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DIAL 2816 - Dossier : Pourquoi le panorama religieux du Brésil a-t-il tant changé ?

BRÉSIL - I. La situation de l’Eglise catholique

Alberto Antoniazzi

vendredi 1er juillet 2005, par Dial

Dans ce dossier, Dial publie le document intitulé « Pourquoi le panorama religieux du Brésil a-t-il tant changé ? », rédigé par Alberto Antoniazzi et publié en encart dans le Bulletin hebdomadaire de la Conférence nationale des évêques brésiliens (CNBB), les 18 et 24 novembre 2004. La situation de l’Eglise catholique, qui connaît une baisse réelle en pourcentage de la population brésilienne fait l’objet de ce premier article, celle des Eglises évangéliques, dont la croissance est effective, est présentée dans l’article suivant ainsi que la situation des « autres religions » et des « sans-religion ». L’auteur, après avoir fait un état précis des lieux, propose des hypothèses explicatives des changements en cours.


Entre 1991 et 2000, le pourcentage des catholiques a baissé de 83,3% à 73,9%, celui des évangéliques a augmenté de 9% à 15,6%, celui des « sans-religion » est monté de 4,7 % à 7,4 %.

Comment comprendre ce changement ? Quelle est la responsabilité de l’Eglise catholique ?

Les résultats du recensement de 2000 relatifs aux religions ont été publiés il y a pas mal de temps, mais - sauf erreur de ma part – il y eut peu de débats sur les changements observés ni sur les causes. Quelques spéculations ou cris d’alarme ne manquèrent pas à l’occasion de la publication des données, mais leur présentation pourtant soigneuse et efficace dans le bel Atlas da Filiação Religiosa n’a pas motivé, du moins dans le cercle des pasteurs et théologiens de l’Eglise catholique, une analyse ni un débat approfondis.

La raison de ce silence est peut-être la complexité du sujet et aussi la surprise. De fait, la diversité religieuse au Brésil est impressionnante et une tentative de discerner les causes des changements n’est pas un travail facile. C’est pourquoi, avec la prudence nécessaire face à ce défi, je vais tenter de proposer quelques réflexions. Je m’efforcerai, principalement, d’éviter un discours vague et simpliste pour aborder des aspects divers – et selon moi importants – qui doivent être considérés.
Pour cela, à la lumière des données de l’Institut brésilien de géographie et statistique (IBGE), de l’Atlas cité, du Centre de statistique religieuse et de recherches sociales (CERIS) sur les structures et ressources humaines de l’Eglise catholique, d’études de sociologie religieuse, j’examinerai les diverses familles religieuses et leurs différences, les mettant en relation - si possible - avec le contexte culturel où elles se situent. Pour cela, je traiterai séparément des catholiques, des évangéliques, des autres religions et des « sans-religion ».

Je ne prétends pas, évidemment, être exhaustif ou offrir une vision complète du phénomène. Je me limiterai à indiquer ce qui peut aider les catholiques (mais aussi les autres personnes intéressées) à comprendre les changements récents que sont arrivés et continuent de se produire.

L’expansion géographique de la diversité religieuse

Avant d’aborder des thèmes spécifiques, nous allons tenter un regard global sur le phénomène de la « diversité religieuse ».
Le Brésil, jusqu’aux années 70 du XXe siècle, paraissait un pays catholique, où la religion catholique non seulement était celle de la majorité, mais avait presque le monopole des croyances et attitudes religieuses. Le recensement de 1980 enregistra, pour la première fois dans l’histoire du Brésil, un pourcentage de catholiques inférieur, quoique de peu, à 90%. Comme on l’a vu, ce pourcentage a diminué dans les recensements suivants : 83,3% en 1991 et 73,9% en 2000.

Nous avons ainsi un processus de diversification religieuse où croissent les Eglises évangéliques (traditionnelles ou pentecôtistes) et les « sans-religion ». Les autres religions (spiritisme, umbanda, religions orientales, judaïsme, islam…) stagnent depuis 1980 aux environs de 3% de la population brésilienne. Le processus n’a pas la même intensité dans tout le Brésil. En 1980, l’unique Etat ayant un indice élevé de diversité religieuse est celui du Rondônia. Les autres régions du Nord du pays (l’Amazonie) montrent aussi une tendance, quoique commençante, dans le sens d’une diversification. Aux catholiques s’ajoutent spécialement les évangéliques pentecôtistes. Dans tous ces cas, nous sommes devant une population qui comporte un nombre important de migrants, qui viennent occuper des zones du territoire national encore en friche.

