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Peut-il y avoir une « paix pure et simple ? »

COLOMBIE - Construire un programme émanant du peuple pour une véritable paix

Fernando Dorado

lundi 25 juillet 2016, mis en ligne par Françoise Couëdel

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Popayán, 4 juillet 2016.

Tandis que le gouvernement de Santos approuve les aspects essentiels de la paix que la caste dominante exige et imagine, des secteurs de gauche plaident en faveur d’une « paix pure et simple ».

Les détenteurs du grand capital ont dans leurs visées la libération de nouvelles zones d’exploitation pétrolière, minière et agricole en guise de butin ultime de la paix. Ils ont approuvé la Loi Zidres afin de pouvoir mettre en pratique leur modèle agro-exportateur ; le ministre des finances fait la promotion de « la nouvelle économie » qui a pour base l’investissement étranger ; le Nouveau code de la police et la consolidation des ESMAD ont été approuvés pour réprimer « avec force et détermination » les revendications sociales et la réforme du mode d’imposition « structurel » qui touchera les revenus du travail est en préparation.

Par ailleurs, on nous demande de ne pas « entraver la paix ». Des secteurs sociaux de gauche lancent des campagnes insipides et font écho à la ministre du travail qui quotidiennement annonce que l’après-conflit sera l’occasion d’un « nouveau traitement social » et l’occasion de construire de « nouvelles relations entre les travailleurs, les chefs d’entreprise et le Gouvernement » [1]. Alors que Santos, froidement, ouvertement, se propose d’étrangler le peuple [2], la gauche, qui aspire à gouverner, promet un paradis où la lutte de classe ne sera plus qu’une histoire du passé.

À l’opposé, nous devons soutenir que maintenant que le processus de la fin du conflit armé est un fait irréversible, on ne peut pas continuer à mettre l’accent sur la « paix pure et simple ». C’est de l’opportunisme pur et simple. Le commandant Carlos Antonio Lozada a avancé que « même si le NO l’emporte au referendum, les FARC ne reprendront pas la guerre » [3]. Mais le gouvernement ne renonce pas à son plébiscite car Santos a besoin de légitimer politiquement « sa paix », faire de la politicaille avec cette paix, tromper le peuple, imposer l’idée qu’il peut y avoir une « paix pure et simple ».

Si on en croit les Leçons de tactique [4] de l’idéologue que prétendent suivre les tenants de la « paix pure et simple », l’accent ne doit plus être mis sur la fin du conflit armé avec les FARC. Celle-ci est un fait acquis. « La fin de la guerre » a déjà été annoncée et le cessez-le-feu bilatéral définitif a déjà été entériné. Maintenant, la tâche immédiate de la lutte pour la paix est de construire un Programme du peuple pour la Vraie paix, qui enthousiasmerait la population durant la campagne électorale, pour ratifier les accords, et qui énoncerait la manière dont on peut et doit construire la paix à laquelle aspire la société colombienne.

Dans ce sens, nous proposons les points suivants qui doivent faire partie de ce programme minimum pour la vraie paix : la lutte contre la corruption, la défense intégrale de l’environnement et le changement de modèle productif susceptible de générer des emplois.

La lutte contre la corruption

Point n’est besoin de donner des chiffres concernant l’impact de la corruption sur la vie colombienne. Elle affecte la vie de tous. Elle est la cause principale de la violence. Elle annule toute pratique de la démocratie. Elle a infiltré tout l’appareil d’État. Elle est un élément essentiel dans la dynamique économique et politique. Elle fait partie de notre culture. Tous les partis politiques sans exception en pâtissent. « Ceux d’en bas » l’autorisent et la pratiquent car « ceux d’en haut » l’ont de tout temps utilisée. À cause d’elle il ne peut y avoir ni justice ni lois dignes de ce nom. Par où commencer ?

Un mouvement citoyen et populaire qui veuille s’affranchir de l’exercice conçu par la caste dominante, celui de l’« instrumentalisation de la paix » pour berner le peuple, doit proposer sur ce point une stratégie neuve et d’envergure. Non celle qu’a appliquée Mockus qui voulait combattre la corruption mais avait ciblé la « corruption » du commerçant, du vendeur ambulant, du « contribuable » ou du simple citoyen. Si nous voulons vraiment rallier les gens à la cause de la paix il faut décréter que nous voulons commencer par éradiquer la corruption qui gangrène les hautes sphères de l’État. Si le sel est corrompu il faut jeter le sel et la salière. Il faut faire la chasse aux corrompus ! Et c’est pourquoi nous ne pouvons pas faire campagne pour la fin du conflit armé en étant à leurs côtés ou en leur donnant la main.

En outre, nous devons envisager la manière dont nous allons en finir avec la corruption. Il faut s’attaquer à cette tâche avec des « dents » longues et acérées et toutes « griffes » dehors. Deux atouts sont indispensables : une méritocratie réelle et irréprochable qui détermine le choix des fonctionnaires, qui empêche que les voleurs infiltrent l’administration publique et une politique de transparence dans l’embauche publique basée – non sur des normes et des organismes de contrôle qui soient cooptés par des politicards et des corrompus – mais qui s’appuie sur la participation organisée des communautés, y compris en écartant les organisations sociales contrôlées par les bureaucraties, les ONG et les partis politiques. Ce ne sera pas aisé mais ce n’est pas impossible. Il y a des exemples de la manière dont cela s’est déjà fait.

