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Opinion

Cuba, priorité de la France en Amérique latine

Salim Lamrani

samedi 12 mars 2016, mis en ligne par Salim Lamrani

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En consolidant les relations avec Cuba avec la visite historique de Raúl Castro, le Président Hollande a renforcé le prestige de la France en Amérique latine.

La politique latino-américaine de la France est l’une des priorités du quinquennat de François Hollande. Dès son arrivée au pouvoir en 2012, il a adopté une nouvelle approche avec cette région du monde. En réservant sa première visite sur le continent à Cuba en mai 2015, le Président Hollande a envoyé un message fort aux 33 pays de la zone, qui ont apprécié à sa juste valeur ce geste profondément symbolique.

La visite de Raúl Castro en France du 30 janvier au 2 février 2016, premier déplacement officiel d’un Président cubain depuis l’indépendance de l’île en 1902, a cimenté la relation bilatérale entre les deux nations. En qualifiant le séjour du Président cubain de « visite d’Etat », plus haut rang protocolaire pour les rencontres entre leaders internationaux, la France a ainsi exprimé sa volonté d’entretenir des relations respectueuses avec l’Amérique latine, basées sur l’égalité souveraine entre tous les États, peu importent leur puissance économique ou leur dimension géographique.

De son côté, Cuba a tenu à remercier le rôle précurseur de la France en choisissant Paris comme destination pour le premier voyage officiel de Raúl Castro au sein de l’Union européenne. Le Président cubain a souligné « le niveau très positif de nos relations bilatérales ».

Cuba, autorité morale de l’Amérique latine

Le Président Hollande, conscient que Cuba représente l’autorité morale de l’Amérique latine, a fait du renforcement des liens avec La Havane sa priorité. « Cuba est respectée et écoutée dans toute l’Amérique latine », a-t-il déclaré lors de son allocution prononcée à l’occasion du dîner d’État offert en l’honneur de Raúl Castro le 1er février 2016. En effet, le prestige de l’île sur le continent est immense et dépasse les clivages d’ordre politique et idéologique.

Ainsi, Cuba a joué un rôle fondamental dans la résolution du conflit colombien et la signature de l’accord historique entre le gouvernement de Juan Manuel Santos et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) en 2015. François Hollande a rendu hommage à l’implication des autorités cubaines : « Je veux saluer un rôle essentiel que vous avez joué, Monsieur le Président, dans le processus de paix pour la Colombie dont les négociations se tiennent à La Havane et qui visent à mettre un terme à un conflit qui dure depuis plus de soixante ans. Cette solution n’aurait pas été trouvée sans la médiation cubaine ».

Paris a également salué la politique solidaire de La Havane avec les populations les plus déshéritées de la planète. En effet, actuellement, près de 60 000 médecins et autres personnels de santé travaillent bénévolement dans les régions rurales du Tiers-Monde, notamment en Amérique latine. Le Président français a rappelé cet engagement : « Je n’oublie pas la solidarité dont Cuba fait preuve à l’égard de l’ensemble du continent, chaque fois qu’il y a une épreuve. Je pense notamment à l’espace de la Caraïbe où la France est présente au travers de ses collectivités d’outre-mer ».

Les campagnes humanitaires de Cuba dépassent les frontières continentales et il en est de même pour son prestige. C’est pour cette raison que le Pape François et le Patriarche Cyrille de l’Église orthodoxe russe, représentant respectivement 1,2 milliard et 130 millions de fidèles, ont choisi Cuba comme siège pour une rencontre historique. Cet échange aura lieu le 12 février 2016 à La Havane, jour de la fête des Trois-Saints-Docteurs, célébration importante pour l’Église orthodoxe russe.

Raúl Castro sera présent lors de la signature de la Déclaration conjointe qui rapprochera les deux plus importantes institutions chrétiennes, renforçant ainsi le rôle de Cuba en tant que médiateur. Selon Federico Lombardi, responsable de la communication du Vatican, « pour la première fois depuis des centaines d’années, des siècles, un pape rencontre le primat de l’Eglise orthodoxe russe. Cela a donc une importance extraordinaire » et représente un « signe d’espérance pour tous les hommes de bonne volonté ». Selon le Vatican, Cuba est un lieu « très important », d’où le choix de l’île de la Caraïbe comme hôte d’une rencontre capitale dans l’histoire de la chrétienté. Il s’agit de la première rencontre entre l’Église d’Orient et l’Église d’Occident depuis le Grand schisme de 1054, il y a près d’un millénaire.

