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DIAL 2887

EQUATEUR - Armée privée : les militaires font des affaires

Luis Angel Saavedra

jeudi 1er juin 2006, mis en ligne par Dial

L’armée équatorienne ne se limite pas à assurer les fonctions traditionnelles qui incombent aux forces armées d’un pays. Elles sont présentes dans un certain nombre d’activités économiques fort éloignées de la défense nationale. Elles signent des accords avec des firmes multinationales pour assurer leur sécurité et tiennent à leur service un rôle de « contre-espionnage ». Article de Luis Angel Saavedra, Noticias Aliadas, 9 mars 2006.


En Equateur, il n’est pas nouveau que les forces armées soient celles qui règlent les confrontations politiques et décident qui doit exercer le mandat présidentiel. Mais ce qu’ignore la majorité des Equatoriens, c’est l’étendue des activités privées réalisées par les militaires, intervenant dans divers secteurs de l’économie nationale et allant jusqu’à proposer des services de sécurité privée à différentes transnationales qui opèrent dans le pays.

En effet, lors des trois renversements de présidents équatoriens depuis 1997, ce furent les forces armées qui décidèrent de l’issue politique, en refusant l’appui militaire dû au président en activité et en accordant leur soutien à celui qu’elles considéraient comme successeur « constitutionnel ».

Ainsi, elles ont retiré leur appui militaire au président Abdalá Bucaram (1996-97), mais aussi à sa vice-présidente Rosalía Arteaga, accordant ainsi leur soutien au président du Congrès national, Fabián Alarcón (1997-98). Ils procédèrent de même manière en 2000 avec Jamil Mahuad (1998-2000) et en 2005 avec Lucio Gutiérrez (2003-2005), avec cette différence que pour ces deux derniers cas, le « successeur constitutionnel » était leur vice-président respectif.

L’article 183 de la Constitution politique établit que « les forces armées ont pour mission fondamentale le maintien de la souveraineté nationale, la défense de l’intégrité et de l’indépendance de l’Etat et la garantie de son ordre juridique ». Cet article permet aux militaires de décider quand est rompu l’ordre juridique et quelle est la manière de le rétablir.

Leurs propres fonds de commerce

Les forces armées ont aussi une forte présence dans l’économie nationale à travers leurs propres groupes financiers et industriels. Les activités économiques des militaires sont protégées par la Constitution à l’article 190 qui dit : « Les forces armées pourront participer à des activités économiques en relation avec la défense nationale. »

Dans ce cadre, les militaires équatoriens, par le biais de la Direction des industries de l’armée, ont défini ces activités qui peuvent comprendre l’industrie automobile, les chantiers navals, l’aéronautique, l’agro-industrie, la floriculture, les secteurs du textile et de la métallurgie, entre autres, et sa participation au système financier avec sa propre institution, la Banque générale Rumiñahui.

« Il est évident qu’il y a 2 secteurs dans l’armée équatorienne, d’un côté tout ce qui touche à l’Etat et aux entreprises et d’un autre côté tout ce qui est en rapport avec les armes », affirme l’analyste Bolivar Beltán, du Centre de recherches Lianas.

Cependant, depuis 2001 le secteur de l’armée régissant les activités exclusivement militaires a aussi trouvé un bon fonds de commerce : l’offre de services de sécurité aux entreprises transnationales, spécialement aux industries du pétrole qui opèrent en Amazonie.

Sécurité et entreprises pétrolières

Ces nouvelles activités se basent également sur la Constitution et la Loi de sécurité nationale, comme l’établit la convention de coopération de sécurité militaire entre le ministère de la défense nationale et les entreprises pétrolières qui exercent dans le pays. Cet accord de caractère privé a été signé en juillet 2001 par le ministre de la défense, l’amiral Hugo Unda, et seize entreprises du pétrole, notamment l’entreprise nationale PetroEcuador et les firmes états-uniennes Occidental Petroleum – qui est en difficulté avec l’Etat équatorien lui-même - et ChevronTexaco - par le biais de sa filiale argentine la Compañia general de combustibles (CGS) - en conflit avec la communauté amazonienne des Sarayaku.

Le contrat, entre autres arguments, s’appuie de nouveau sur l’article 183 de la Constitution, laquelle, en plus de définir les militaires comme garants de l’ordre juridique, établit que « la loi déterminera la collaboration que la force publique, sans porter atteinte à l’exercice de ses fonctions traditionnelles, donnera au développement social et économique du pays ».

Par cet argument, l’armée s’engage à réaliser des patrouilles, mettre en place des systèmes de sécurité et de communication, élaborer des rapports de renseignements (appréciations de la situation), superviser les employés des entreprises pétrolières, contrôler l’utilisation des armes et explosifs dans les zones d’activité des entreprises et fournir toute l’aide nécessaire quand cela sera requis.

De cet accord général se dégage une série de conventions plus spécifiques signées avec chacune des firmes, ces dernières donnant la faculté aux militaires de « dicter, exécuter et superviser les actions de contre-renseignement afin d’éviter les actes de sabotage et de délinquance ».

Ces « actions de contre-renseignement » sont très bénéfiques pour les compagnies, même si elles se fondent sur des mensonges, comme ce qui s’est passé avec ChevronTexaco, quand un rapport contesté des renseignements militaires du 19 octobre 2005 a obligé à annuler une enquête judiciaire menée dans le cadre d’une procédure contre la firme tendant à prouver la contamination engendrée par l’exploitation pétrolière. Ce rapport militaire invoque de possibles actions violentes de la part du peuple cofán et des habitants de la zone de Guanta à l’encontre de fonctionnaires de la ChevronTexaco et de la Cour suprême de Nueva Loja.

« Le rapport a été réalisé à la demande de la ChevronTexaco pour empêcher les actions judiciaires prouvant les dommages causés par l’entreprise en Amazonie. Ce rapport a non seulement empêché cette enquête, mais nos communautés indigènes ont aussi été criminalisées », a déclaré Luis Yanza, du Front de défense de l’Amazonie.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2887.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 9 mars 2006.

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