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Opinion

COLOMBIE - Pourquoi la violence ne cesse-t-elle pas ?

Nepomuceno Marín

mardi 13 avril 2021, mis en ligne par Françoise Couëdel

31 mars 2021 - Au cours des premiers mois de l’année la violence en Colombie s’est manifestée à Corinto (Cauca), à la frontière colombo-vénézuélienne, et dans le Guaviare où un bombardement militaire a tué une douzaine d’enfants mineurs.

Au cours des trois premiers mois de l’année divers évènements violents ont ébranlé la Colombie, particulièrement dans des régions éloignées de la capitale du pays et dans des zones éloignées de l’organisation sociale dominante.

L’explosion de Corinto dans le Cauca

Le 26 mars, dans la municipalité de Corinto (région du Cauca), de plus de 31 mille habitants, avec une importante population d’indiens, de paysans et d’afro-descendants, une voiture piégée a explosé en face de la Mairie et de la station de police locale faisant 28 blessés, dans leur grande majorité des fonctionnaires publics dont 5 sont en état critique. Les faits sont attribués à la colonne Dagoberto Ramos des FARC, présents dans le nord du Cauca, dans la vallée du Cauca, Tolima et Huila.

Le même jour, dans un lieu proche, ont été séquestrés un fonctionnaire du Tribunal et son corps d’enquêteurs judiciaires, tandis que dans la municipalité de Argelia, plus au sud du département, un soldat de la contre-guerilla a été exécuté par un franc tireur de la colonne Jaime Martínez du Commando coordinateur de l’Occident des FARC-EP.

Les évènements précédents s’ajoutent à d’autres qui se sont produits lors des dernières semaines dans cette région de Colombie frappée par la pauvreté, la corruption et la décomposition sociale et politique des clans qui ont fait main basse sur l’État, le gouvernement départemental et les administrations des 42 municipalités.

Dans le Cauca, ont augmenté clairement les actions des insurgés comme expression d’un nouveau cycle de violence et d’une guerre prolongée qui tend à perdurer dans le temps et à gangrener la société, qui implique des communautés indiennes, des cultivateurs de coca, des paysans et des populations afro-descendantes.

Dans cette guerre le Cauca a un besoin urgent d’actions humanitaires qui empêcheraient ces atteintes contre la population la plus vulnérable, causées par des affrontements entre les Indiens et les groupes de guerrilleros des FARC, et des conflits entre les noyaux d’insurgés qui opèrent sur ces territoires.

Les évènements dans l’Arauca (Apure)

Par ailleurs, dans le courant de la semaine qui s’achève, on a eu connaissance de faits de violence graves qui se sont produits sur la frontière entre la Colombie et le Venezuela. Une action de l’Armée vénézuélienne et des Forces spéciales (FAES) contre un noyau des FARC-EP du Front 10 Martin Villa, localisé sur le territoire du département de l’Arauca, a occasionné le déplacement de 4 000 paysans et la mort d’un nombre indéterminé de personnes et de plusieurs officiers du corps armé bolivarien.

La situation de violence sur la frontière colombo-vénézuélienne est assez confuse en raison de la division bi-nationale, devenue un scenario de guerre de quatrième génération ou guerre asymétrique orchestrée, planifiée et menée par le Commando Sud des États-Unis, l’OTAN et l’armée de Duque, engagés dans une stratégie belliqueuse pour en finir avec la révolution bolivarienne et le gouvernement du président Nicolas Maduro. Sur la longue frontière entre les deux pays officie un sinistre laboratoire de guerre, dans lequel sont impliqués la CIA et d’autres organes de guerre du Pentagone, qui reproduit les modèles interventionnistes mis en œuvre dans d’autres lieux de la planète comme partie inhérente d’une géopolitique impériale pour maintenir la domination globale de la puissance gringa. Participant de ce laboratoire a été la scène jouée avec Guaidó, au début de 2019, à Cúcuta, avec la participation de paramilitaires des Rastrojos [1] et le déplacement permanent de brigades, de bataillons et de forces conjointes colombiennes sur les territoires mitoyens du Venezuela, particulièrement dans la région de Catacumbo et la ville de Cúcuta.

