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DIAL 2846

AMÉRIQUE LATINE - Souveraineté et sécurité alimentaires : une campagne sur les semences

Francisca Rodriguez Huerta

vendredi 16 décembre 2005, mis en ligne par Dial

L’importance des semences est considérable, non seulement dans l’agriculture en général, mais particulièrement en Amérique latine dont les populations indigènes peuvent se glorifier d’un travail millénaire de mise au point. Aussi, l’introduction de semences modifiées génétiquement et dont la production est contrôlée par des grands groupes pose-t-elle fortement question. Le mouvement Via Campesina - mouvement international coordonnant des organisations de petits et moyens paysans et faisant de la souveraineté alimentaire un de ses axes majeurs - prend position à ce sujet. Article de Francisca Rodriguez Huerta, coordinatrice de la Campana de la Semilla de Via Campesina-ANAMURI, paru dans ALAI, 12 septembre 2005.


Il y a 10 ans, Via Campesina arbora les drapeaux de la lutte pour la souveraineté alimentaire, comme réponse à la question de la sécurité alimentaire, lancée dans le cadre du premier sommet mondial de l’alimentation. Celui-ci fut organisé par la FAO dans la mise en place de son Plan d’action en vue de combattre la faim dans le monde.

Cette formulation de la FAO sur la sécurité alimentaire a été établie dans le contexte d’une agriculture imposée par le capitalisme néolibéral, où les aliments deviennent de simples marchandises. Dans ce contexte, l’alimentation est en train de se convertir en instrument de domination, pression et contrôle sur les peuples en garantissant les aliments seulement à ceux qui ont la possibilité de les acquérir.

Ce concept ne dit rien au sujet de la qualité et de la provenance des aliments, ou de la façon dont ceux-ci sont produits, ni de ceux qui les produisent. C’est face à cette conception que les paysans du monde font leurs propositions à l’humanité. Ils établissent que seule la souveraineté alimentaire des peuples pourra garantir la production des aliments, en diminuant le manque des denrées, pour avancer de cette façon dans le combat contre la pauvreté.

Sans aucun doute nous vivons des moments de grande incertitude, dans lesquels le monde paysan se trouve sérieusement en danger, menacé d’extinction, comme le sont beaucoup de cultures de l’humanité et d’espèces de la nature. Dans cette situation, qui présente un risque pour l’alimentation de milliers d’êtres humains, l’impérialisme essaye de prendre en main l’alimentation du monde comme un élément supplémentaire de pouvoir afin de l’utiliser pour imposer son idéologie de mort. Et il le fait avec la force d’une offensive publicitaire qui nous envahit, à travers les moyens de communication, nous incitant à consommer des produits étrangers à notre culture et dangereux pour la santé.

Devant cette situation dramatique, Via Campesina propose son plan de souveraineté alimentaire, établissant ainsi un ensemble de droits pour les agriculteurs et les peuples, en affirmant que : « la souveraineté alimentaire est le droit de chaque peuple à définir ses propres politiques agricoles, en matière d’alimentation et de production. Elle consiste à protéger et réglementer la production agricole nationale et le marché domestique afin d’atteindre des objectifs de développement durable, à décider dans quelles mesures ils doivent être autosuffisants. Elle vise à empêcher que les marchés ne soient envahis par les produits excédentaires des autres pays qui les déversent sur le marché international, moyennant la pratique du “dumping”... »

A l’encontre des fondements de la souveraineté alimentaire, les grandes entreprises transnationales ont imposé dans le monde un système de productions de monocultures. La caractéristique principale de ce système a été de compter sur un grand contingent de chômeurs, constituant de grandes masses de main-d’œuvre à bas prix et/ou flottante, expulsés de leur travail ou de leurs terres. Les grandes entreprises ont aussi imposé la contre-réforme agraire et les interventions militaires.

C’est ainsi que Via Campesina mène deux grandes campagnes. L’une d’elles porte sur la réforme agraire et sur un point de première importance qui est la lutte pour la terre en faveur des paysans et des territoires pour les peuples indigènes. La deuxième campagne est celle de la défense des semences originelles et de celles créées ultérieurement. Ces deux campagnes mettent en marche ou sont au centre de la souveraineté alimentaire : les contenus sont profondément politiques et s’attaquent directement au système et à son expression majeure, à savoir le modèle économique néolibéral.