Le rôle de Cuba dans la Conférence de Paris sur le climat

François Hollande, en recevant Raúl Castro, a tenu à remercier l’implication de Cuba dans la préservation de l’environnement, ainsi que son engagement constructif dans la Conférence de Paris sur le climat de 2015. La Havane a ainsi fait usage de toutes ses relations afin de contribuer au succès de la rencontre vitale pour la sauvegarde de la planète. Le Président français n’a pas oublié ce soutien : « Je veux souligner combien la voix de Cuba a été utile le 12 décembre lors de la Conférence de Paris sur le climat ».

L’engagement de Cuba n’est pas anodin puisque l’île est un exemple unique en matière de protection l’environnement. Selon l’association Word Wild Fund for Nature, la plus importante organisation de défense de la nature au monde avec 5 millions d’adhérents et une présence dans plus de 100 pays, Cuba est la seule nation au monde à avoir atteint un développement durable. D’après l’entité, « le développement durable est un engagement à améliorer la qualité de vie humaine tout en vivant dans les limites de la capacité de charge des écosystèmes qui nous font vivre. Un développement durable réussi implique au moins que le monde, dans son ensemble, réponde conjointement à ces deux critères […]. Ni le monde dans son ensemble, ni aucune région prise séparément ne répond conjointement aux deux critères de développement durable. Seul Cuba y parvient, d’après les données que ce pays fournit aux Nations unies ».

Rejet des sanctions économiques

François Hollande a également appelé le Président Barack Obama à mettre un terme aux sanctions économiques qui affectent toutes les catégories de la population cubaine et impactent tous les secteurs de la société. S’il a salué la politique d’ouverture du locataire de la Maison-Blanche, il n’a pas manqué de pointer du doigt le principal obstacle à la normalisation des relations entre Washington et La Havane : « Le plus important reste à venir ; c’est la levée de l’embargo unilatéral qui depuis trop longtemps inflige des souffrances inacceptables au peuple cubain et entrave les échanges que l’on peut avoir avec ce pays. La France fut l’une des premières Nations à dénoncer à l’ONU cette décision d’embargo et de blocus. Et notre diplomatie soutient chaque année à l’Assemblée générale la résolution sur la nécessité de lever cette décision ».

L’Élysée a effectivement en mémoire les amendes record infligées par les Etats-Unis à plusieurs banques françaises au cours des deux dernières années. En 2014, BNP-Paribas a dû payer la somme astronomique de 6,5 milliards d’euros à Washington pour avoir entretenu des relations financières avec La Havane. En 2015, le Crédit agricole a été condamné à une amende de 694 millions d’euros aux États-Unis pour avoir réalisé, entre autres, des transactions en dollars avec Cuba. Il convient de rappeler que ces deux entités ont scrupuleusement respecté la législation française, le droit européen et le droit international. Ces banques n’ont absolument commis aucune illégalité. Toutes deux ont été victimes, comme de nombreuses autres entreprises mondiales, de l’application extraterritoriale – et par conséquent illégale – des sanctions économiques des États-Unis contre Cuba.

La Havane a exprimé sa gratitude à la France pour son soutien indéfectible dans sa lutte pour la levée de l’état de siège économique. Raúl Castro a salué cette solidarité : « Nous exprimons notre reconnaissance pour votre position de dénonciation claire du blocus qui persiste toujours contre Cuba et qui constitue le principal obstacle au développement de nos relations économiques, commerciales et financières avec le monde et en particulier avec la France.

