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DIAL 2672
AMÉRIQUE LATINE - Les multinationales du chômage
mercredi 1er octobre 2003, mis en ligne par
Selon une étude récente, les entreprises multinationales implantées en Amérique latine ont procédé à des diminutions massives de personnel. Le pouvoir échappe largement aux gouvernements locaux, dont plusieurs ont un poids économique plus faible que celui des entreprises en question. Les dérégulations du marché du travail privent les travailleurs des garanties élémentaires. C’est sur le modèle néolibéral qu’il faut s’interroger. Article paru dans IPS en avril 2003.
L’expansion des firmes multinationales en Amérique latine en raison de la mondialisation entraîne, entre autres effets, une diminution croissante de l’emploi face à l’impuissance des gouvernements pour corriger ce phénomène. La diminution massive de personnel dans les grandes entreprises « a d’importants coûts sociaux et de sérieuses conséquences économiques pour les pays de la région, leurs travailleurs et les familles », a averti Beverley Carlson, chef des Affaires sociales de la division du développement productif et des entreprises de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes).
Carlson est l’auteur d’une étude Destruction des emplois, multinationales et mondialisation : l’anatomie de la perte du pouvoir, diffusée en anglais par la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, agence régionale de l’Organisation des Nations unies, dont le siège est à Santiago du Chili.
Le chômage en Amérique latine a atteint en 2002 le sommet le plus élevé de l’histoire de la région en affectant 9,1 % de sa force de travail, ce qui signifie que 2 millions de travailleurs ont perdu cette année leur emploi.
Le processus de mondialisation s’est accompagné de dérégulation du marché du travail, ainsi que d’un caractère technique de plus en plus élevé du processus de production. Les entreprises multinationales profitent de ces deux phénomènes qui ont un impact particulier en Amérique latine et dans les Caraïbes.
Selon B. Carlson : « La région est doublement pénalisée dans l’économie mondialisée. Les salaires y sont plus élevés que ceux de ses concurrents plus pauvres mondialisés. En même temps, leur niveau de compétence (formation professionnelle) est plus bas que celui de ses concurrents mondialisés plus riches, y compris de quelques-uns plus pauvres. »
Arturo Martinez, le président de la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), la plus grande centrale syndicale du Chili, a déclaré à IPS que l’État s’est réduit dans le cadre du modèle économique néolibéral et son rôle actuel se limite à des tentatives de réguler et surtout de subventionner l’activité privée. Il a souligné que l’incorporation de nouvelles technologies est un des facteurs de réduction des coûts et, en même temps, d’optimisation des profits, que ce soit avec des volumes plus importants de production ou en donnant priorité au secteur des services.
Martínez a expliqué : « Ainsi, l’espérance du gouvernement et des entrepreneurs est fondée sur le fait que le Chili peut croître quand l’économie mondiale reprend, mais chaque fois se perd la relation entre l’augmentation de la production et l’emploi. C’est-à-dire qu’un point de croissance ne va pas donner un point d’augmentation de l’emploi. »
De son côté, le sous-directeur du Programme non gouvernemental d’économie du travail du Chili, Manuel Razeto, a rappelé que jusqu’à la période 1997-1998 l’économie chilienne croissait à une moyenne annuelle de 7 %. Razeto a dit à IPS : « Toutefois, même avec ce taux de croissance, la capacité de créer des emplois avait chuté violemment et avec la crise postérieure un très fort chômage se déclencha. »
Dans son rapport, Carlson indique : « Le résultat de la mondialisation et de l’importance croissante dans la région des entreprises multinationales est que beaucoup de décisions clés dans ce domaine (de l’emploi) échappent au contrôle national. C’est pourquoi ceux qui sont chargés de prendre les décisions dans les gouvernements se heurtent à de sérieuses limites pour solutionner cette situation. »
Sur la base d’un rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, l’experte a indiqué que 22 des 100 plus grandes firmes multinationales sont plus importantes que la moitié des économies d’Amérique latine et des Caraïbes, sans prendre en compte les 12 pays les plus petits. La valeur ajoutée de l’entreprise pétrolière Exxon, par exemple, est légèrement inférieure au produit intérieur brut (PIB) du Chili et supérieure à celui du Pérou, tandis que Mitsubishi et Sony sont à égalité avec le PIB de l’Uruguay et de la République dominicaine.
L’étude indique également, entre autres choses, que le PIB de l’Équateur équivaut à la valeur ajoutée de Telefónica d’Espagne, et que l’économie du Honduras est égale au pouvoir économique de McDonalds ou de la Compagnie Pepsi Cola, toutes deux états-uniennes.
En 2001, environ 40 % des 50 plus grandes entreprises multinationales installées en Amérique latine ont annoncé une réduction de leurs postes de travail. Si on prend en compte les 100 plus grandes, a signalé l’experte de la CEPAL, un tiers d’entre elles ont fait connaître des diminutions de personnel.
Un des secteurs les plus atteints par la diminution des postes de travail dans les compagnies multinationales dans la région est celui de l’industrie automobile.
La firme Daimler Chrysler a supprimé au moins 3 000 emplois au Mexique, au Brésil et en Argentine, Ford ayant déjà supprimé 1 500 postes de travail dans ce dernier pays, alors que 3 000 ouvriers brésiliens ont perdu leur emploi chez Volkswagen qui a également annoncé des licenciements au Mexique.
Le secteur des technologies de la communication et de l’information a été une autre source de diminution des emplois dans la région en 2001. Dans ce secteur, on a enregistré des licenciements dans l’entreprise Hitachi au Mexique, tandis que Nextel réduisait son personnel en Argentine, Brésil, Chili, Mexique et Pérou, et que Power One le faisait en République dominicaine, Mexique et Argentine, et, pour compléter la liste, il y a eu des réductions de personnel dans la firme Canon au Mexique et Siemens au Brésil.
Dans le secteur financier, surtout en Argentine, mais aussi au Mexique, Bolivie et Chili, il y a une vague de réduction de postes de travail en 2001 dans des entreprises multinationales telles que Citigroup, Goldman Sachs, JP Morgan Chase et ABN Amro, entre autres.
Selon les données antérieures recueillies par l’experte de la CEPAL, le Costa Rica, le Pérou, le Venezuela, Trinidad y Tobago et la Jamaïque ont également connu des suppressions de postes de travail de la part de multinationales dans les secteurs des services, de la production agricole et des entreprises de matériel électrodomestique.
B. Carlson a indiqué qu’il est indispensable que les gouvernements adoptent des mesures pour réaliser un suivi précis de l’impact des investissements des grands conglomérats multinationaux et de leurs pratiques en matière d’emploi, afin de développer des politiques actives, basées sur une bonne information et qui favorisent ces investissements, mais pas au détriment des travailleurs.
Pour M. Razeto, « l’unique façon de surmonter dans la région la précarisation et l’instabilité de l’emploi passe par une reconstruction du modèle normatif préexistant de protection, c’est-à-dire par une forte croissance du droit du travail et du contrôle de son application ».
Pour sa part, le président du CUT a dit à IPS que s’avère nécessaire « une reformulation de ce modèle néolibéral, qui est seulement d’accumulation, qui ne valorise pas le travail mais donne chaque jour plus de valeur au capital ».
– Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2672.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : IPS, avril 2003.
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