Accueil > Français > Dial, revue mensuelle en ligne > Archives > Années 2000-2009 > Année 2002 > Mai 2002 > BRÉSIL - Des questions de justice

DIAL 2559

BRÉSIL - Des questions de justice

Henri Burin des Roziers

jeudi 16 mai 2002, par Dial

Le Comité Rio Maria (État du Pará) nous donne l’occasion de faire le point sur plusieurs informations dont Dial s’est déjà fait l’écho, notamment au sujet de divers procès liés aux problèmes de la terre. Texte du Bulletin n° 72 du Comité Rio Maria (mars 2002) et un communiqué du Frère Henri Burin des Roziers (28 avril 2002).


Le Comité Rio Maria communique à tous ceux qui sont solidaires de son combat, les informations suivantes.

1- Jugement des commanditaires de l’assassinat du syndicaliste João Canuto

Suite à une très forte pression des organisations sociales et de droits humains, le Tribunal de Justice de l’État du Pará a décidé, au mois de février dernier, que le jugement par Tribunal de jury populaire de l’ex-maire de Rio Maria, Adilson Laranjeira, et du grand fermier Vantuir Gonçalves de Paula, accusés d’être les commanditaires de l’assassinat du syndicaliste João Canuto, le 18 décembre 1985, à Rio Maria, se réalisera à Belém, capitale de l’État. João Canuto était le père de José et Paulo, assassinés en 1990 et d’Orlando, gravement blessé, sur ordre des grands fermiers de la région. Il est probable que ce jugement ne se réalisera qu’en 2003, par suite des recours judiciaires contre la décision de transfert de juridiction. Il est important de rappeler que le gouvernement brésilien a déjà été condamné, en 1999, pour omission et lenteur de la Justice dans le cas João Canuto, par la Commission interaméricaine des droits de l’homme de l’Organisation des États américains (OEA). Malgré le décès d’un témoin important, nous continuerons, avec confiance, notre combat pour la condamnation.

2- Le grand propriétaire Jerônimo Alves de Amorim répond à un nouveau procès criminel

Depuis le 6 mars 2002, Jerônimo est poursuivi en justice devant le juge fédéral de Goiânia pour falsification de documents et usage de faux documents. Jerônimo a déjà été condamné, le 6 juin 2000, à 19 ans et demi de prison comme commanditaire de l’assassinat du syndicaliste Expedito Ribeiro de Souza, à Rio Maria, le 2 février 1991, et accomplit sa peine, pour cause de maladie, dans sa résidence de Goiânia. Il répond aussi à un autre procès, en instance de recours, accusé d’être le commanditaire de deux autres assassinats à Xinguara, en 1994.

3- Cassation du Maire de Rio Maria

Suite à une forte pression populaire, le Maire de Rio Maria, Argemiro Gomes, a été cassé de ses fonctions pour malversation, à la fin de 2001. C’est lui qui avait persécuté pendant des années les mouvements populaires, les organisations syndicales, leurs leaders, en particulier Luzia Canuto, présidente du Syndicat des professeurs et du Comité Rio Maria.

4- Procès des trois policiers de Xinguara accusés de tortures

Les trois policiers civils qui torturèrent en 1999 au commissariat de police de Xinguara un jeune garçon de 15 ans, qui depuis est atteint de graves troubles mentaux, répondent à un procès pour crime de tortures. Le jugement et, espérons-le, la condamnation pourraient avoir lieu cette année. Amnesty International avait mis en relief ce cas dans son rapport annuel de 2001, sur les tortures au Brésil.

5- Le jugement du massacre d’Eldorado dos Carajás

Le 8 avril prochain devrait commencer le jugement des officiers qui ont participé au massacre d’Eldorado dos Carajás, dans le sud du Pará, au cours duquel ont été tués par la police militaire 19 travailleurs du Mouvement des sans-terre (MST) et blessés plus de 60. En 1999 a eu lieu un premier jugement au cours duquel, de façon scandaleuse et illégale, ont été absous tous les officiers, mais ce jugement a été annulé par la Cour d’appel de l’État. Il y a de fortes raisons de penser que ce second jugement va se réaliser de façon partiale. Curieusement les 21 jurés tirés au sort pour la première liste, sont pratiquement tous des fonctionnaires de l’État. La juge qui va présider le jury a refusé de joindre au procès l’expertise de la renommée Université de Campinas – Unicamp qui conteste les résultats de l’expertise de la police sur l’interprétation des images d’une cassette du filmage du massacre.