La campagne nommée « Les semences, patrimoine des peuples au service de l’humanité » se joue dans un contexte mondial où le monde paysan (agriculteurs, agricultrices, femmes et hommes indigènes), sa culture et ses connaissances ne sont presque plus une référence pour les gens. Ceux-ci ont été obligés de se déplacer dans les villes, conséquence des politiques d’extermination et de libre marché imposées par l’impérialisme des Etats-Unis et des multinationales qui, aujourd’hui, dominent et imposent leur idéologie de mort et de déprédation à quasi tout le monde.

Les semences agricoles, qui jusqu’à présent furent toujours libres pour l’usage, la reproduction et la consommation de tous, ont disparu pour la plupart ou alors sont sous le contrôle d’entreprises. Celles-ci imposent aux agriculteurs des prix élevés pour leur usage, via les brevets et les modifications génétiques qui empêchent la reproduction, limitant leur accès aux petits producteurs et entraînant une importante réduction des variétés locales disponibles.

De cette façon, la biotechnologie s’est mise au service du capital sans considérer les nécessités réelles des pays et des peuples, et sans consulter l’opinion des citoyens qui demandent des aliments naturels et sains. Cette opinion clame que nous n’avons pas besoin de semences transgéniques et que les milliers de semences paysannes qui nous ont alimentés durant des décennies se renouvellent par elles-mêmes. De plus, nous n’avons pas besoin d’aliments convertis en médicaments et nous devons décider souverainement comment nous alimenter afin d’être et de nous maintenir en bonne santé.

Signification de la campagne

Pour les mouvements et organisations paysannes et indigènes, assumer la défense des semences signifie maintenir une lutte politique contre le grand empire nord-américain et toutes ses institutions telles que le FMI (Fonds monétaire international), la Banque Mondiale, l’OMC (Organisation mondiale du commerce), les traités de libre-échange, les Etats complices…

L’objectif principal de cette campagne, que nous avons défini comme lutte de la vie et pour la vie, est de sauver de l’extinction, que l’on prétend imposer aux agricultures paysannes et indigènes, les connaissances, les idées, les rituels, les tabous, l’idéologie, les styles de vie du monde rural et des communautés, c’est-à-dire notre culture. Celle-ci s’exprime dans les travaux quotidiens d’hommes et de femmes de la terre où la vie, la biodiversité et les semences sont considérées patrimoine de tous les peuples : tout cela, nous l’avons toujours maintenu au service de l’humanité.

C’est une campagne basée sur le dialogue direct avec les gens, en parlant, en partageant des expériences, en échangeant des connaissances. Je pense qu’est en train de naître une nouvelle forme de travail politique militant plus direct, retrouvant des formes de communication qui furent toujours les nôtres. Nous nous arrêtons sur les places publiques, dans les collèges, dans les foires, afin de commencer à restituer des espaces pour les marchés locaux et d’échanger non seulement des semences mais aussi des savoir-faire. Et nous avons déclaré la guerre au consumérisme : de cette façon, nous sommes en train de réveiller la conscience car le système, le modèle, avec les moyens de communication en tête, font aussi perdre la conscience. Nous parlons de notre alimentation et de notre culture alimentaire et nous avons rencontré beaucoup d’enthousiasme chez les gens.

C’est pour cela que la campagne des semences de Via Campesina a acquis des expressions particulières dans chaque région. Sur notre continent, à travers la Coordination latino-américaine des organisations paysannes (CLOC), elle cherche à fortifier et articuler des systèmes locaux de conservation de la biodiversité, connus dans le langage technique comme systèmes in situ, dont la caractéristique est d’être maintenus par les agriculteurs, cueilleurs, éleveurs, et spécialement par les femmes paysannes et indigènes.

Ces systèmes ont souffert un affaiblissement de leurs réseaux d’échange, un appauvrissement dans la création de variétés et d’espèces végétales et animales employées dans l’alimentation et les activités culturelles et productives de chaque communauté. Ainsi, depuis vingt ans au moins, les liens entre ces types d’activités sont en train de se perdre.

C’est pour cela que Via Campesina, la CLOC et les diverses organisations paysannes, indigènes, et de la pêche artisanale, les anciens de nos communautés, et plus spécialement les organisations de femmes, à travers la campagne « Les semences, patrimoine des peuples au service de l’humanité », nous avons affronté cette situation, à différents niveaux. Ceci a engendré un scénario favorable pour la rencontre et les retrouvailles des acteurs locaux et globaux dans les secteurs politiques, culturels, économiques et techniques.

Le but est que tous puissent dialoguer et s’orienter vers des accords au sujet d’un « Système de semences des communes » qui opérerait à l’échelle globale dans le monde rural. Pour cela, ce système requiert une plateforme paysanne et populaire en vue de son application et diffusion.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2846.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : ALAI, 12 septembre 2005.

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