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DIAL 3575 - Dossier « Constituante »

CHILI - Natalia Garrido Toro : « Il faut que la constituante revête les couleurs du peuple, que le Chili s’écrive en partant des femmes des quartiers populaires »

Opazo

samedi 10 avril 2021, mis en ligne par Dial

Le samedi 15 et dimanche 16 mai auront lieu les élections pour élire la Convention constituante qui aura pour mission de rédiger une nouvelle constitution, après la victoire du Oui lors du référendum du 25 octobre 2020 [1]. Dans ce dossier « Constituante », nous présentons le portrait de deux candidates et un candidat. Ces textes ont été publiés sur le site d’El Ciudadano les 11, 15 et 17 mars.


Nous avons discuté à Peñalolén avec Natalia Garrido, dirigeante du Mouvement des Pobladoras [2] en lutte, qui est aussi l’une des personnalités référentes de la défense du droit au logement et à la ville au niveau national, de sa candidature constituante pour le district 11 [3] et des tâches qui attendent le mouvement social en cette période.

Comment perçois-tu une candidature du mouvement populaire dans un district tel que le 11 ?

Nous sommes conscients de nager à contre-courant mais nous croyons que le D11 ne peut pas rester éloigné du processus de transformation nationale, encore moins être un bastion du vieux monde. Nous connaissons nombre de personnes dans ces communes qui sont descendues dans la rue en octobre et qui ensuite ont voté « pour » lors du référendum en faveur d’une nouvelle constitution. De nombreuses personnes de ce district sont conscientes que cela ne peut plus durer et qu’il faut se joindre au cri « ça suffit ! ». Ici aussi, même si on l’oublie souvent, vivent des gens pauvres, une classe de travailleurs, des pobladores. Nous les pobladores construisons depuis longtemps une alternative, une alternative sociale et politique de vie digne. Ce que nous nous efforçons de construire au sein des communautés aujourd’hui, c’est précisément de faire de cette minorité une majorité active qui transforme cette partie de la ville, avec les camarades du féminisme communautaire, comme Daniela Ocaranza et Alicia Cariqueo, du mouvement populaire tels que Guillermo Gonzalez et Lautaro Guanca et des leaders communautaires comme Fernando Martínez, à La Reina.

Pourquoi votre mouvement a-t-il décidé de participer au processus constituant ?

Nous avons décidé d’occuper cet espace pour que, comme le dirait El Che, la constituante revête les couleurs du peuple. Qu’elle prenne les couleurs des travailleuses, des pobladoras, des femmes. Qu’elle prenne les couleurs de cette jeunesse populaire. Nous cherchons à apporter dans le débat sur la nouvelle constitution les contenus des délibérations des quartiers et des poblaciones, en menant le combat pour poser les fondements d’un nouvel État dans lequel nous puissions construire l’égalité pour vivre avec dignité.

Nous voulons que le mouvement populaire accède à la convention, que les dirigeantes et militantes sociales, ainsi que les idées et les propositions de la rue soient représentées dans le débat. Mais il est important aussi que le processus de mobilisation et de construction d’un pouvoir populaire ne s’arrête pas. Pour cette raison nous avons conçu cette campagne comme un grand processus d’alphabétisation populaire, d’alphabétisation politique qui permette de continuer de faire progresser notre propre pouvoir, ce pouvoir populaire constituant, pour que toutes et tous récupérions le pouvoir, la souveraineté sur la vie, les territoires et l’État.

Dans un livre que tu as coordonné il y a quelques années, Lucha por la tierra, la vivienda y la ciudad [Lutte pour la terre, le logement et la ville] tu soulignais l’idée de « révolutionner la ville en partant d’en bas » pour créer une ville sans expulsées ni expulseurs. À quoi fait référence cette idée et quelle relation a-t-elle avec le processus constituant ?

La dictature et la Concertation [4] nous ont laissé une ville néolibérale, une ville inégalitaire, une ville hérissée de murs qui nous empêchent de nous rencontrer. Une ville qui nous prive du peu que nous possédons et ne nous donne rien en échange. Non seulement elle nous refuse le droit au logement et au sol, mais aussi aux transports, aux espaces verts, aux lieux publics, à pouvoir habiter de façon décente. Le mouvement des pobladoras en lutte est née pour prendre le contre-pied de cette ville, comme une force populaire de changement et d’unité sociale partant des territoires.

Nous considérons que la pobladora est une nouvelle actrice historique de transformation qui a la force d’impulser un changement radical depuis son propre espace de vie, c’est-à-dire en construisant une población nouvelle. C’est en partant de là que nous pensons le Chili, en partant de la vision de cette femme, de la femme pobladora qui soigne, travaille, s’éduque par elle-même, lutte et s’organise. Je crois que dans la douleur de cette femme est présent l’espoir d’un monde nouveau, d’un nouveau Chili. Dans les réponses solidaires des gens, face au capitalisme et à la pandémie, se trouvent les clés pour repenser le pays. Et c’est cette femme qui, depuis 200 ans, est expulsée de la ville, marginalisée à l’extérieur des murs de la ville comme aussi à l’extérieur des frontières de la politique. Pour cette raison nous disons que cette ville est non seulement capitaliste mais aussi patriarcale. Et ce ne pourra pas changer par un simple décret, nous avons besoin d’une nouvelle Constitution qui garantisse le droit à un logement décent et à la ville nouvelle, mais il faut aussi que nous opérions une révolution en partant d’en bas avec d’autre formes économiques, coopératives et populaires, une autre forme d’éducation, communautaire, non sexiste et interculturelle, avec une autre politique, démocratique, horizontale, directe et anti-patriarcale.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3575.
 Traduction de Françoise Couëdel pour Dial.
 Source (espagnol) : El Ciudadano (Chili), 15 mars 2021.

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[2Les pobladoras sont les habitantes des quartiers populaires, nommés poblaciones au Chili – NdlT.

[3Le district électoral 11 est constitué des communes de La Reina, Las Condes, Lo Barnechea, Peñalolén et Vitacura, à l’est de Santiago. Ces communes sont en majorité des lieux de résidence des classes supérieures, qui ont longtemps été des soutiens fidèles de l’héritage de la dictature d’Augusto Pinochet – note DIAL.

[4La Concertation des partis pour la démocratie, coalition de partis politiques chiliens du centre et du centre-gauche, a été au pouvoir de 1990 à 2010 – NdlT.

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