6- Travail esclave

La Commission interaméricaine des droits de l’homme de l’Organisation des États américains, s’est réunie plusieurs fois en 2001 et 2002 au sujet de procès en cours contre le gouvernement brésilien pour omission des autorités de ce pays dans les cas de pratique de travail esclave dans les exploitations rurales du sud du Pará. Dans un de ces cas, la victime est un ouvrier agricole de Rio Maria qui a été grièvement blessé par des gardes armés d’une exploitation de la région, quand il essayait de s’enfuir. L’autre cas est celui de la ferme Brasil Verde, du groupe Quagliatto, dénoncé de nombreuses fois pour pratique de travail esclave. Si le gouvernement brésilien n’accepte pas une solution à l’amiable pour l’indemnisation des victimes et ne s’engage pas à renforcer la lutte contre le travail esclave, il sera condamné.

7- Persécutions contre le frère Henri

Toutes les enquêtes policières et procès criminels initiés contre le frère Henri Burin des Roziers, au cours de l’année 2000, ont été classés. Ceci grâce à la grande mobilisation et solidarité nationale et internationale.

8- Plusieurs membres du Comité reçoivent des distinctions
Le 18 décembre 2001, le Conseil municipal de Rio Maria a remis le titre de Citoyen d’honneur de Rio Maria à Expedito Ribeiro de Souza (à titre post mortem), à Luzia Canuto, présidente du Comité Rio Maria et au Frère Henri. Expedito et le Frère Henri ont reçu également de l’Assemblée législative de l’État, le 14 novembre 2001, le titre de Citoyens du Pará. En raison de son combat pour la défense des droits de l’homme, avec le Comité Rio Maria et la Commission pastorale de la terre, le Frère Henri a reçu aussi le prix des droits de l’homme du gouvernement fédéral, la médaille du Mérite de la préfecture de Bélèm, et va recevoir, le premier avril, la médaille Chico Mendes de résistance du “Groupe torture jamais plus”, de Rio de Janeiro.

Préoccupations

Malgré ces victoires ponctuelles, l’impunité continue, le peuple n’a pas confiance en la justice et la violence se généralise dans toute la région comme dans tout le Brésil.

Au cours de l’année 2001, sept personnes ont été assassinées dans le sud-est du Pará pour question de conflits de terre. Les noms de trois d’entre elles étaient déjà sur une liste des personnes à assassiner, de l’année précédente. En 2001, 134 paysans sans terre ont été emprisonnés dans l’État, pour occupation de terre, bien qu’abandonnées, dont 7 dans notre région et ils répondent maintenant en liberté à des procès criminels. En 2002, 14 travailleurs du Mouvement des sans-terre, ont été emprisonnés deux mois, dans des conditions inhumaines, malgré l’avis du ministère public favorable à leur mise en liberté, pour avoir occupé une ferme de l’ex-sénateur et président du Sénat, Jader Barbalho, obligé de renoncer à ses fonctions publiques, l’année dernière, en raison des accusations de malversation qui pèsent sur lui. Ils ont été libérés le 22 mars 2002, grâce à la pression des organisations populaires et de droits humains, à laquelle a participé le Comité Rio Maria.

Le crime organisé se généralise, avec la complicité et même la participation de la police. Milices privées, sous la couverture d’entreprises de sécurité, se multiplient. Il y a des indices très sérieux que les chefs de ces milices sont de hauts responsables des polices de l’État. Plusieurs articles de journaux de l’année dernière, régionaux et nationaux, affirment que des “employés” de grands propriétaires ruraux de notre région reçoivent des armes de commissaires de Police et protection du commissaire général de la police civile de l’État.
La pratique du travail esclave et de la super-exploitation dans les fermes du sud du Pará se généralise. Le nombre d’ouvriers agricoles en régime de travail esclave a augmenté près de quatre fois de l’année 2000 à 2001 (290 à 1092) et les opérations de contrôles officiels se heurtent à de plus en plus d’obstacles de la part des autorités fédérales.

Au milieu de ce contexte préoccupant, nous nous sentons stimulés par les déclarations du rapporteur spécial de l’ONU pour les questions d’alimentation, Mr. Jean Ziegler, publiées dans la Folha de São Paulo du 18 mars 2002 : “La grande espérance du Brésil se trouve dans les mouvements sociaux des églises et de la société civile. La révolution, le changement qualitatif, viendra de la base.” L’article continue : “Pour lui, il y a trois causes de l’injustice sociale au Brésil : l’absence d’une réforme agraire effective, la faiblesse des revenus et le manque d’une politique sociale intégrée. Ziegler a déclaré que le MST ( Mouvement des Sans Terre) et la CPT (Commission Pastorale de las Terre) font “un travail formidable.”

