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DIAL 2716

GUATEMALA - Entrevue avec Rigoberta Menchú : Une décennie rude et féconde pour les peuples mayas

Azzura Carpo

jeudi 1er avril 2004, mis en ligne par Dial

Pour la leader indigène, Rigoberta Menchú, Prix Nobel de la Paix en 1992, l’élection du tout nouveau président Oscar Berger est le résultat de l’indignation des Guatémaltèques contre le gouvernement du Front républicain guatémaltèque (FRG). Celui-ci, grand perdant des élections de novembre dernier, avait dangereusement réactivé la confrontation, l’intolérance et la violence dans le pays. Rigoberta Menchú remarque que les indigènes au Guatemala ont toujours été considérés comme une source de voix électorales, non de participation réelle. Le moment est désormais venu de rendre possible une participation plus digne du peuple maya à la politique. Entretien de la leader indigène avec Azzura Carpo, paru dans Noticias Aliadas, le 19 février 2004.


Quelle opinion avez-vous du nouveau gouvernement du président Oscar Berger ?

Je crois que c’est un temps nouveau pour le Guatemala, une nouvelle opportunité. Il y a une grande espérance, il y a beaucoup d’optimisme. Optimisme non seulement en ce qui concerne les nouvelles autorités ou les nouveaux partis qui ont gagné, mais en général en ce qui touche ce qu’ont supporté les nombreux Guatémaltèques ces dernières années avec « le retour du passé », dans le fait d’avoir le général Efraín Ríos Montt [1].

Parlez-nous de ce « retour du passé »...

Ces quatre dernières années, sous le gouvernement de l’ex-président Alfonso Portillo (1999-2004) [2] on a plutôt vécu une situation qui se compliquait de plus en plus. Les patrouilles d’autodéfense civile sont réapparues ; c’est un groupe paramilitaire qui eut une très forte implication dans le conflit armé des années 1960-1996. Ce gouvernement les a fait participer à la militarisation du pays, il les a fait resurgir, a négocié avec elles en faisant d’elles son interlocuteur, il leur a offert une prime rétroactive pour leur participation au génocide au Guatemala. C’est quelque chose qui nous a blessés profondément, nous autres Guatémaltèques.

Des dommages sérieux ont été causés au système [3] guatémaltèque, avec, par exemple, le retour à la confrontation massive, les offenses, l’intolérance, les insultes, la menace, l’intimidation. Situations qui concernent essentiellement les habitants des zones rurales.

Le retour au contrôle de la population, basé sur la crainte et l’horreur : c’est ce qu’on a vu quand il a converti les bourreaux en interlocuteurs et leur a offert une prime pour le service rendu lors du plan antiinsurrection qui a fait 200 000 victimes ; et il reste encore le cas non réglé de 50 000 disparus, et une quantité de fosses communes et de cimetières clandestins. Donner une prime à ces bourreaux, c’est, je crois, quelque chose qui a freiné le travail que nous étions en train de mener dans le cadre de la réconciliation.

Depuis la signature des Accords de paix en 1996, nous avions promis « le pardon mais pas l’oubli ». Le pardon, cependant pas un pardon par décret, mais un pardon basé sur la justice et la réparation des dommages causés aux victimes.

Quels sont, selon vous, les autres dommages causés par le gouvernement du FRG ?

Un autre des dommages essentiels qu’il a causés ces quatre dernières années a été de miner le caractère institutionnel de la justice. Les tribunaux sont devenus le symbole de l’illégalité. Il y a une énorme quantité de lois approuvées par le Congrès qui sont inconstitutionnelles et illégales : il est allé jusqu’à convertir la Cour de constitutionnalité en un organe de parti, un organe du parti FRG de Ríos Montt : les juges se soumirent, il y a eu corruption, on a payé des juges pour monter une farce juridique. On a nommés juges les assesseurs légaux du parti de Ríos Montt. Et il est délicat de traiter le sujet de la légalité quand il n’y a pas une administration transparente de justice indépendante, souveraine, et au dessus de tout groupe politique.

Il y a d’autres dommages, par exemple le manque de crédibilité envers les institutions. Aujourd’hui, les gens n’accordent aucune crédibilité au système légal, et ils se découragent et perdent confiance. Ce sera à nous de travailler beaucoup pour que revienne la confiance dans les institutions.

Qu’en est-il des Accords de paix ?

Les Accords de paix sont restés lettre morte, et nous sommes nombreux à ne pas en avoir eu une vision globale. C’est dû à une fragmentation de plus en plus poussée : petit à petit, on a créé des secrétariats, des bureaux, des petits groupes, au lieu de renforcer une stratégie unique pour l’application des changements démocratiques au Guatemala.

Je crois que le nouveau gouvernement va devoir rassembler les pièces d’un puzzle pour discerner où concentrer les forces de la démocratie, et comment envisager les changements. Mais nous sentons que le Guatemala se réveille et respire un air nouveau.

Quelles réussites a connues le mouvement indigène guatémaltèque et quelles difficultés doit-il affronter ?

Nous avons obtenu des espaces très précieux. La dernière décennie a été féconde pour les hommes et les femmes mayas. Nous avons eu des victoires ; mais nos succès ne sont
pas le fait du Congrès ni du gouvernement. Ceux qui y sont, sont la radiographie des partis politiques. Les partis politiques ne reflètent qu’une seule culture, une seule langue, ils sont ladinos. Aucun n’appartient au peuple indigène. Si çà leur va, ils parlent des peuples indigènes, si ça ne leur va pas, ils laissent de côté les peuples indigènes et ne leur donnent aucune participation active. Ils n’ont pas intégré les cadres et les talents professionnels ou intellectuels des indigènes.
Il nous faut reposer le problème de la participation des indigènes à la vie politique pour les prochaines années. Nous devons créer nos propres instruments pour qu’ils fassent contrepoids, car il est évident qu’aucun des partis politiques n’a représenté l’intérêt des peuples mayas.

Comment faire ?

Nous espérons que pour 2008 -quand prendra fin l’actuel mandat présidentiel- nous pourrons conduire au Congrès nos propres représentants, nos propres cadres. Nous aurons un immense effort à fournir pour identifier les leaders qui ces dernières années ont participé à l’administration publique de façon isolée et solitaire. Nous avons une très large palette de cadres indigènes qui réussiront - j’en suis sûre - à augmenter le niveau de participation au Congrès les années suivantes, à une condition : il faut qu’il y ait tolérance pour que nos décisions soient respectées et qu’on cesse de nous intimider.

Il y a un grand nombre de mairies et de municipalités qui ont été sous administration indigène. Et là nous voyons qu’ils ont fait un bon gouvernement municipal ; ils feront de bonnes propositions pour un gouvernement national.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2716.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, le 19 février 2004.

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[1À la présidence du Congrès et comme candidat à la présidence pour le FRG. Il s’agit de l’ancien dictateur du Guatemala.

[2Du FRG.

[3Politique.

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