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DIAL 2666

BRÉSIL - Menaces de mort contre de nombreuses personnes en raison de leur action contre le travail esclave. Des agents de la CPT, des travailleurs et le procureur de la République sont visés

Xavier Plassat

mardi 16 septembre 2003, par Dial

Alors même qu’il y a eu une augmentation notable du nombre de travailleurs esclaves libérés depuis le début de l’année, les grands propriétaires terriens ne diminuent pas leurs menaces à l’encontre de ceux qui luttent contre le fléau du travail esclave. Texte du fr Xavier Plassat, de la (CPT-Araguaia-Tocantins), coordinateur de la campagne nationale de la CPT contre le travail esclave.


En mars dernier, le gouvernement fédéral a adopté un plan national pour l´éradication du travail esclave, lancé par le président Lula. La CPT a apporté à l´élaboration de ce plan une contribution importante, à partir de la Campagne nationale contre le travail esclave au Brésil qu´elle conduit depuis 1997, principalement dans les Etats du Pará, Maranhão, Mato Grosso et Tocantins.

En dépit d’un début de concrétisation – intensification des inspections menées par le Groupe mobile d’inspection et plusieurs directions régionales du travail ; actions innovatrices de la justice du travail (cours itinérantes) et du ministère public du travail (actions en indemnisation pour dommages moraux collectifs, aux montants financièrement dissuasifs) et du ministère public fédéral (diverses réquisitions d’emprisonnement suivies de décrets de prison pris par la justice fédérale, et suivis exécution pour plusieurs d’entre eux ; instruction de nombreuses actions pénales – le lancement du plan est encore loin de produire les effets espérés. Même en considérant l’insuffisance des données concernant les États du Mato Grosso et du Maranhão, le nombre de dénonciations reçues par les équipes qui intègrent la campagne de la CPT contre le travail esclave dans les États du Pará, Mato Grosso, Maranhão et Tocantins, atteint déjà, pour l’année 2003, à la mi-août, le chiffre de 130 cas (impliquant 4 582 travailleurs). En 2002, pour la même période, 91 cas (impliquant 3764 travailleurs) avaient été recensés. Le nombre de travailleurs tirés d’affaire par les inspecteurs du travail (1 742 travailleurs libérés par le Groupe mobile plus 642 par les Directions régionales du travail) dépasse déjà fin juillet le nombre total de l’année passée toute entière (2 152). Bien que la différence entre l’une et l’autre situation soit parfois ténue, on observe une proportion plus élevée, cette année, de cas de super-exploitation (informalité de l’emploi ; précarité extrême des conditions de travail ; absence de paiement des travailleurs), sans évidence – au moins dans le témoignage des informateurs – de toutes les caractéristiques additionnelles, spécifiques du travail esclave (atteinte à la liberté, par violence, pression ou isolement), ce qui indique peut-être un changement dans les stratégies patronales.

Sur l’ensemble des dénonciations reçues en 2003, le Pará reste en tête (80% des cas : 115 ; 70% des travailleurs impliqués : 3 475) mais on observe une montée impressionnante du Tocantins (où 20 cas ont déjà été signalés, impliquant 859 travailleurs), un État jusqu’ici davantage caractérisé par l’embauche illégale à destination d’autres États, que par l’exploitation directe de main-d’oeuvre esclave.

L’intensification des dénonciations, de l’action fiscale et de la répression a entraîné un processus accentué de réaction violente de la part des fazendeiros incriminés. L’insistante campagne de diffamation lancée en mars 2003 dans le sud du Pará, contre la CPT, spécialement contre la figure du frère Henri des Roziers, en est un signe évident. La recrudescence des menaces enregistrés dans le nord Tocantins en est un autre.

Parmi les régions de plus grande occurrence de travail esclave, la région de l’Iriri, située entre les fleuves Iriri et Xingu, dans le sud du Pará, se caractérise par l’évidente omission des pouvoirs publics, face à une situation que d’aucuns qualifient déjà de Colombie brésilienne. Au cours d’inspections récentes – survenant après presque 3 années sans aucune opération dans cette région – plusieurs fazendas ont été l’objet d’investigation, à partir de dénonciations recueillies par des membres de la CPT du Pará et du Tocantins. C’est à la suite de ce travail que commencèrent à surgir de graves menaces, proférées contre des travailleurs de la région d’Ananás (Tocantins), contre des membres de la CPT d’Araguaína (Tocantins) et, également, contre le procureur de la République de Palmas (Tocantins), en charge de ces dossiers.
Sont spécialement à l’origine de ces menaces les dénonciations impliquant un fazendeiro, Aldimir Lima Nunes, surnommé Branquinho ; dans sa fazenda, entre juin et juillet 2002, la CPT avait été informée de l’occurrence de 3 morts suspectes de travailleurs illégalement recrutés dans la région d’Ananás (Tocantins), où ce fermier, en fuite depuis deux ans, possède une résidence. Portées à l’époque par la CPT à la connaissance de la Commission spéciale de lutte contre le travail esclave (secrétariat spécial des droits de l’homme), ces dénonciations eurent pour effet la réalisation d’une opération de la police fédérale pour laquelle 10 mandats d’emprisonnement furent décrétés, l’un d’eux contre Branquinho (en fuite jusqu’à ce jour). À partir de décembre 2002, trois des membres de la CPT-Tocantins, engagés dans la Campagne nationale de la CPT contre le travail esclave ont été la cible de menaces ouvertes ou voilées (Silvano Lima Rezende ; Edmundo Rodrigues Costa [1] ; fr. Xavier Jean Marie Plassat), à l’instar du procureur de la République de Palmas, Mário Lúcio de Avelar, et du travailleur rural Jair Matos de Alencar, de Ananás, dans les conditions que nous détaillons ci-après :

