sont très bien comportés, ils nous défendirent et interdirent à la compagnie l’accès à notre communauté. Avec l’intervention des autorités, la compagnie marqua une pause. Mais ce qui se passe c’est qu’il y a aussi des gens qui ne portent pas en eux le lien avec leur communauté, le lien avec leur terre, ils se sont mis du côté de la compagnie et j’ai eu peu de soutien. Mais j’ai su faire face, j’ai su défendre la grande majorité car nous défendions notre village. Les choses se sont passées ainsi, ça avançait petit à petit, ça prenait beaucoup de temps. Ils ont alors commencé à déposer leurs résidus toxiques chargés en métaux lourds, mais eux disaient que c’étaient des résidus ordinaires. Ils ne prenaient pas soin de la terre et les déversaient à même le sol. Et ils disaient aux autorités, à l’autorité centrale qu’est le ministère, qu’ils protégeaient la terre, qu’ils faisaient attention entre autres choses du même style. Les camions bennes circulaient sans bâches et répandaient une partie de leur chargement sur la route centrale. À cause de ça, tout le village de San Mateo a été pollué par ces métaux lourds, y compris nous qui étions à peine 50 mètres de leur dépôt de résidus.

Nous poursuivîmes nos revendications et devînmes même plus forts, les autorités nous soutinrent, j’essayai de convier aussi nos voisins, une partie du village même de San Mateo, nous organisâmes nos mobilisations pour stopper le dépôt des résidus. Mais ce fut très dur. Comme je vous le dis, les personnes paraissaient d’abord d’accord avec nous, qu’ils ne voulaient pas la mine, mais après, une partie changea de bord, et c’est comme ça que plusieurs fois, lors des visites d’inspection, nous avons échoué. Comme il y avait des traîtres, quand nous demandions une inspection du ministère, ces personnes avaient déjà averti la compagnie que le ministère allait venir une évaluation, une inspection, et du coup, ce jour-là ils faisaient attention, ou bien ils ne travaillaient pas. Et donc nous échouions. Nous avons lutté comme ça pendant 2 ans. Au bout de 2 ans, l’exploitation a été stoppée. Pour nous ce fut comme une première étape d’obtenir l’arrêt. Bon, déjà l’exploitation est stoppée. Commença alors la deuxième étape car nous ne voulions pas que ces déchets toxiques restent comme ça devant nos maisons. Là aussi ce fut une lutte très dure, avec quasiment des affrontements, entre gens de la communauté, et entre les autorités et la communauté. Au bout du compte nous obtînmes l’enlèvement des résidus. Mais pas non plus par la volonté du gouvernement, parce qu’il avait reconnu le problème, mais plutôt parce que nous avons fait pression, avec une plainte devant la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH), par l’intermédiaire de la CONACAMI. Comme je vous le disais, nous travaillons ensemble, la CONACAMI est au courant de notre cas, de ce qui se passe. C’est par leur intermédiaire qu’a été déposé la plainte. La Commission obligea alors le gouvernement péruvien à faire appliquer la loi par cette compagnie, parce qu’elle provoquait trop de dégâts. Il y avait déjà des victimes à San Mateo. Nous subissions un préjudice parce que nous avions des métaux lourds dans le sang, fait reconnu par le gouvernement lui-même, alors ils ne pouvaient pas se refuser à faire enlever les résidus, du fait de cette mesure de protection émise par la CIDH.

Mais malgré cela, il y eut bien des conflits entre les autorités et la communauté, parce que nous avons été en conflit avec les autorités. Pourquoi avec les autorités locales ? Parce qu’ils s’étaient alliés au gouvernement central et à la compagnie. Il y avait des mobilisations, des réunions, des plaintes, des audiences, ce furent des temps très durs pour moi, car j’avais peu d’expérience. Mais finalement j’ai pu sortir de cette situation d’exception. Imaginez un peu les autorités contre le petit groupe que nous étions, contre ma communauté. Mais nous avons quand même à les vaincre, car quand on connaît ses droits et moi je suis ignorante sur bien des choses mais ni sur mes droits ni sur les droits de ma communauté, de ma terre. C’est ainsi que nous avons réussi à les vaincre, avec des affrontements, presque des agressions, nous en sommes presque venus aux mains, avec le gouvernement central aussi. Ce fut terrible. Mais finalement, nous avons obtenu l’enlèvement des résidus.