La lutte pour la « Paix sans corruption » – si on sait bien la mener – sera la fin de tous les partis politiques sans exception. Le combat pour construire la véritable paix a déjà commencé. Tout est joué pour que les « vieux croûtons politiques », dépendants des votes et des cautions, soient brisés en mille morceaux par la dynamique et l’action citoyenne. C’est ce que nous souhaitons.

La défense intégrale de l’environnement

Un énorme facteur de corruption et de violence est la manière dont a été octroyée la concession de projets d’exploitation pétrolière qui est du domaine du seul président de la République depuis que le gouvernement des États-Unis a imposé la loi 120 depuis 1919. Le Congrès n’a même pas le pouvoir de contrôler et de superviser une telle situation. Mais sans parler de cet énorme vide législatif et administratif nous savons tous comment les puissantes entreprises multinationales et les grands groupes économiques contrôlent l’application de la politique environnementale. Par exemple, Smurfit Kappa joue un rôle direct et indirect dans de hauts organismes de politique environnementale et contrôle, de ce fait, les Corporations qui, à leur tour, contrôlent ce domaine dans les départements et les régions. Et toutes les multinationales du secteur des mines, les grandes entreprises de mégaprojets énergétiques et les investisseurs du grand capital de tous les secteurs de l’économie ont la même emprise.

En ce sens, un mouvement citoyen qui souhaite s’atteler à la défense de la nature face aux grands projets miniers, énergétiques, agroindustriels et touristiques et relier conjointement cette tâche à l’édification de la paix, doit avoir clairement en tête les points suivants, dont nous faisons ici la synthèse, mais qui seront développés plus largement dans un prochain article.

– Nous reconnaissons que les grands projets d’exploitation minière et/ou pétrolière sont nécessaires au développement économique de la nation et que – pour l’instant – nous avons besoin des investissements étrangers.

– Ces projets ne peuvent ni ne doivent être mis en œuvre dans des zones de réserves naturelles, de hauts plateaux ou des lieux où les ressources hydriques et /ou les écosystèmes protégés subiraient des dommages.

– Il faut exiger le strict respect des normes environnementales, assorti du contrôle social de la population et des communautés affectées et/ou avoisinantes.

– Une clarté et une transparence dans la signature des contrats de ces projets doivent être la règle.

– Les conditions spécifiques de sécurité publique doivent être garanties.

– La population doit être préalablement formée pour qu’elle puisse accéder aux emplois adaptés à tous niveaux et des programmes d’État de développement productif doivent être mis en œuvre pour prévenir les graves impacts sociaux qu’entraînent les mégaprojets miniers et énergétiques dans les régions concernées.

Consolider l’appareil productif national

On ne peut construire la paix dans un pays où la majorité de la population fait partie du secteur informel de la société, connaît le sous-emploi, la précarité professionnelle et le chômage. Il est évident que la seule façon de générer des emplois dignes et légaux en Colombie est de concevoir et de promouvoir une politique économique d’ascension sociale qui nous permette de consolider l’appareil productif de la nation. Le ministre du Travail a reconnu que l’industrie, l’agriculture et le tourisme devront être l’axe fondamental de la « Nouvelle économie ». Mais lui et tous les technocrates néolibéraux de son ministère et de la Planification nationale conçoivent cette nouvelle économie dans les mains du Grand capital transnational. C’est pour cette raison qu’ils ont besoin que les FARC soient désarmées et que soient dégagés les territoires riches en ressources naturelles, les terres fertiles et les sites touristiques rentables. Ils ont reconnu que c’est là leur conception.

Il est évident qu’un mouvement citoyen ne peut pas s’opposer, en cet instant, à continuer à attirer l’investissement étranger mais il devra concevoir des formes créatives et viables pour que l’État colombien prenne part de façon équitable et intégrale à ces projets, qu’on établisse des clauses contractuelles de reversements d’actifs, d’impôts sur les gains et, de manière générale, une modalité selon laquelle les entreprises associatives des communautés, des petits et moyens producteurs, participeront comme associés importants de ces projets et se prépareront à gérer ces projets quand prendront fin les périodes et les durées de concessions aux entreprises qui ont investi.

En outre, en prenant pour exemple des expériences de projets productifs développés dans des régions du Brésil, en Inde et d’autres pays, il est indispensable de créer des entreprises basées sur des relations collaboratives et associatives comme celles qui existent déjà dans les mains des producteurs de café (Cauca), de cacao (Santander), de lait(Antioquia), dans lesquelles les travailleurs et les producteurs non seulement développent des processus d’industrialisation et de transformation de nos matières premières mais mettent en place aussi des projets de commercialisation internationale de ces produits vers les pays super-développés, là où les gains sont les plus effectifs.

Conclusion

Un mouvement citoyen et populaire qui veuille réellement se transformer en alternative de gouvernement en Colombie doit se démarquer et se défendre de la politique de paix hypocrite du gouvernement qui est en réalité celle de la guerre contre le peuple. Il doit s’insurger contre la politique belliqueuse d’Uribe, qui appartient déjà au passé, et démasquer la politique « ingénue » de la gauche du gouvernement qui s’oriente vers le désarmement idéologique et politique des organisations populaires pour cantonner nos luttes à la « simple gestion de l’après-conflit ».

La campagne pour la ratification des accords doit être une grande bataille d’idées dans laquelle nous devons avancer des concepts pour positionner au sein du peuple les aspects programmatiques essentiels pour l’édification d’une véritable paix…sans corruption, avec un environnement protégé et une création d’emplois dignes et déclarés.


Traduction de Françoise Couëdel.
Texte original :
https://aranandoelcieloyarandolatierra.blogspot.com.co/2016/07/construir-un-programa-del-pueblo-para.html

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