Rejet de la Position commune de l’Union européenne

De la même manière, le Président Hollande a appelé Bruxelles à mettre un terme à la Position commune que l’Union européenne applique à Cuba depuis 1996, à une époque où elle avait inféodé sa politique étrangère à celle des États-Unis. Discriminatoire, illégitime et contre-productive, elle constitue aujourd’hui le principal obstacle à la normalisation complète des relations entre l’Europe et Cuba. Le Président français a lancé un appel à la raison : « La France a la volonté de rapprocher l’Union européenne et Cuba en revenant sur ce qu’on appelle la ‘position commune’ et qui n’est rien d’autre aussi qu’une entrave aux échanges qui a perdu tout son sens ».

Cette mesure qui constitue le pilier de la politique étrangère de Bruxelles est uniquement appliquée à La Havane en Amérique latine. Elle avait été adoptée en 1996 quand l’ancien Premier ministre espagnol José María Aznar avait assumé la présidence de l’Union européenne et avait accédé à l’exigence de Washington d’adopter la même posture hostile vis-à-vis de Cuba. En contrepartie, les États-Unis s’engageaient à ne pas sanctionner les entreprises européennes qui pouvaient être atteintes par l’application extraterritoriale de la loi Helms-Burton, promulguée la même année.

Cuba a apprécié à sa juste valeur la position constructive de la France et son soutien politique sur cette question. « La France a joué un leadership positif, favorisant une meilleure relation entre l’Union européenne et Cuba », a noté Raúl Castro.

Renforcement de la coopération bilatérale

La visite de Raúl Castro en France a été l’occasion de développer la coopération économique entre les deux pays. Plusieurs contrats dans les secteurs de l’infrastructure, de l’agroalimentaire, de l’énergie, du commerce équitable, de la biotechnologie et du tourisme ont été signés, renforçant la présence des entreprises françaises dans l’île de la Caraïbe. A ce jour, près de 60 entités dont Air France, Pernod-Ricard et Bouygues se trouvent à Cuba. La France est aujourd’hui le 12ème partenaire commercial de Cuba.

Par ailleurs, un fonds d’investissement franco-cubain doté de plus de 200 millions d’euros, issus de la dette cubaine à l’égard de la France, a été créé pour « accélérer les projets d’investissements de la France à Cuba » et « accompagner Cuba dans son développement original et en respectant son identité ». L’Agence française de développement ouvrira prochainement un bureau à La Havane.

« La France a été, est et sera un partenaire économique important pour Cuba », a souligné Raúl Castro. Cuba n’a pas oublié l’engagement économique de la France suite à l’effondrement de l’Union soviétique, en pleine Période spéciale, alors que le pays traversait la pire crise économique de son histoire. « Les entreprises françaises nous ont accompagnés dans les moments les plus difficiles, en résistant aux pressions extraterritoriales dérivées de l’injuste blocus nord-américain », a rappelé le Président cubain en exprimant sa gratitude.

Les deux pays ont également fait part de leur volonté de renforcer la coopération technique, scientifique, culturelle et académique. « Nos deux pays partagent le même attachement également pour l’éducation, la science. Je souhaite que les étudiants puissent circuler encore plus facilement, que nous puissions en accueillir davantage venant de Cuba et nous travaillerons ensemble pour la reconnaissance des diplômes », a souligné François Hollande.

En faisant de Cuba une priorité pour le développement des relations avec l’Amérique latine, l’Élysée a fait preuve d’une grande intelligence politique. Premier président de l’Union européenne à se rendre à Cuba et premier à recevoir une visite officielle d’un président cubain, François Hollande a renforcé le prestige de la France non seulement dans l’île de la Caraïbe mais également dans toute l’Amérique latine, où la patrie de José Martí occupe une place spéciale dans le cœur des peuples. La tournée historique – une première depuis le voyage du Général de Gaulle en 1964 – qui conduira le Président français en Argentine, en Uruguay et au Pérou fin février 2016 s’annonce déjà comme un succès. Indéniablement, Paris jouera à l’avenir un rôle moteur dans les relations entre l’Europe et l’Amérique latine.


Docteur ès études ibériques et latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les États-Unis.
Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba, parole à la défense !, Paris, éditions Estrella, 2015 (Préface d’André Chassaigne).
Contact : lamranisalim chez yahoo.fr ; Salim.Lamrani chez univ-reunion.fr
Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel

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