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VENEZUELA - La souveraineté commence par les semences

Alba TV

lundi 30 avril 2018, mis en ligne par Dial

Après les textes publiés dans le numéro de juillet 2016 sur l’enjeu que représentent les semences pour la souveraineté alimentaire [1], voici un article consacré à quelques-unes des initiatives en cours au Venezuela pour retrouver une autonomie dans la production des semences. Texte publié en espagnol par Alba TV le 11 décembre 2017 et publié en français sur Venezuela Infos (15 décembre 2017).


L’un des défis les plus importants de la Révolution bolivarienne est la construction d’un modèle de production agricole qui garantisse la sécurité et la souveraineté alimentaires, aujourd’hui plus que jamais menacées, et qui offre une alternative au système capitaliste de l’agroindustrie, destructrice et prédatrice. Il s’agit d’un programme ambitieux, mais qui peut s’appuyer déjà sur un grand nombre d’expériences qui travaillent en ce sens dans tout le pays. Il revient à l’État de garantir des politiques publiques durables qui permettront de multiplier ces expériences, de les renforcer et d’en élargir la portée.

Pour une agriculture diversifiée et « zéro devises »

« La possibilité de construire un modèle alimentaire différent, diversifié et souverain part d’une agriculture “zéro devises”. Le Venezuela reste fortement dépendant de l’importation de tous les éléments qui forment la chaîne de production de l’agroindustrie : depuis les semences jusqu’aux intrants et aux technologies. C’est la chaîne de la production industrialisée des aliments qui sont au centre du « bachaqueo » [2] de l’accaparement et de la spéculation, alors même que ces systèmes de production agroindustriels ont depuis toujours bénéficié d’aides et de subventions de la part de l’État. L’agrobusiness s’est développé au Venezuela grâce à l’appropriation de la rente pétrolière et des biens publics par une poignée de familles ; si nous voulons construire un autre modèle, nous devons modifier tous les éléments de la chaîne, des semences à la consommation », nous explique Ana Felicien, membre de la campagne Venezuela libre de transgéniques et de l’organisation Semences du peuple.

Des efforts ont été faits dans le sens d’un tel changement tant par les institutions que par le peuple organisé. La Loi des semences (2015), fruit de trois années d’un processus de débat populaire constituant, en a été l’une des réussites majeures [3]. Cette loi promeut une vision agroécologique, valorisant la semence autochtone, afro-descendante, paysanne et locale. Anti-transgénique, anti-brevet et anti-privatisation, la Loi des semences respecte en outre le mandat constitutionnel selon lequel le génome des êtres vivants ne peut pas être privatisé au Venezuela et qui interdit l’importation, la production et le semis de graines transgéniques dans le pays.

Actuellement, nous dit Ana Felicien, « de gros efforts sont faits par le peuple mobilisé pour produire et améliorer les variétés de semences autochtones, pour retrouver la diversité de notre patrimoine génétique et diminuer la dépendance aux importations. C’est le cas pour les semences de maïs, de pommes de terre et de quelques autres variétés de légumes ».

Améliorer nos propres semences pour améliorer la production

« Pour améliorer la production alimentaire, il faut commencer par la production des semences. Il existe déjà un soutien de l’État dans ce sens mais doit être plus appuyé et plus efficace. Dépendre de semences importées, outre le fait que cela limite la production, est inacceptable politiquement », déclaré l’agriculteur Pablo Characo, producteur de maïs de la communauté de Guanape (État d’Anzoátegui) et membre d’un réseau national de producteurs de semences.

« Notre communauté travaille à la production et à l’amélioration des semences – en particulier celles de maïs – depuis dix ans et a obtenu de très bons résultats. Nous avons commencé à produire nos propres semences pour plusieurs raisons, mais avant tout par nécessité : les semences que nous nous procurions sur le marché n’étaient pas de bonne qualité ou n’arrivaient que lorsque la saison des pluies était terminée. Cela avait aussi pour nous un aspect économique car pour la majorité d’entre nous il est difficile d’acheter ces semences importées en raison de leur coût. En outre, le simple fait qu’une semence vienne de l’extérieur lui fait perdre, à son arrivée dans le pays, toute garantie d’un bon rendement car le climat, joue un rôle, combiné à d’autres facteurs », nous explique Characo.

