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DIAL 2882 - Dossier : Peuples indigènes

EQUATEUR - Le rapporteur de l’ONU donne l’alerte sur la grave situation des indigènes

Eduardo Tamayo

jeudi 1er juin 2006, mis en ligne par Dial

« Je quitte [ce pays], préoccupé par la situation indigène en général et plus préoccupé encore par quelques situations particulières » a déclaré le Mexicain Rodolfo Stavenhagen, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits humains et des libertés fondamentales des peuples indigènes, en terminant une visite en Equateur commencée le 25 avril dernier. Le texte ci-dessus, publié par ALAI le 5 avril 2006 sous la signature d’Eduardo Tamayo G., donne l’essentiel des impressions du rapporteur spécial.


Discrimination et répression excessive

Pendant les mois de mars et d’avril, le mouvement indigène a été l’initiateur d’une série de mobilisations pour s’opposer à la signature du Traité de libre commerce (TLC) entre l’Equateur et les Etats-Unis et exiger l’annulation du contrat avec l’entreprise pétrolière nord-américaine OXY en raison de la non-exécution de ce contrat signé avec l’Etat équatorien. Après avoir rencontré les plus hautes autorités de l’Etat, les représentants de tous les peuples et nationalités indigènes, les autorités locales et autres acteurs, le rapporteur déclara que « ces mobilisations ont provoqué une réponse qui, de toute évidence, paraît démesurée de la part des autorités, car il y a eu une répression envers plusieurs instances de ce mouvement en plusieurs endroits : il y a eu des actes de discrimination contre les indigènes qui se rendaient à la réunion de Quito et en d’autres endroits ; les forces de l’ordre ont arrêté des indigènes en les faisant descendre des autobus parce qu’ils portaient des vêtements indigènes ». Il a ajouté qu’il y avait cependant, sur l’impact de ces mobilisations, des points de vue différents dans d’autres secteurs de la société où « certains craignaient que ces mobilisations puissent entraver l’ordre public, la libre circulation, l’activité et l’acheminement du ravitaillement ».

Selon le rapporteur, ces dernières mobilisations ont polarisé l’opinion publique. Cette situation est très délicate et tous les secteurs et les autorités doivent faire attention afin de « négocier les différences ». « Dans la presse, a-t-il ajouté, il y a eu de la part de quelques commentateurs un discours de coloration raciste qui va à l’encontre de la tradition que l’Equateur a toujours eue et à l’encontre de la tolérance mutuelle et du "vivre ensemble", base de la résolution des conflit. »

Mais, au delà de la référence à ces situations de répression et de discrimination, le sociologue Stavenhagen a signalé « le danger, dans ces mobilisations récentes, d’une possible criminalisation de la protestation sociale en appliquant le droit pénal à des expressions légitimes qui, dans ce cas, concernaient le TLC, mais qui peuvent aussi concerner la présence de la OXY dans le pays… Et cela représente un défi pour la protection et le libre exercice des droits humains, non seulement des peuples indigènes mais aussi de tous les secteurs du pays. »

La pauvreté augmente

Après avoir parcouru cinq provinces du pays (Pichincha, Imbabura, Esmeraldas, Chimborazo et Pastaza), une première conclusion du rapporteur est que « les peuples indigènes continuent à être en situation de pauvreté malgré la croissance économique de ces dernières années. La faible réponse des stratégies de développement devant l’accumulation des problèmes liés au manque d’emploi des communautés indigènes contribue à l’augmentation des migrations de leurs membres. A la pauvreté rurale s’ajoute de plus en plus la difficile condition des indigènes dans le secteur urbain. La situation des femmes indigènes dans ce contexte est spécialement vulnérable », dit un communiqué distribué à la presse.