Une tendance à la diversification religieuse apparaît aussi dans une région différente, celle des Etats d’Espírito Santo et de Rio de Janeiro. Ici la diversification paraît liée aux Eglises évangéliques plus traditionnelles (y compris un nombre significatif de luthériens, descendants d’immigrants allemands, dans l’Espirito Santo) et à son expansion dans les régions proches (par exemple Governador Valadares dans l’Etat du Minais Gerais).

Les cartes de 1991 et 2000 confirment les tendances de 1980. Le Rondônia et l’Amazonie présentent l’indice le plus élevé de diversification religieuse et la diversité caractéristique des Etats de Rio et d’Espírito Santo pénètre plus au nord (au sud de l’Etat de Bahia) et s’étend par le littoral brésilien au sud (São Paulo et Paraná). En 2000, la diversité religieuse se manifeste dans les grandes métropoles, spécialement par l’accroissement du nombre des pentecôtistes et des « sans religion ». En général, la diversité religieuse tend à devenir une réalité commune à tout le Brésil, à l’exception de trois régions : le Sertão du Nordeste ; l’intérieur du Minais Gerais ; l’intérieur du Paraná, Santa Catarina et Rio Grande do Sul. (…)

Force et faiblesse de la présence catholique

L’évidence de la diversité des situations apparaît en premier lieu quand on compare le pourcentage de catholiques par Etat. Selon le recensement de 2000, il y avait des Etats « plus catholiques » et d’autres qui l’étaient moins. Voici la classification respective :

Etats ayant le plus fort pourcentage de catholiques :

Piauí : 91,3%

Ceará : 84,9%

Paraíba : 84,2%

Maranhão : 83%

Minas Gerais : 78,8%

De même au sud de Santa Catarina et au nord du Rio Grande do Sul il y a plus de 85% de catholiques.

Etats ayant le plus faible pourcentage de catholiques :

Rio de Janeiro : 57,2%

Rondônia : 57,5%

Espíritu Santo : 60,9%

La carte du catholicisme

Comme on le voit, les différences sont actuellement très expressives. Mais une étude plus détaillée des cartes donne d’autres indications précieuses. Par exemple, le Nordeste – qui présente l’indice le plus élevé de catholiques, au moins dans les quatre Etats cités plus haut, présente en réalité des pourcentages très élevés dans l’intérieur, dans le sertão, et des pourcentages faibles sur le littoral, de Recife au sud de Bahia. Ceci suggère (et l’histoire me semble le confirmer) que nous sommes devant deux (ou plus ?) situations religieuses et culturelles bien différentes : le catholicisme de l’intérieur a un caractère plus pénitentiel et a été marqué par les missions populaires des capucins, franciscains et autres religieux depuis le XVIIe siècle ; le littoral conserve un catholicisme plus festif, lié à la dévotion aux saints, mais moins austère et même assez libéral en matière de coutumes. Et dans les villes du littoral des tendances peu disposées à accepter la hiérarchie ecclésiastique se manifestèrent dès le XVIIIe siècle, révélant un sens critique propre à qui vit dans un milieu où il y a davantage de possibilités de choix. En ce cas, les racines de la situation actuelle s’établissent dans un contexte historique très ancien, antérieur à l’effort modernisateur et romanisant de l’Eglise catholique de la seconde moitié du XIXe et d’une bonne partie du XXe siècle.

On a observé que le catholicisme de l’intérieur du Nordeste est inséré dans une population pauvre et de faible scolarité. Mais il est certain que l’explication de la persistance et de la vigueur du catholicisme local ne se réduit pas à ces facteurs. L’autre noyau fort du catholicisme est constitué par le sud de Santa Catarina et le nord de Rio Grande do Sul (des zones de bon niveau de scolarisation et de revenus). C’est là qu’on trouve très peu de pertes de fidèles et même des zones où les catholiques n’ont pas du tout diminué entre 1991 et 2000.