Le processus d’amélioration de la semence de maïs créole autochtone (comme l’ont nommée ses producteurs) a apporté de nombreux avantages à la communauté de Guanape. « Nous nous sommes rendu compte que la semence que nous produisions nous-mêmes était meilleure pour nous que celle vendue sur le marché. Tout d’abord parce que, n’étant pas obligés de l’acheter, nous diminuons les coûts de production. Cela nous a permis de réaliser des bénéfices et d’améliorer nos conditions de vie » raconte Pablo Characo.

« Mais en plus de la dimension économique, nous avons pris en considération d’autres aspects pour améliorer nos semences : les conditions climatiques, sociales, politiques et culturelles. Par exemple, les pluies sont insuffisantes à Guanape, nous avons donc adapté nos semences à ce type de climat : elles n’ont pas besoin d’une trop grande quantité d’eau et résistent à la sécheresse. Par ailleurs, à part l’agriculture, nous faisons aussi de l’élevage (ovins, porcs, vaches et volailles) et nos semences, riches en protéines et à forte concentration d’amidon, servent d’aliment pour notre bétail. Nous avons pu vérifier que grâce à cette alimentation, les animaux prennent plus de poids et produisent plus de lait. Le maïs que produisent nos semences pèse plus lourd, il est donc plus avantageux au moment de la vente », témoigne-t-il.

« La semence que nous avons améliorée ne requiert pas non plus d’utiliser les produits agrochimiques habituels pour produire, car nous avons adopté une approche agroécologique : nous utilisons un humus de lombrics et de matière organique comme fertilisants, ainsi que des contrôleurs biologiques (des produits agroécologiques) contre les nuisibles. Nous avons utilisé un seul produit agrochimique à petite échelle contre les mauvaises herbes, mais nous cherchons aussi à mettre fin à son utilisation afin de produire des aliments complètement sains, conserver la qualité de nos sols et protéger l’environnement. Car nous savons bien que les produits agrochimiques utilisés pour la culture polluent les cours d’eau et par conséquent affectent aussi notre qualité de vie », explique Pablo Characo, qui ajoute que cette semaine, ils apporteront leur appui à d’autres communautés de Guasdualito (État d’Apure).

Retrouver la diversité et les connaissances ancestrales

À l’autre bout du pays, dans des communautés du plateau andin, on œuvre aussi à la récupération des plantes autochtones, comme les pommes de terre natives, la cuiba, la ruba, entre autres. « Notre objectif est de récupérer aussi bien la diversité des semences des plantes d’origine andine que les savoir-faire liés à leur culture », explique Liccia Romero, professeure à l’Université des Andes (ULA) et à l’Université polytechnique régionale « Kleiber Ramírez », ainsi que membre d’une petite équipe d’investigation qui depuis 18 ans travaille avec la communauté de Gavidia, dans l’État de Mérida.

« La production de pommes de terre dans le système commercial est très dépendante de l’achat de semences qui doivent être renouvelées périodiquement pour échapper à la dégénérescence de la semence-tubercule. Cependant, les communautés paysannes du plateau possèdent des connaissances et des plants qui rendent possible une conservation à long terme de cette semence. Ils ne souffrent donc pas de cette dépendance. Par conséquent, le matériau – les semences dans toute leur diversité – comme les connaissances associées représentent des éléments-clés pour réfléchir à un autre modèle productif qui ne dépend pas du schéma commercial, de la certification des semences et de coûts de production élevés. Cette option doit être prise en compte par les politiques publiques, qui, jusqu’à présent, restent attachées à la certification », explique-t-elle.

« La semence paysanne doit être reconnue dans toute sa diversité et ses potentialités », soutient Liccia Romero, « la diversité des semences que possèdent ces communautés rend possible différents types de productions et de procédés de récolte, y compris leur stockage sur le long terme (d’où l’appellation de « patate d’année »), fondamentaux pour la souveraineté et la sécurité alimentaires. De plus, il s’agit de tubercules qui permettent d’adopter facilement un mode de production agroécologique et durable : ils ne requièrent pas l’usage de produits agrochimiques, tant pour la conservation de la semence que pour obtenir une bonne récolte. Ce sont des variétés qui ont été sélectionnées pour leur capacité de résistance aux maladies, aux nuisibles ou à des conditions naturelles défavorables. Elles sont tout à fait adaptées au contexte actuel d’incertitude climatique.

