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Le récit d’une observatrice vivant au Venezuela

COLOMBIE-ÉQUATEUR - Retour sur la crise diplomatique de début mars

Bernardita Schaeffer

mardi 18 mars 2008, mis en ligne par Dial

10 mars 2008 - La situation vécue ces derniers jours dans notre continent a certainement fait la Une de tous les éditoriaux et des écrans de télévision. Ayant eu écho des mensonges divulgués aux 4 coins du monde, je me permets de vous présenter la version des faits, depuis le Sud, depuis le point de vue des pays victimes du conflit. Je sais que certain(e)s réagiront, mais essayons de recevoir les nouvelles en prenant en compte le droit à la parole de ceux qui n’ont pas « voix au chapitre ».

Tout d’abord, célébrons la grande leçon de diplomatie donnée par l’Assemblée des présidents d’Amérique latine, réunie sous l’égide du « groupe de Rio », vendredi 7 mars en République dominicaine. L’ambiance dans cette partie de la planète était alors très préoccupante. On entendait des bruits de sable. Mais à travers le dialogue, virulent certes, et avec l’aide des président(e)s de toute l’Amérique latine, où notre président a joué un rôle déterminant pour le bon dénouement de la crise, on a évité qu’une guerre éclate. Venons-en aux faits :

 Le 1er mars, l’armée colombienne bombarde un campement provisionnel des Forces révolutionnaires de Colombie (FARC), groupe d’insurgés de ce pays. Les 2 bombardements successifs, à 3 heures d’intervalle, détruisent des dizaines d’hectares de cette partie de forêt vierge située à moins de 2 km de la frontière, côté équatorien, non loin de la frontière marquée par le fleuve Putumayo. Entre les 2 bombardements, les militaires colombiens pénètrent dans la zone par hélicoptère, tuent une vingtaine de guérilleros (certains par balles dans le dos), entre autres, le commandant Raúl Reyes, nº 2 des FARC. Ils emportent le cadavre de Raúl Reyes et d’un autre guérillero, les montrant sadiquement comme un trophée, à la télévision. Ils laissent au milieu de troncs calcinés trois survivantes blessées par le bombardement et les balles, fait grave selon la Croix Rouge présente lors du sauvetage de ces victimes.

 9 heures après les faits, le président colombien informe le président équatorien Correa que ses militaires ont dû poursuivre dans le pays voisin les guérilleros lors d’un « combat ».

 Informé par l’investigation militaire qu’il avait ordonné sur le lieu des faits, le président Correa proteste contre le gouvernement colombien, car il n’y a pas eu de combat : les combattants des FARC étaient en train de dormir (tués en pyjama et sans armes). Il y a eu violation flagrante et belligérante du territoire équatorien.

 Ces faits se sont produits dans le contexte d’une opération de remise en liberté de personnes séquestrées par les FARC, dont Ingrid Betancourt, franco-colombienne. Cette opération était planifiée avec le gouvernement colombien et 3 émissaires français du président Sarkozy qui étaient sur le point de rencontrer le numéro 2 des FARC, Raúl Reyes. Un coup de téléphone du gouvernement colombien les a prévenus quelques heures avant l’attaque contre le campement de Raúl Reyes, qu’ils ne devaient pas s’approcher de la zone. L’opération de libération d’une vingtaine de séquestrés, dont Ingrid, était donc en marche et en plein accord avec le Président Uribe. L’attaque criminelle était bien planifiée auparavant.

 Informés sur la gravité des faits et sur les mensonges et trahisons de la parole donnée d’Uribe, l’Équateur rompt les relations diplomatiques, appelle à une réunion urgente de l’Organisation des États américains (OEA), et expulse l’ambassadeur de Colombie.

 Uribe contre-attaque, cherchant à détourner l’attention de la violation flagrante faite par son gouvernement du traité de la ONU, il dénonce que l’ordinateur de Reyes révèle les « relations » de Correa et de Chávez avec les FARC (remise d’argent et d’uranium, entre autres). Il accuse Chávez devant le Tribunal international pénal de La Haye.

 Le gouvernement vénézuélien suspend les relations diplomatiques, ferme l’ambassade en Colombie et expulse l’ambassadeur colombien.

 Le TIP déclare non acceptable la demande de Uribe contre Chávez et Uribe se voit obligé de retirer sa demande, par manque de preuve et sous la pression d’hommes politiques de son pays, « pour ne pas faire le ridicule ». Le ou les ordinateurs n’auraient pu résister aux déflagrations et bombardements, le campement ayant été réduit en poussière.

 Le Nicaragua se solidarise avec l’Équateur et rompt les relations diplomatiques, rappelant le conflit créé par la Colombie qui occupe l’île de Saint-André, dans les eaux de Nicaragua.

 Le président de l’OEA convoque une réunion de cet organisme hémisphérique : tous les pays, sauf les États-Unis, signent une déclaration qui dénonce la violation du territoire équatorien par la Colombie, sans condamner toutefois explicitement ce pays. Le 17 mars, les ministres des affaires étrangères des différents pays doivent se réunir.

 Le 7 mars, le Groupe de Rio se réunit à Saint-Domingue pour parler de la crise colombo-équatorienne qui menace la paix dans toute la région.

 Après un long débat où les parties en litige s’affrontent et s’accusent mutuellement, après la prise de parole de plusieurs présidents et présidentes, le discours de Chávez parvient à faire baisser la pression, invitant à stopper la voragine (l’hécatombe) que nous pourrions regretter après. Il fait vœu de paix et se prononce pour l’échange humanitaire. Son discours est très applaudi et la réunion se détend. La gestion du président dominicain permet de dépasser la crise.

 Une résolution est rédigée, lue immédiatement et approuvée.

Restent des blessures à cicatriser, une confiance à reconstruire, une paix durable à obtenir dans une zone éclaboussée par un conflit qui affecte les voisins et nos frères colombiens.

À la sortie de ce sommet, Chávez signale que le grand perdant est Bush, qui a imposé au dernier moment à Uribe de bloquer la libération des séquestrés. Une fois de plus, notre président a fait la preuve de son humanisme, de son combat pour la paix et de sa capacité de convaincre, non par la force, mais par le cœur.

Les voisins de la Colombie devront redoubler de vigilance, car les paramilitaires colombiens « démobilisés » sont semés dans notre pays, agissant déjà dans bien des zones, semant la terreur et la mort.
Somme toute, célébrons ensemble le talent latino-américain, capable de résoudre les conflits de cette manière. L’Amérique latine a beaucoup à enseigner à d’autres nations, dites développées. Acceptons humblement la leçon.

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Messages

  • La version des faits me paraît exacte et en tant que française en amérique latine durant cette crise j’ai pu avoir les deux versions, des pays "victimes" et des autres moins concernés qui finalement ne diffèrent pas tant que ça.
    >Je voudrais seulement dire que le rôle de votre président Chavez n’a pas été que d’ apaiser les tensions, bien quil aie le poids et le pouvoir de le faire compte tenu des ressources du vénézuela. Il a aussi tourné a son avantage le conflit pour souligner le néoimpérialisme américain, thème récurrent de ses discours. Je pense que l’action de Chavez en Amérique Latine peut être tout aussi pire que l’influence des Etats Unis. Les informations alternatives pour moi ne doivent pas systématiquemnt être tournées contre les idéologies dominantes, masi faire l’objet dune reflexion plus profonde.
    sinon, article interressant.

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