En décembre 2002, nous avons appris l’existence de menaces explicites formulées contre le procureur (fédéral) de la République de Palmas, Mário Lúcio de Avelar, et contre le frère Xavier Plassat, coordinateur de la Campagne nationale de la CPT contre le travail esclave, ainsi que contre « tous les autres impliqués » alors qualifiés de « menu fretin ». Le fazendeiro Branquinho aurait alors indiqué qu’il « avait déjà pris ses dispositions pour effacer » ces gens qui « lui avaient créé tant de tracas ». Vers le milieu du mois de mai dernier, Branquinho fit savoir qu’il avait identifié ceux qui l’avaient dénoncé à la police fédérale. Vers le milieu de juin, quelqu’un fit passer à Silvano et Edmundo, qui travaillent avec Xavier à la CPT d’Araguaína (Tocantins), la recommandation de faire très attention à eux, surtout lorsqu’ íls circulent à Ananás (où tous deux ont de la famille), vu que certains fazendeiros trament quelque chose contre eux, pour avoir joué, selon eux, « les curaillons qui fournissent au frère Xavier les informations utilisées dans ses dénonciations contre eux ». Entre mai et juin 2002, trois opérations d’inspection furent réalisées dans des fazendas d’Ananás, appartenant à deux propriétaires distincts, tirant d’affaire 150 travailleurs. Fin juin, Silvano fut informé par des gens en lien avec le milieu des fazendeiros que sa vie courait de sérieux risques.

Parmi les travailleurs d’Ananás, plongés dans un climat général de frayeur, des menaces courent également contre le travailleur rural Jair Matos de Alencar, qui habite à Ananás : à la mi-juin, un certain Clodoaldo (pistoleiro et informateur de plusieurs fazendeiros ; son nom est associé à plusieurs crimes de commandite) l’aborda et l’avisa que « d’ici à quelques jours, vous allez commencer à tomber l’un après l’autre » ; ce que disant il montra un revolver 7.65 et ajouta qu’il subsistait encore quelque doute sur les auteurs des dénonciations : faute de quoi ils auraient déjà été éliminés. Fin juin, dans une ville voisine, au cours d’une conversation de bar à laquelle il assista sans être identifié, Jair entendit quelqu’un disant : « Là, à Ananás, ce sont de braves gens, mais il y a ce Jair, fils de B., et puis Silvano – qui a déjà fait la malle – et puis Mário Lúcio : ces trois-là sont dans la mire. »

Contre le procureur de la République, on est déjà passé des menaces aux faits : durant 3 jours, un véhicule de type GOL, aux vitres teintées, a suivi la voiture particulière du Dr Mário Lúcio de Avelar, conduite par un ami à qui, en son absence de Palmas, il l’avait prêtée. La semaine suivante, le 30 juillet 2003, en pleine ville de Palmas (capitale du Tocantins), à 21 h, deux inconnus circulant à moto ont accosté la voiture du procureur (conduite par le même ami), côté chauffeur ; l’un d’eux, le passager, tira alors un revolver tandis que l’autre criait : « Non, non, c’est pas lui ! ». Et ils s’enfuirent.

Araguaína, 20 août 2003


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2666.
 Texte (portugais) envoyé par l’auteur.
 En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la source française (Dial) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite


[1Edmundo a fait en outre l’objet de menaces spécifiques liées à son travail de soutien à un groupe de 43 familles paysannes victimes d’expulsion arbitraire : dans le cadre de la réforme agraire, ils ont gagné un lopin de terre dans une fazenda expropriée par le gouvernement (assentamento Remansão, dans la région d’Araguaína). Contestant l’expropriation, le fazendeiro, assisté par un groupe de pistoleiros à sa solde, a obtenu d’un juge local une décision, illégale, expulsant les paysans. Cette décision a ensuite été rapportée et le juge fédéral, seul compétent en cette matière, a autorisé le retour des paysans sur leurs lopins. De nouveau le fazendeiro les en a délogés. Nous avons alors obtenu l’intervention de la police fédérale. Plusieurs des pistoleiros impliqués sont en prison préventive. Ce sont de gros bras, du genre qui pratique les attaques à main armée dans les banques de la région. La situation est donc assez tendue.

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