Les points les plus faibles de la carte catholique

Tournons maintenant notre attention vers les points faibles du catholicisme au Brésil. Les pourcentages par Etat ont révélé trois situations graves : Rio de Janeiro, Rondônia et Espíritu Santo. Elles conduisent à une réflexion plus générale : elles indiquent que des zones d’immigration et d’occupation récente (comme le Rondônia et diverses zones du Nord et Centre-Ouest) et des métropoles (comme Rio de Janeiro, mais aussi São Paulo, Belo Horizonte, Salvador, Recife…) sont les plus problématiques pour les catholiques. En ce qui concerne les métropoles, il ne suffit pas de considérer les chiffres des capitales. Il faut regarder principalement du côté des communes de la couronne métropolitaine qui, durant les derniers 10-20 ans, ont grandi énormément en population, tandis que les capitales avaient une croissance inférieure à la moyenne nationale. (…)

Mouvements de population et comportement de l’Eglise catholique.
Nous avons étudié les points faibles (du point de vue géographique ou territorial) de l’Eglise catholique au Brésil. Nous allons en chercher les causes. Elle sont certainement nombreuses et complexes, mais cela n’avance guère de mettre le doigt sur les changements culturels de caractère général (modernisation, sécularisation, individualisme, subjectivisme, relativisme, hédonisme…)

Ces changements affectent toutes les religions, mais, comme nous l’avons vu, la capacité de leur résister ou d’en profiter est très différente d’une religion à l’autre.

Au sujet des catholiques, nous nous limitons à considérer deux facteurs bien concret : d’un côté, la possible influence des migrations ou des mouvements de population au Brésil qui paraissent contribuer à fragiliser le catholicisme ; de l’autre, la réponse institutionnelle ou mieux, l’effort fait (ou non) par l’Eglise pour mieux prendre en compte les populations récemment arrivées dans les régions de peuplement récent ou dans la périphérie des grandes métropoles. (…)

Paraná et Rondônia : deux pôles

Nous commençons par un exemple qui paraît assez significatif. Le Paraná a eu un rythme de croissance démographique différent du reste du pays. Après une forte croissance entre 1960 et 1970 (+63%), attirant un fort flux migratoire de l’extérieur, sa croissance s’est réduite à des niveaux très bas à partir de 1970 et il est devenu exportateur de « main-d’œuvre » :

Périodes1970-19801980-19911991-2000
Paraná 10,7% 8,9% 13,2%
Brésil 28,2% 21,3% 15,4%

On sait qu’un bon nombre d’habitants du Paraná alla au Rondônia dont l’évolution démographique fut la suivante :

Population RondóniaIndice de croissance de la populationPopulation
En 1960 1961-1970 1971-1980 1981-1991 1992-2000 En 2000
71 000 +64,8% +329,9% +124,8% +21,8% 1 378 000

Dans la même période, les paroisses catholiques passèrent de 5 à 68 (augmentation de 1 360% tandis que la population croissait de 1 840%). La population par paroisse passa de 14 200 habitants à 20 300 habitants (peu au-dessus de la moyenne nationale de 19 324 habitants). Au Paraná, dans la même période, le nombre d’habitants par paroisse passa de 18 100 (en 1960) à 13 000 (en 2000), un chiffre bien inférieur à la moyenne nationale. En d’autres termes, le Rondônia s’est dégradé dans la même proportion que le Paraná s’est amélioré.

Une donnée complémentaire : en comparant les données de l’Anuario Católico de 1977 avec les données de 2000, pour le diocèse de Porto Velho (capitale du Rondônia) nous avons, en 1977, 33 prêtres pour 112 208 habitants (moyenne de 3 400 habitants par prêtre) ; en 2000, nous avons 42 prêtres (augmentation de 27%) et 496 755 habitants (moyenne de 11 827 habitants par prêtre ; augmentation de 342%). La dégradation de la présence pastorale de l’Eglise catholique en Rondônia dans cette période est évidente. (…)

Les régions métropolitaines comportant plusieurs diocèses

La situation du catholicisme est particulièrement fragilisée dans l’Etat de Rio de Janeiro et dans la région métropolitaine du Grand Rio. Il est intéressant d’observer que l’archidiocèse a conservé seulement la commune de Rio de Janeiro. Sa croissance démographique a été relativement lente : 4 316 978 habitants en 1970 ; 5 090 723 en 1980 ; 5 480 767 en 1991 ; 5 857 904 en 2000 (au total, une augmentation de 35,7%, alors que le Brésil croissait en moyenne de 79,5%). En 2000, dans la commune de Rio de Janeiro, 60,71% des habitants se déclaraient catholiques. L’archidiocèse comptait 542 prêtres (moyenne : un prêtre pour 10 330 habitants) et 240 paroisses (moyenne de 24 408 habitants par paroisse).