Maintenant, une autre étape a commencé, l’étape suivante, pour que nous soyons reconnus, qu’ils acceptent de reconnaître le préjudice qui nous a été causé. Mais jusqu’à maintenant, ils font la sourde oreille, ils font ceux qui ne comprennent pas, c’est bien connu, celui qui a le pouvoir économique a tous les droits, s’empare de tout, et nous sommes bien petits. On est de la campagne et on sait pas grand-chose, et je crois qu’à cause de ça, ils se permettent tous les abus. La plainte déposée auprès du tribunal mixte de Matucana il y a de nombreuses années n’a toujours pas fait l’objet d’une sentence, alors que ça devrait déjà être le cas. Mais non. Et ça c’est un abus que commet le gouvernement à notre encontre. Et il tire aussi profit de la situation, parce que la compagnie minière de l’époque, a vendu l’exploitation à la banque Weiss. La banque Weiss a compris la situation, nous a compris, et a tenté de régler le problème. Les résidus ont été enlevés quand la banque Weiss était aux commandes. Un peu plus tard, c’est une nouvelle entreprise, la compagnie minière San Juan dont les propriétaires sont canadiens, des investisseurs canadiens, qui a pris la direction, et là un nouveau problème commence.

Je pensais qu’une fois partis les résidus, le problème était terminé, j’allais pouvoir vivre tranquille, tout allait redevenir comme avant, le même endroit qu’avant, un lieu touristique – que nous allions retrouver les eucalyptus, le camphre, un environnement sain, propre, notre vie d’avant. Mais ça a été tout le contraire, je dirais même pire, parce qu’alors, en 2005, la compagnie San Juan est arrivée. En 2006 ils ont attenté contre ma personne, ma famille, en organisant une rébellion de tout mon village de San Mateo contre moi et un autre compagnon, Monsieur Ruperto Cáceres, avec qui nous travaillions ensemble à cette époque, ils nous ont attaqués. Je considère ça comme une vengeance. C’est une vengeance de la compagnie minière parce qu’ils n’acceptent pas qu’étant une femme, quelqu’un de la campagne, qui sait peu de choses, j’ai obtenu tant de choses. J’ai obtenu qu’ils reculent, parce qu’ils ont reculé, et ils ne peuvent plus travailler librement comme auparavant. Simplement, pour avoir porté plainte devant la Commission inter-américaine, voilà leur vengeance. Parce que dans de nombreuses audiences, réunions, manifestations, ils revendiquent et ils font croire aux gens que cette plainte s’oppose à ce qu’ils puissent travailler, à ce qu’il y ait une activité minière à San Mateo et partout ailleurs. Et comme les gens ont besoin de travailler, qu’ils ont des familles à charge, ils sont passés dans l’autre camp, ont abandonné le Comité de victimes de la mine que je préside. Alors cela a déstabilisé l’organisation que j’avais parce que je me suis retrouvé pratiquement seule. Ils m’ont trahie, ils ont trahi leur institution. Ils croient avoir gagné en me laissant seule. Mais j’ai été forte, et je veux remercier ici la CONACAMI, Monsieur Mario Palacios et Monsieur Miguel Palacín, qui me soutiennent pendant ces événements, m’encouragent et me donne de la force de continuer, bien qu’on m’ait laissée seule, bien qu’on se soit attaqué à ma personne, ils me donnent beaucoup de force et je continue.

