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DIAL 3566

HONDURAS - Sula : Une vallée de larmes et de résistances

Mateo Crossa

mercredi 17 février 2021, mis en ligne par Dial

Cet article de Mateo Crossa, publié sur le site de la revue Nueva Sociedad en décembre 2020 présente le contexte historique et socio-économique qui constitue la toile de fond du désastre occasionné par le passage des ourages Eta et Iota en novembre 2020 au Honduras.


La vallée de Sula, actuellement dévastée par les ouragans Eta et Iota et fortement touchée par le Covid-19, a traditionnellement constitué le cœur de l’occupation transnationale au Honduras. Elle a également été le cœur d’une vive résistance. Les structures utilisées pour résister à l’exploitation des travailleurs servent aujourd’hui à organiser la solidarité sociale.

Le peuple hondurien subit actuellement les assauts de la pandémie et de catastrophes environnementales qui se sont traduites par des centaines de morts et d’énormes pertes dans le pays. Mais il vit aussi une autre pandémie : celle de la violence d’un État qui n’a travaillé qu’à l’aggravation des inégalités, de la pauvreté et des migrations. L’une des régions du Honduras les plus éprouvées par le Covid-19 et les destructions dues au passage de l’ouragan Eta et de la tempête tropicale Iota en moins de deux semaines est le nord-ouest du pays, plus précisément la vallée de Sula, où les inondations engendrées par la crue des rivières Ulúa y Chamelecón ont provoqué des ravages.

L’ampleur des dégâts fait qu’à ce jour il est impossible de savoir précisément quels dommages ces phénomènes ont engendrés dans la région et le pays, non seulement les destructions subies dans la vallée de Sula mais aussi les difficultés qui en découlent dans le département de Santa Bárbara et dans le vaste territoire historiquement déshérité de La Mosquitia. Au moins trois millions et demi de personnes ont été victimes de ces phénomènes [1], tandis que l’on dénombre au moins un demi-million de personnes déplacées dans le pays [2] pour la même raison. Dans ce contexte, il a été calculé que les dégâts consécutifs aux ouragans doubleront le déficit de logements à l’échelle nationale [3], ce qui signifierait un besoin approximativement égal à 2,5 millions d’habitations. Plusieurs économistes [4] ont estimé que l’impact des ouragans Eta et Iota pourrait atteindre 40% du PIB ou bien se traduire par cinq années de recul, ce qui pourrait faire grimper le taux de pauvreté à 80% en 2021. À cela s’ajoutent les maladies qui pourront apparaître après le passage des ouragans et la vulnérabilité de 1,5 million d’enfants exposés au désastre.

La vallée de Sula, actuellement anéantie, a toujours été au cœur de l’occupation transnationale au Honduras, depuis la longue présence d’immenses étendues de bananeraies aux mains des United Fruit Company et Standard Fruit Company, jusqu’aux grands terrains occupés actuellement par les maquilas des multinationales.

Depuis un siècle, cette région d’un peu plus de 6 000 kilomètres carrés a été accaparée par les entreprises bananières états-uniennes qui se sont étendues sur des milliers d’hectares de monoculture sillonnés par des voies ferrées débouchant sur les quais et dans les ports de la côte au service des exportations vers les États-Unis. Les conditions de travail ont été ici d’une grande barbarie, comme l’illustre très bien la plume de Ramón Amaya Amador dans son roman Prisión verde, mais aussi les grands mouvements de rébellion populaire, notamment l’historique grève bananière de 1954, qui fit trembler le pouvoir de l’argent face à l’immense insurrection ouvrière qui secoua le pays tout entier, avec pour épicentre la commune de La Lima, aujourd’hui gravement endommagée.

À partir des années 1980, quand le Honduras devint un appendice de l’emprise économique et politique états-unienne en Amérique centrale, dans le contexte de la révolution sandiniste au Nicaragua et du conflit armé au Salvador, d’importants capitaux provenant de l’étranger arrivèrent dans la vallée de Sula pour être investis dans l’industrie maquiladora d’exportation, profitant des piètres conditions salariales qui prévalent dans le pays, ainsi que de la position stratégique occupée par Puerto Cortes pour l’exportation de biens manufacturés vers la Floride. Depuis cette époque et jusqu’à aujourd’hui, sous l’impulsion de politiques économiques néolibérales qui n’ont fait que garantir la vente du territoire national aux grandes entreprises, la vallée de Sula s’est transformée en l’enclave manufacturière exportatrice sur laquelle repose le gros de l’économie nationale.

Un couloir de maquilas allant de Choloma à El Progreso s’est créé au fil des ans pour absorber un énorme contingent de travailleuses et de travailleurs venus à l’origine de régions rurales pour s’installer le long des lignes de production. Ces derniers travaillent nuit et jour, 12 heures par jour sans pause, employés à coudre des vêtements simples et à assembler des harnais destinés au marché états-unien. Ainsi, 150 000 travailleurs et travailleuses des maquilas se sont installés dans les différentes colonies populaires de la vallée de Sula, où ils font face et s’organisent quotidiennement contre les vexations et violations permanentes du droit du travail. Ce lieu historique est devenu de la sorte un territoire marqué non seulement par l’exploitation des grandes entreprises, mais également par la résistance et la révolte qui ne laissent jamais en repos les détenteurs de l’argent.