Ce qu’il faut comprendre plus précisément c’est que les territoires, qui ont plus de 2 200 kilomètres de ligne frontalière, sont devenus un espace stratégique pour les projets impérialistes d’invasion, de déstabilisation et d’une guerre régionale qui impactera toute la zone sud-américaine avec des messages clairs et des répercussions importantes sur le mouvement social et populaire qui renait, en raison de ce qu’il propose : la résistance contre les droites fascistes en Bolivie, Équateur, Argentine, Chili, Mexique. Dans ces pays, l’action populaire et celle des mouvements sociaux gagnent du terrain grâce à des luttes pour reconquérir le pouvoir politique et l’hégémonie. Ce qui vient de se passer sur les territoires de l’Apure et de l’Arauca est à prendre avec prudence pour ne pas tomber dans le jeu des généraux de la guerre et des caciques de l’ultra-droite qui pèchent dans l’eau trouble de la confrontation armée pour récupérer les espaces perdus avec la révolution bolivarienne et la permanence du gouvernement populaire cubain, dont les influences sur le cours des luttes populaires latino-américaines sont indéniables.

Jusqu’à présent, le président Maduro et le gouvernement bolivarien ont prouvé qu’ils ne sont pas un os facile à ronger. Car ce qui est certain c’est que le processus bolivarien est parvenu à défier avec beaucoup de détermination les tentatives successives de l’empire et de l’extrême droite colombienne pour le détruire. Il faut encore s’attendre à d’autres projets de conspiration de l’administration Biden, laquelle peaufine d’autres modèles d’érosion contre-révolutionnaire, en combinant la carotte et le bâton, et en projetant, avec l’aide appuyée du royaume de Norvège, de prendre d’assaut la richesse pétrolière et minière de la patrie de Bolívar. Ce serait au final décrocher le gros lot.

Le bombardement et la guerre du Guaviare

Enfin, mais ce n’est pas la fin, le bombardement par la Fudra Omega de l’armée colombienne et le commando Sud, cantonné dans le Guaviare à proximité de Buenos Aires, dans la municipalité de Macarena, où ont été massacrés, démembrés et mutilés plus d’une douzaine de jeunes gens mineurs par des bombes puissantes, s’inscrit dans cette longue chaîne de faits violents qui indiquent que la guerre et le conflit armé sont toujours profondément enracinés dans la société colombienne. Tout cela en dépit de la propagande sur l’Accord de paix, signé fin 2016, par l’État colombien avec un secteur des Farc, qui s’est impliqué dans une opération de « transformation politique », signé par les deux parties, pour vaincre la résistance et le soulèvement armé d’importants noyaux agraires frappés par la violence des propriétaires terriens, des latifundistes et des militaires, et des castes dominantes dans l’État depuis presque un siècle.

L’offensive militaire gouvernementale dans le Guaviare indique, par ailleurs, que les Forces armées de Colombie, ne sont que le fer de lance du Pentagone et du Commando Sur pour conserver et accentuer le contrôle territorial sur une vaste zone de l’Amazonie qui représente une importante richesse forestière, hydrique, minière et agricole. De puissantes multinationales du secteur de l’alimentation, du pétrole, des mines et des groupements entrepreneuriaux colombiens, liés à l’industrie du sucre et à l’agroalimentaire, ont pour projet le contrôle absolu de la Altillanura de l’Orénoquie, par appropriation des terres en jachère de l’État (Vichada) et des terres de centaines de petits propriétaire (Macarena, Vistahermosa, Uribe, Mapiripán qui se sont organisés sur leurs petites parcelles pour pouvoir survivre et lutter contre les désastres déclenchés par l’offensive militaire dans les années 1997-2006.

En outre, au bombardement dans le Guaviare, s’ajoute la guerre des drogues et la fumigation de glyphosate, ordonnée par Ivan Duque et le ministère de la défense, sur de milliers d’hectares cultivés par de petits cultivateurs de coca qui en tirent leur subsistance, maillons d’une chaine de production dont les plus gros gagnants sont les réseaux organisés internationaux de la drogue et le système financier global.