Pour l’instant, les semis ont lieu à l’intérieur de l’espace communautaire de Gavidia. Au début nous avons commencé avec 3 familles, maintenant elles sont 25 à posséder et à reproduire ces semences. En dehors de Gavidia, 17 autres agriculteurs ont reçu ces semences et les multiplient. Cela représente cependant un espace très restreint, la plupart des familles continuent à dépendre des semences du commerce qui requièrent beaucoup d’intrants chimiques et l’utilisation de grandes quantités de fertilisants et d’eau pour l’arrosage, ce qui constitue une agriculture très coûteuse », commente Romero.

« Pour que ces expériences puissent avoir plus d’impact, une politique publique avec des programmes spécifiques allant dans ce sens est nécessaire », souligne Romero. L’État doit reconnaître la semence paysanne dans toute sa diversité et ses potentialités, et mettre en place des politiques de soutien à cette forme d’agriculture. « Des organismes de financement comme FONDAS [4] par exemple pourraient mettre en place des programmes spécifiques pour distribuer ces semences par le biais de financements et de transferts de connaissances. Ce dont ces cultures ont besoin, c’est d’une bonne fertilisation organique, d’un sol bien aéré et de techniques agricoles, facilement transmissibles. Notre équipe organise fréquemment des ateliers pour enseigner ces pratiques à de nouvelles familles d’agriculteurs qui les apprennent rapidement et les mettent en pratique. Mais notre champ d’action est limité car nous sommes une petite équipe ».

Selon Liccia Romero, une politique publique poursuivant ce type d’objectifs devrait aussi renforcer et accélérer les processus d’investigation : « L’une des difficultés que nous rencontrons à l’heure actuelle, par exemple, est d’acclimater cette variété de pomme de terre à des altitudes plus basses, car jusqu’à présent elle n’a été produite qu’à Gavidia, qui est un plateau de haute altitude ».

Ces politiques publiques devraient aussi développer un marché plus large pour les variétés de pommes de terre natives dont la culture est actuellement surtout destinée à l’autoconsommation : « elles ne sont pas produites en plus grandes quantités car leur commercialisation est difficile : la plupart des gens ne les connaissent pas et sont habitués à consommer la pomme de terre du commerce. Cependant, les producteurs de pomme de terre du commerce préfèrent eux acheter les pommes de terre natives pour leur consommation personnelle : elle est plus goûteuse et plus saine. Bien souvent, ils ne consomment souvent pas les pommes de terre qu’ils cultivent car ils connaissent les quantités importantes de produits agrochimiques qu’ils utilisent », remarque Liccia Romero. « Les autres tubercules d’origine andine, comme la cuiba et la ruba sont à l’heure actuelle plus marginaux mais offrent un grand potentiel pour une culture agroécologique ainsi qu’une grande diversité de produits dérivés possibles. Ces cultures sont les nôtres et témoignent de notre identité andine et vénézuélienne », conclut-elle.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3451.
 Traduction de Frédérique Buhl pour Venezuela Infos. Traduction ponctuellement modifiée par Dial.
 Source (français) : Venezuela Infos, 15 décembre 2017.
 Texte original (espagnol) : Alba TV, 11 décembre 2017.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française originale (Venezuela Infos - venezuelainfos.wordpress.com) et l’une des adresses internet de l’article.

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[2C’est le nom populaire donné au pillage des produits subventionnés au Venezuela pour les revendre à prix majoré (dans le pays lui-même mais aussi et surtout en Colombie ou dans d’autres pays voisins à économie strictement néo-libérale – NdT.

[4Le Fonds pour le développement agricole socialiste (FONDAS) est un organisme public dépendant du ministère du pouvoir populaire pour l’agriculture productive et les terres. Il a été créé en 2009 pour soutenir au niveau productif et financier les petites et moyennes unités de production afin d’améliorer la qualité de vie des communautés paysannes.

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