À partir des années 1990, à l’apogée des maquilas, des organisations ouvrières ont mené des grèves historiques dans toute la vallée de Sula pour dénoncer bas salaires, licenciements, journées exténuantes et travail des enfants. C’est à partir de là qu’ont été organisées des campagnes générales de dénonciation qui ont mis en échec les marques vestimentaires en révélant leur responsabilité et leur totale impunité dans la précarisation du travail. En outre, cette révolte a joué un rôle capital dans l’établissement de liens de solidarité avec les organisations de travailleurs d’autres branches, dans la formation du mouvement syndical du secteur du melon, dans le soutien des revendications du secteur de la banane, dans la lutte féministe contre la violence patriarcale, dans la rébellion contre les fraudes électorales et contre les politiques néolibérales de privatisation de l’éducation et la santé publique.

Les colonies ouvrières dévastées par le passage des ouragans Eta et Iota se sont construites et agrandies avec les années à mesure que travailleurs et travailleuses ont créé leurs foyers sans l’aide de personne, uniquement à force de travail. Les médias patronaux et la classe politique ont beau essayer de présenter le désastre actuel comme relevant de causes différentes et extérieures, les ravages provoqués par ces phénomènes météorologiques (imputables aux effets du réchauffement global) mettent en évidence un vol historique et institutionnalisé de richesses qui, au lieu de rester entre les mains de la population qui les crée quotidiennement par son travail, ont été spoliées pour finir dans les coffres des grandes sociétés maquiladoras et bananières qui ont accumulé leurs gains année après année aux dépens de la vie ouvrière. Ce vol institutionnalisé a provoqué une pénurie généralisée qui se reflète dans le manque de logements dignes et de sécurité dans la reproduction de la vie ouvrière dans la vallée de Sula.

Le problème ne tient pas uniquement à la force des ouragans Eta et Iota au Honduras et dans la vallée de Sula, mais à des décennies de spoliation de richesses qui ont laissé les travailleurs de la campagne et de la ville dans une situation de survie, sans garantie de sécurité, de logement ni de travail digne. Cette longue histoire d’exploitation et de spoliation d’une économie d’enclave comme celle du Honduras est la principale cause des conséquences catastrophiques qu’a engendrées le passage des ouragans sur le pays. L’absence de politiques publiques en faveur des citoyens a été mise au jour, de surcroît, par la pandémie. Le Honduras dispose actuellement d’un système de santé public en miettes.

L’état hondurien brille par son absence à l’heure où il faudrait engager une politique sérieuse de prévention et d’intervention d’urgence pour les citoyens désemparés qui ont perdu leur domicile et leur travail ; pendant ce temps, beaucoup d’entreprises maquiladoras forcent leur personnel à travailler tout en annonçant en grande pompe des « aides » pour les travailleurs en difficulté alors que ces derniers ont consacré leur vie à leur faire gagner de l’argent et accumuler des richesses monopolistiques.

Mais le Honduras et la vallée de Sula se distinguent aussi par une solidarité populaire immense et inestimable que l’on peut observer dans les rues, sillonnées par des brigades de nettoyage, de ramassage et de distribution de vivres et d’assistance qui interviennent auprès de la population touchée. Des organisations de populations autochtones, ainsi que des mouvements de quartiers et syndicaux, répondent aux circonstances adverses en se mobilisant et en se solidarisant avec la population souffrante. De même qu’ils ont construit leurs vies dans la région sinistrée grâce à leur effort collectif, à contre-courant et avec un État qui leur a toujours tourné le dos, ils font face aujourd’hui au désastre provoqué par le passage des ouragans avec une grande capacité d’auto-organisation pour la survie et font de la défense de la vie une priorité.

Les syndicats de l’industrie maquiladora et du secteur de la banane ont constitué des brigades pour trier et collecter des vivres, et les distribuer à la population touchée (et non seulement à leurs membres), en plus de dénoncer les abus commis contre les personnes par les entreprises – nombre de celles-ci obligent les travailleurs et travailleuses à se présenter à l’usine en dépit des conditions défavorables. Que ce soit à pied, dans des chariots ou en bateau, les mêmes structures organisationnelles qui se sont créées dans ces secteurs pour résister aux constantes brimades professionnelles et se solidariser avec d’autres luttes dans le pays se mettent aujourd’hui au service de la population sinistrée pour la soutenir.

On voit par là, une fois de plus, que face à un État indolent qui se maintient à grand renfort de fraudes, de corruption et de poudre à canon, et qui tourne le dos à la souffrance et aux besoins les plus pressants, l’autogestion, l’autodétermination et l’organisation des travailleurs et travailleuses ont été les meilleurs outils pour faire face aux conséquences catastrophiques des ouragans et de la pandémie au Honduras, notamment dans la magnifique vallée de Sula.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3566.
 Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
 Source (espagnol) : Nueva Sociedad, décembre 2020.

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