De même les peuples indigènes manquent d’un accès adéquat aux services sociaux de base comme l’éducation et la santé. « Les petites filles indigènes sont toujours les plus marginalisées dans le processus éducatif. Les programmes d’éducation interculturelle bilingue n’ont pas donné les fruits que l’on espérait, en raison principalement du manque de ressources budgétaires et techniques. Il se passe la même chose dans le domaine de la santé indigène. La mortalité infantile et le manque d’accès aux services de santé en zone rurale sont particulièrement préoccupants. »

En matière juridique, il s’avère que « malgré la reconnaissance constitutionnelle des droits des nationalités et des peuples indigènes, leur protection et leur promotion effectives restent de grands défis. Les avancées obtenues dans la Constitution de 1998 se sont vues limitées par l’absence de développement législatif et la faible application des normes. On n’a pas légiféré en matière indigène sur la consultation préalable, libre et informée sur la santé et le droit indigène. »

Plusieurs situations de conflit lié aux rivalités de compétences et à d’éventuelles violations du droit à la vie et à l’intégrité physique ont pour cause l’absence de réglementation en matière de justice indigène.

Peuples amazoniens

En ce qui concerne les peuples qui vivent en Amazonie équatorienne, le rapporteur a exprimé sa préoccupation pour la détérioration progressive de l’habitat indigène et l’impact des activités d’extraction, mines, pétrole et bois, sur l’environnement et les droits des peuples indigènes.

Le rapporteur a visité dans la province amazonienne de Pastaza la communauté indigène de Sarayacu qui résiste aux tentatives de la Compagnie générale des carburants (CGC) d’entreprendre la prospection pétrolière sur ses territoires. Pour contenir la résistance indigène, l’Etat a procédé en diverses occasions à la militarisation de la zone. L’affaire a été connue de la Commission interaméricaine des droits humains qui a édicté des mesures préventives en faveur de la population de Sarayacu.

« A Sarayacu, dit le rapporteur Stavenhagen, j’ai reçu des plaintes disant que l’entreprise mentionnée avait posé plusieurs dizaines de charges d’explosifs à des fins sismiques ; bien sûr, elles sont encore là et n’ont pas été désamorcées ; mais le dommage qu’elles peuvent créer est considérable, et il est clair que pour les membres de la communauté de Sarayacu, c’est une invasion de leur territoire - et je dirais, mais c’est moi qui le dis - c’est une insulte d’avoir des charges placées sur leur territoire qui peuvent ou non exploser, mais qui sont là. » Il a ajouté qu’il est important qu’on adopte des mesures de sauvegarde environnementale ; en principe les entreprises qui ont pénétré en Amazonie pour réaliser des gains énormes grâce à leurs activités sont les premières responsables pour réparer et prévenir les dommages futurs ; mais ils ne le feront que si l’Etat et la communauté internationale agissent.

D’un autre coté, le rapporteur a exprimé sa préoccupation particulière pour la situation des peuples huaorani qui vivent hors de tout contact ou dans un isolement volontaire et dont les territoires subissent la pression des exploitants de bois. Voici ses paroles :

« Durant ma visite a été diffusée la nouvelle d’un violent incident qui pourrait avoir causé plusieurs morts dans une zone très écartée suite à un affrontement - et ce ne serait pas le premier - entre des exploitants de bois illégaux et une des communautés de ces peuples vivant dans la zone, hors de tout contact ou dans un isolement volontaire. Précisément à cause de l’éloignement on n’a pas pu confirmer ni identifier les cadavres. Bien sûr, je ne peux pas me prononcer sur quelque chose sans avoir d’informations précises, mais cela s’inscrit dans un conflit ancien : il y a trois ans, il y a eu déjà dans la même zone un incident qui causa des victimes. Bien entendu tout le monde sait que dans cette zone il y a des exploitants de bois illégaux qui opèrent pratiquement sans aucun contrôle et que ces exploitants ont déjà eu des heurts avec ces peuples. » Il a ajouté qu’il se montre très préoccupé par cette affaire, exhortant le gouvernement équatorien à prendre des mesures de protection « parce que ces peuples, alors qu’ils sont si fragiles, n’ont pas la protection de l’Etat en matière des droits humains. Ce sont des peuples en danger d’extinction comme peuples, et cela est grave, non seulement pour le gouvernement équatorien, la société et le mouvement indigène, mais aussi pour la communauté internationale. »

Rodolfo Stavenhagen qui fut désigné comme rapporteur des peuples indigènes en 2001 présentera dans deux ou trois mois un rapport au tout nouveau Conseil des droits humains dont il espère que les recommandations seront prises en considération par le gouvernement et les différents secteurs de la société équatorienne.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2882.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : ALAI, 5 avril 2006.

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