Disons pour conclure qu’en Colombie nous vivons un troisième cycle de la guerre et que celle-ci se prolonge comme conséquence du processus de paix entre Santos et le clan Timochenko, devenu un parti caricatural, inféodé à la puissance oligarchique et tyrannique des vieilles familles infiltrées depuis des siècles dans les différents appareils de l’État.

Un coup d’État manqué et les jeux de l’ultra-droite uribiste

Éradiquer cette guerre, en modifier le sens, doit résulter d’une avancée du mouvement populaire dans le camp politique grâce à de franches victoires dans ses actions de masse, à des soutiens à la résistance agraire et à des avancées dans le domaine électoral, qui dépasseraient la gesticulation et la superficialité des discours de certains personnages dans le but de capitaliser des voix sur le mécontentement populaire évident que renvoient les mobilisations récentes des Colombiens.

Même si le dénommé « Pacte historique » du sénateur Gustavo Petro est un fait d’une importance indéniable, qui reflète la progression du mouvement populaire et qui lui offre de grandes probabilités de victoire aux élections présidentielles qui auront lieu dans 14 mois, en 2022, dans le camp des forces progressistes et de gauche d’autres forces s’expriment. En particulier au niveau régional elles ont des objectifs plus ambitieux, la perspective de changements profonds de la société, qui ne se limitent pas au simple accès aux appareils de l’État, dont le risque serait de s’arrêter à la simple gestion de la crise du modèle néolibéral pour le rendre plus inclusif, quand, en réalité, ce qui est indispensable est de faire avancer la réforme agraire, de nationaliser les banques, de promouvoir l’industrie des moyens et petits entrepreneurs, d’instaurer la gratuité de l’éducation à tous les niveaux, l’accès à la santé pour des millions de personnes exclues et un système institutionnel qui garantisse la participation directe des citoyens aux décisions du gouvernement local, départemental et national pour lutter contre la corruption et la mainmise permanente sur les deniers publics.

Voilà où nous en sommes en Colombie, avec une droite qui manœuvre à fond pour réorganiser le bloc dominant dans le but de garantir sa permanence dans les assises du pouvoir qui seront renouvelées au premier trimestre de 2022. Jusqu’à présent différents moyens ont été tentés pour prolonger le gouvernement d’Iván Duque jusqu’à 2024, y compris un coup de force déguisé sous le prétexte du Covid 19 et son intervention pour éviter de cette façon la ruine politique prévisible lors du vote présidentiel de mars 2022. Mais comme cette tentative a reçu une condamnation unanime, les manœuvres lancées par l’ultra-droite fasciste envisagent la candidature à la présidence du candidat dynastique, le fils de Uribe Vélez, en tant que chef d’entreprise des grandes surfaces ; la candidature d’une coalition uribiste avec le Parti conservateur (Nieto, Ramírez, Cárdenas) ; la coalition de clans maffieux régionaux (Char, Toro, Pérez, Aguilar, Geneco), enrichis par la corruption associée au pillage du système général des commissions et aux revenus de la drogue ; les candidatures indépendantes de l’ancien maire de Bogotá Enrique Peñalosa et de l’Opus Dei, l’ancien maire de Medellín, Fico Gutiérrez, prophète des modèles de polices urbaines de sécurité qui ont soutenu le gouvernement de Macri en Argentine et ses manœuvres répressives.

Par ailleurs, au milieu de tout cette agitation, il faut retenir le rôle du dénommé centre politique, incarné par Sergio Fajardo, un leader vert qui a un certain ascendant sur les classes moyennes urbaines d’Antioquia et celle des producteurs de café, mais qui est contesté en raison de ses implications dans les scandales du barrage géant de Hidrohituango et de ses connivences avec les paramilitaires de Don Berna du temps où il était maire de Medellin. Fajardo est néanmoins une carte que peut jouer Uribe dans le cas où la crise atteindrait des niveaux extrêmes qui mettraient en péril tout l’engrenage de la domination de l’oligarchie.


Traduction française de Françoise Couëdel.

Source (espagnol) : https://www.alainet.org/es/articulo/211614.

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[1Rastrojos est un cartel de la drogue colombien anciennement engagé dans le conflit armé colombien – NdT.

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