Très différente est l’évolution des diocèses voisins [1] (…)

DiocèsesNombre de paroissesHabitants par paroisseNombre de prêtresNbr habitants par prêtres
Duque de Caxias 19 64 470 32 38 279
Nova Iguaçu 43 43 803 69 25 428
Rio de Janeiro 240 24 408 542 10 330

On peut conclure que la population des diocèses de Duque de Caxias et Nova Iguaçu, au contraire des autres communes des régions métropolitaines, ont peu augmenté (dans la période 1980-2000). Même ainsi, le développement institutionnel a été inadéquat et la disponibilité d’agents pastoraux (au moins de prêtres diocésains et religieux) a été insuffisante comme on peut le constater dans le tableau suivant. Tout cela suggéré que l’Eglise catholique doit mieux répartir ses ressources [2].

Une hypothèse : seuls les catholiques pratiquants sont pris en compte

Il faut formuler une nouvelle hypothèse explicative. Nous l’avons déjà fait à l’Assemblée générale de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB), en analysant les défis pastoraux de l’Eglise catholique au Brésil : « Restent, malgré tout, de graves problèmes : 1°) la taille des paroisses urbaines qui est au-dessus (en quelques capitales très au-dessus) de la moyenne nationale, elle-même déjà élevée […] ». Et j’ajoutais : Dans cette situation, « nous courons le risque d’avoir une attention insuffisante au peuple et un épuisement prématuré des forces physiques et spirituelles du prêtre. Il faut, de plus, observer que le nombre des catholiques pratiquants qui demeurent, même dans les métropoles, et qui peuvent être 20-30% du total des catholiques, est suffisant pour créer une illusion d’optique et conduire à des conclusions pastorales équivoques. Quand le curé doit s’occuper de plusieurs milliers de catholiques pratiquants, sans compter les autres qui demandent certains sacrements comme le mariage pour eux-mêmes ou le baptême pour leurs enfants, le travail pastoral de routine (spécialement l’administration des sacrements) devient si pesant qu’il empêche le curé de se préoccuper des nouvelles exigences de son public potentiel. Pire : le curé est tenté de récuser toute nouveauté dans l’action pastorale, parce qu’il ne peut porter plus de travail et particulièrement l’effort épuisant pour affronter la nouveauté, l’inconnu qui exige plus de préparation et souvent la patience de l’apprentissage sur la base du « essai et erreur ». Dans une société en rapide changement où il y a nécessité d’entreprises innovantes, le travail pastoral court le risque d’une perte de qualité. »

Ces considérations suggèrent que nos curés, même les plus dévoués, ne peuvent pas accompagner, sinon de façon précaire, la masse des catholiques qui ne pratiquent pas régulièrement et qui maintiennent seulement des contacts sporadiques avec la communauté ecclésiale. Ceci faciliterait l’exode de catholiques traditionnels vers d’autres Eglises ou religions.

Conclusion

Bien que notre analyse soit loin d’être exhaustive, nous croyons avoir montré que la diminution du pourcentage des catholiques est associé à l’accroissement rapide de la population (migrations !) et à la lenteur ou à l’insuffisance de la réponse pastorale de l’Eglise à ce phénomène démographique. Une étude plus approfondie sera possible dans un avenir proche. Il serait prématuré de conclure maintenant en termes définitifs, mais l’étude des faits semble suggérer que souvent ce ne sont pas les fidèles qui ont abandonné l’Eglise mais que c’est elle qui a laissé d’importants groupes de population sans l’accompagnement pastoral qui leur était dû.

L’étude des Eglises évangéliques et des autres religions [3] confirmera que l’expansion d’une religion est liée à son dynamisme, à sa capacité de mobilisation et à sa stratégie d’évangélisation.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2816.
 Traduction Dial.
 Source (portugais) : Bulletin hebdomadaire de la Conférence nationale des évêques brésiliens (CNBB), les 18 et 24 novembre 2004.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Duque de Caxias et Nova Iguaçu.

[2L’article poursuit en étudiant dans le détail la situation de nombreux autres diocèses ou métropoles, que nous ne pouvons pas reproduire ici.

[3Cf. le dossier suivant de Dial.

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