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DIAL 2738

PÉROU - « J’avais une seule chose en tête : retrouver mes sœurs. »

Silvia Granados

vendredi 16 juillet 2004, mis en ligne par Dial

Les membres de nombreuses familles ont été soit anéantis soit séparés sous l’effet de la violence conjuguée du Sentier lumineux et de la répression antiterroriste qui ont sévi au Pérou. Bien des années plus tard, certains peuvent avoir la surprise et la joie de se retrouver. C’est ce qui vient d’arriver à trois sœurs qui ont vécu séparées pendant 14 ans, dans l’ignorance mutuelle de ce que chacune était devenue. Article de Silvia Granados, paru dans Ideele, Pérou, avril 2004.


Un coup de fil de Huanta nous confirmait la nouvelle : Olga se trouvait à Lima. A partir de ce moment-là, nous savions que la longue recherche de Dina Velásquez Orihuela pour rencontrer ses sœurs était finie. Une recherche qui avait commencé il y a 16 ans…

Dina et ses sœurs sont originaires de la communauté ayacuchana de Oronccoy, dans le district de Chungui. Elles vivaient là avec leurs parents jusqu’au jour où, en 1988, le Sentier lumineux fit irruption, tuant et séquestrant presque toute la population.

C’est alors que toute la famille fut séquestrée par les terroristes et obligée de les suivre dans la forêt. La mère et deux des frères moururent en chemin. Durant le trajet, il y eut un affrontement avec les militaires et Dina fut délivrée et séparée de sa famille. Elle était âgée de onze ans lorsqu’elle fut emmenée à Lima, et elle perdit la trace des siens.

Malgré les années, Dina garda toujours le vif espoir de retrouver son père et ses deux sœurs, Maritza et Olga. Mais ce n’est qu’en 2002, quatorze ans après la séparation, qu’elle trouva la première trace de ses sœurs.

Dina vivait alors à Chalhuanca, (province d’Apurímac). Un jour, tout à fait par hasard, elle alluma la télévision au moment où on retransmettait l’audience publique de la femme de la Commission de le vérité et de la réconciliation (CVR). Elle entendit deux de ses compatriotes raconter ce qui était arrivé dans le village. On mentionna un professionnel de la santé qui aida beaucoup de gens, entre autres une fillette nommée Olga Velásquez. Dès ce moment-là, Dina eut une seule chose en tête : retrouver sa sœur Olguita, la plus petite d’entre elles.

Immédiatement Dina se rendit dans diverses institutions pour essayer de trouver le nom de l’infirmier, mais sans succès, jusqu’à ce qu’elle se mette en contact avec la Defensoría communautaire de Chalhuanca. Là, on prit en compte son cas et on l’orienta vers notre institution. Alors, en collaboration avec la Defensoría, nous avons entrepris la difficile mission de retrouver ses sœurs.

Après quelques mois, Dina décida de faire un voyage dans sa terre natale et, au cours de ce déplacement, elle apprit le nom exact de l’infirmier que nous recherchions : Seberiano Ludeña qui avait emmené Olga à Ayacucho pour l’élever. Avec ce nom, nous avons pu poursuivre la recherche. Nous avons su très vite que cet infirmier a une sœur nommée Juana qui vit à Huanta (province d’Ayacucho). C’est elle qui probablement avait élevé Olga. Nous nous sommes donc mis en contact avec Edwin Aguilar, journaliste de Radio Cosmos à Huanta qui fait partie de la chaîne nationale d’Ideeleradio. Son coup de fil nous confirma la nouvelle : oui, il s’agissait bien d’Olga.

Quel avait été le parcours de la petite Olga ?

Seberiano, l’infirmier, avait emmené Olga et son père vivre dans la maison de sa sœur Juana Ludeña. Le père d’Olga était tuberculeux et, avant de mourir, avait demandé à Juana de s’occuper de sa fille. La petite Olga n’avait que 3 ou 4 ans lorsque maman Juana la prit en charge et l’éleva comme sa fille. Elle la fit étudier et, à l’âge de 18 ans, Olga décida de partir pour Lima afin de bâtir son avenir. Maintenant, à 20 ans, elle travaille comme employée de maison, et elle a commencé des études d’infirmière.

Lorsque nous l’avons appelée au téléphone pour qu’elle rencontre sa sœur Dina, elle ne pouvait en croire ses oreilles. Elle se montra inquiète, peu convaincue et craintive, et elle demeura dans ces sentiments même lorsqu’elle fit sa connaissance. Elle avait beaucoup de points d’interrogations et de questions qui l’empêchaient de croire qu’il s’agissait vraiment de sa sœur.

Olga et Dina réussirent à se rencontrer, après presque seize ans de séparation. Mais l’histoire continue…

Grâce à la diffusion des divers moyens de communication, Maritza, la troisième sœur dont nous ne savions rien, se mit en contact avec nous depuis Arequipa, ville où elle fut emmenée alors qu’elle avait environ 7 ans par un commandant de l’Armée.

Maritza fut pétrifiée lorsqu’elle vit à la télévision la rencontre d’Olga et Dina, ses deux sœurs. Immédiatement, elle se mit en contact avec nous et nous affirma qu’elle était bien la sœur que nous recherchions. Après quelques questions, et après avoir eu confirmation de certains faits, nous avons su que c’était vrai. Nous avons alors programmé sa venue pour les retrouvailles avec ses sœurs.

Confondues en embrassements, larmes et baisers, Dina, Maritza et Olga se sont enfin rencontrées après une longue séparation. Elles se sont mises à rappeler des choses qu’elles avaient vécues étant enfants. Dans un de ces moments, Maritza dit à la petite Olga : « Tu te rappelles quand je t’ai dit que je devais m’en aller ? Tu ne peux savoir combien je me le suis reproché ensuite. Pardonne-moi, ma sœur, je n’étais qu’une enfant et je pensais que je reviendrai. » Ces paroles suffirent pour qu’Olga perde ses doutes et dise, convaincue : « Oui, ce sont bien mes sœurs ! » Les trois sœurs Velásquez Orhuela ont réussi à clarifier et compléter leur histoire, malgré la séparation de tant d’années et la perte de leurs parents et de deux de leurs frères.

C’est un grand défi de continuer le travail de la recherche de familles séparées durant les années de violence politique. Nous collaborons ainsi à réparer les dommages causés à plusieurs personnes qui se sont vues obligées de s’éloigner de leurs êtres chers.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2738.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Ideele, Pérou, avril 2004.

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Messages

  • Je suis nee a Huanta. Comme on disait : "il n’y avait une seule famille dans la ville qui n’avait pas ete victime de la guerre terroriste"dont le frere de mon pere, deux o trois de mes cousins. Je comprends maintenant que la plupart de victimes etaient des gens inocents. Les militaires etaient inncapables de faire la difference ou simplement, ils n’ont pas considere qui en etait necessaire.
    Je suis allee visiter le Musee de la Nation a Lima. J’en suis sorti en larmes du dernier etage. Il ne manque qu’une liste de noms de survivants pour procurer leurs rencontre.
    J’espere seulement que ce partie de notre histoire ne se repete JAMAIS !
    Canales M.

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