Dix ans ont passé et je ne les lâcherai pas. Parce que je crois que lorsqu’on menace une personne de mort, qu’on la voie d’un mauvais œil dans son village, qu’on veut la faire disparaître, ils croient que par peur, par crainte, elle va laisser tomber, elle va se cacher, s’enfuir. Mais ils se trompent, je vais continuer. Et cela me fait bien plaisir qu’ils aient travaillé pendant deux ans, ceux de la compagnie minière San Juan, avec faste, ils ont acheté les gens, acheté mes voisins, organisé un barbecue et tous mes voisins ont changé de bord, ils m’ont laissée seule. Deux ans comme des coqs en pâte, mais moi pendant ce temps, je suis restée fidèle à ma position, j’ai préféré avoir faim et ne pas me mettre à genoux devant une compagnie minière, ni devant ces traîtres sans vergogne. J’ai maintenu ma position pendant deux ans, j’ai dit les choses clairement à l’investisseur canadien, j’ai eu un entretien à la municipalité avec monsieur le maire. Il a voulu m’humilier mais je ne me suis pas laissé faire. Ils étaient armés, trois fonctionnaires étaient présents, plus les autorités, plus les gens qu’ils avaient achetés, plus l’assassin qui m’avait menacée. C’est étrange et lamentable mais il y a beaucoup de dirigeants qui passent du côté adverse, on leur donne un peu d’argent ou un travail et ils se laissent convaincre. Mais dans ce cas ce sont les habitants de ma communauté, mon village qui se sont laissés convaincre. J’ai maintenu ma position. Alors le Canadien m’a dit « Madame Margarita, vous dites des mensonges, quand nous avons vous attaquée, quand nous avons vous harcelée ? Et il avait justement amené l’assassin. Je lui réponds alors voici l’assassin que toi et ton père avez envoyé pour me tuer. Parce que à l’époque quand il a organisé un soulèvement de mon village, tous les villageois m’ont encerclée et voulaient me jeter dans la rivière. Et j’étais toute seule, qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai appelé par téléphone la CONACAMI, mais malheureusement je n’ai pas pu les joindre. Jusqu’à ce moment-là, il n’y avait pas de permanence et tous les bureaux fermaient. Ils étaient armés pour m’attraper et me jeter à la rivière. Que faire ? J’étais toute seule, qu’est-ce que je fais ? Il vaut mieux ne pas courir. Ce que j’ai fait, c’est marcher d’un pas tranquille en les regardant parce que je me suis dit, si je cours ils m’attrapent parce qu’ils sont nombreux. D’un pas tranquille je suis arrivée jusqu’à une moto et je me suis échappée jusqu’à ma maison. Sinon, ils m’empoignaient et me jetaient à la rivière. Ils avaient bloqué toute la route, la route centrale, de minuit à 7 heures du matin. Impossible de passer, je ne pouvais pas aller ne serait-ce qu’à Matucana, pour porter plainte. À 5 heures de l’après-midi je suis montée, en cachette, à San Mateo, parce que les ingénieurs surveillaient mes mouvements. Ils avaient encerclé ma maison. Je ne pouvais pas communiquer, je n’avais pas de portable, je n’avais absolument rien. Je suis sortie à 5 heures de l’après-midi, ni le gouverneur, ni le juge, ni la police ne m’ont fait justice. Ils étaient très détendus : s’ils ne t’ont rien fait, qu’est-ce qui t’est arrivé ? Ils n’avaient pas l’intention d’agir. Va à Matucana. Et comment j’allais passer puisqu’ils bloquaient la route ? Ils m’attendaient. Mon camarade Ruperto s’est échappé dans un taxi couché sur la banquette, il a réussi à partir à Lima. Mais moi je n’ai pas pu partir.

J’ai réuni tous ces antécédents que j’ai transmis à la Commission interaméricaine pour qu’elle fasse une enquête. Le résultat m’a été favorable et grâce à cela, peut-être, maintenant ils me laissent tranquille. Mais je suis dans leur ligne de mire. Maintenant la compagnie minière a une de ces envies de m’avaler toute crue ! Si cela ne tenait qu’eux, s’il n’avait pas cette mesure de protection, ces garanties dont je dispose, ils me feraient disparaître. Ils ne peuvent pas me voir. Pire, ils ont une telle soif de vengeance qu’ils ne savent plus quoi faire. J’ai demandé du travail à la mairie, parce que ça fait longtemps maintenant que je suis sans travail. J’ai demandé du travail, des tâches à faire chez moi et tous mes voisins, accompagnes des ingénieurs de la San Juan, sont allés à la municipalité, pour me chercher des noises. Ils veulent que j’échoue, que je me mette à genoux devant eux, mais ils n’y arriveront pas. En ce moment ils ne peuvent pas travailler parce qu’ils n’ont pas leur zone de dépôt de résidus. Tan mieux. Avec tout ce que j’ai souffert, j’ai dit au Canadien : « malheureux, l’ambition que tu as d’emporter l’or, la richesse de ma montagne, de mon village, de mon pays va déchaîner la colère. Tu vas payer pour mes tourments. Tu veux que je meure, je te souhaite de vivre mille ans, pour que tu payes ainsi tout ce que tu m’as fait ». Et il est en train de payer.

Voilà, ce sont quelques expériences que je peux vous raconter, camarades. Merci beaucoup.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3365.
 Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
 Source (espagnol) : Héctor Alimonda [dir.], La naturaleza colonizada : Ecología política y minería en América Latina, Buenos Aires, ediciones CICCUS / CLACSO, « Grupos de Trabajo de CLACSO », 2011, p. 249-253.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[2Héctor Alimonda [coord.], La naturaleza colonizada : ecología política y minería en América Latina, Buenos Aires, ediciones CICCUS / CLACSO, « Grupos de Trabajo de CLACSO », 2011, 334 p.

[3L’intervenant précédent, Miguel Palacín Quispe – NdT.

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