Rio Maria, 26 mars 2002

Frère Henri Burin des Roziers, Commission Pastorale de la Terre-Sud du Pará
Luzia Canuto de Oliveira Pereira, Présidente du Comité Rio Maria


TRAVAIL ESCLAVE

Les grands propriétaires terriens défient les pouvoirs publics.

Le 9 avril 2002, l’équipe “Móvel”de contrôleurs du travail du ministère du travail, ont libéré plus de 180 ouvriers agricoles recrutés dans les États du Pará et du Maranhão, pour travailler à des déboisements dans la ferme São Roberto, dans la commune de Santana do Araguaia, sud de l’État du Pará. Ces ouvriers agricoles, parmi lesquels trois femmes et deux adolescents mineurs, étaient traités comme des esclaves, depuis plus de 45 jours, sans être payés, dans des conditions misérables de logements, sous des bâches de plastique, d’alimentation, de santé, sans être soignés lorsqu’ils étaient malades et accidentés, prisonniers du système d’endettement pratiqué par le propriétaire qui les obligeait à acheter à crédit dans la cantine de la ferme tout ce dont ils avaient besoin, à des prix trois fois plus chers que la normale, isolés dans la forêt, à plus de cent kilomètres de toute agglomération, dans l’impossibilité de partir.

Après avoir été libérés, ces ouvriers, bien que protégés par la police fédérale, ont du accepter, dans un climat très tendu et dangereux, de recevoir un salaire bien moindre que ce à quoi ils avaient droit, pour éviter que l’accord soit toujours repoussé.

L’absence d’un commissaire de la police fédérale au cours de l’opération de sauvetage dans la ferme, a empêché la formalisation immédiate de flagrants relatifs aux crimes de travail esclave et d’extraction illégale du bois de valeur mogno, justifiant l’arrestation du propriétaire, de son gérant et de ses hommes de main.

C’est pourquoi nous vous invitons à envoyer au ministre de la justice du Brésil, en vous inspirant du modèle ci-joint, des lettres, fax, e.mails manifestant votre indignation et exigeant les mesures nécessaires à prendre de toute urgence.
Nous vous remercions de votre solidarité.

Xinguara, le 28 avril 2002

Frère Henri Burin des Roziers

P/ Coordination de la Campagne de la Commission Pastorale de la Terre de Combat contre le Travail Esclave

***

Exmo. Sr. Dr. Miguel Reale Junior\

Ministro da Justiça

Esplanada dos Ministérios Bl.T 4º Andar 70.064-900 Brasília - DF

Fax : 055 21 61 3226817

E.mail : gabinetemj chez mj.gov.br

Monsieur le Ministre,

Par la presse internationale, nous avons pris connaissance, ces dernières semaines, de la tragique existence du travail esclave au Brésil.
Nous avons, en particulier, été informés du cas récent de la ferme São Roberto, dans la commune de Santana do Araguaia, sud de l’État du Pará, où ont été détenus comme des esclaves, plus de 45 jours, jusqu’au mois d’avril dernier, 180 ouvriers agricoles, recrutés dans d’autres États, sans être payés, dans des conditions inhumaines de logement, sous des bâches de plastique, comme aussi d’alimentation, de salubrité, de santé, sans être soignés quand ils étaient malades ou accidentés, totalement isolés dans la forêt, dans l’impossibilité de partir.
Nous sommes scandalisés que ces ouvriers, même après avoir été libérés, n’aient pas reçu le salaire auquel ils avaient droit.

Nous voudrions savoir si le propriétaire de la ferme et son gérant qui ont commis ces crimes de travail esclave et de destruction de la nature par l’extraction illégale de l’arbre de valeur mogno, ont été emprisonnés et sont poursuivis en justice. Nous voudrions savoir si le ministère public du travail a intenté une Action en Justice contre le propriétaire pour les infractions aux lois du travail brésiliennes.

Malheureusement nous savons que le cas de la ferme São Roberto n’est pas un cas isolé. C’est pourquoi nous vous demandons que le gouvernement intensifie le combat contre le travail esclave, que les responsables soient rigoureusement punis et que, de toute urgence, soient prises toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à cette scandaleuse situation.

Respectueusement,


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2559.
 Traduction Dial.
 Source (portugais) : voir chaque texte.

En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

responsabilite

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.