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VENEZUELA - Mr. Langellier prend un aller simple pour le pays des soviets

Thierry Deronne, Laynel Fumero & Nelson Cova

mardi 1er septembre 2009, mis en ligne par Thierry Deronne

Toutes les versions de cet article : [Español] [français]

1er septembre 2009, Caracas - Le 27/08/2009, sous le titre « Au Venezuela, une loi sur l’éducation ouvre la voie à la censure de la presse », Le Monde attaque la loi de l’éducation que viennent d’adopter les députés. Le correspondant Jean-Pierre Langellier, qui rédige cet article depuis… Rio de Janeiro, fait siens les mensonges d’une droite férocement opposée depuis dix ans à toute avancée démocratique et sociale, et de plus en plus médiatique [1].

Analyse (non exhaustive).

 1.- J.-P. Langellier : « La récente promulgation d’une loi organique d’éducation renforçant le contrôle de l’État vénézuélien sur l’école et l’université inquiète de larges secteurs de l’opinion qui accusent le président Hugo Chávez de vouloir apparenter de plus en plus son régime au modèle cubain. »

Ce qui frappe au contraire c’est le faible nombre des opposants (conséquence des divisions et du déclin relatif de la droite). Cette faiblesse numérique pousse l’opposition à la « violence sur commande ». Captés par AP ou Reuters, les gros plans de la « répression » font le tour du monde en un éclair. L’opposition vénézuélienne dispose de 80 % des ondes radio, TV et de la presse écrite sur le plan national. Elle se sent aussi encouragée dans cette violence par l’écho complaisant qu’elle suscite dans CNN, Fox, Reuters, El País, Le Monde, Libération, etc.

Langellier occulte que la majorité de la population appuie la nouvelle loi [2]. Dans tout le pays, des dizaines de milliers de citoyen(ne)s défendent pacifiquement le droit nouveau à une « éducation publique et sociale, obligatoire, gratuite, de qualité, de caractère laïque, intégrale, permanente, socialement pertinente, créative, artistique, innovatrice, pluriculturelle, multiethnique, interculturelle et multilingue. (Art.3) et qui vise à « développer le potentiel créateur de chaque être humain en vue du plein exercice de sa personnalité et de sa citoyenneté », à « stimuler le respect de la dignité des persones » ; à « développer la formation d’une conscience écologique pour préserver la biodiversité ». (Art. 15)

 2.- Langellier poursuit : « L’université ne contrôlera plus seule les admissions et les élections internes, ce qui représente une double menace pour son autonomie ». Le monde universitaire s’est déclaré en « désobéissance civile ».

En réalité les droits d’inscription exorbitants pratiqués des nombreuses universités privées ont pendant longtemps tenu la majorité sociale à l’écart de l’éducation supérieure (on compte au Venezuela 80 % de secteurs populaires). La nouvelle loi démocratise les élections internes jusqu’ici réservée à une minorité, en incluant l’ensemble du personnel et de la communauté universitaires. La fin du négoce et du suffrage censitaire irrite logiquement les entrepreneurs du savoir, mais ne peut que réjouir les esprits démocratiques. C’est pourquoi la majorité des étudiants et des professeurs approuve cette réforme.

 3.- « L’Église proteste contre la disparition de toute mention d’un enseignement catholique facultatif. »

La hiérarchie catholique a longtemps régné sur l’éducation et largement profité des subventions de l’État. Elle perd un de ses grands négoces. D’où sa campagne féroce contre un « Chávez qui veut chasser Dieu de l’école » [3]. Dans la nouvelle loi, « les familles ont le droit et la responsabilité de l’éducation religieuse de leurs enfants, en accord avec leurs convictions et conformément à la liberté religieuse et de culte, prévue par la Constitution de la République. L’État veillera en toute circonstance à maintenir le caractère laïque de l’éducation et à préserver son indépendance vis-à-vis des courants et des organismes religieux » (art. 7)

 4.- Selon Langellier, « sous prétexte de légiférer sur l’école, deux articles visent une autre cible : les médias. L’enseignement scolaire devra inclure “une analyse critique des moyens de communication” ; les médias ne pourront publier des informations qui “terrorisent les enfants” ou “portent atteinte aux saines valeurs du peuple vénézuélien”. Une interdiction aussi vague ouvre la voie à toutes les censures. »

L’article de loi en question n’a rien de neuf. C’est une copie fidèle de la loi votée en 1980 (art. 11), soit 18 ans avant la première élection de Chávez. Cet article évoquait déjà la nécessité de protéger les enfants de tout ce qui peut les terroriser, les pousser à la violence, à la haine, etc. Un article auquel nul n’avait trouvé à redire. Tous savent que le temps passé devant la télévision a déplacé depuis longtemps celui passé sur les bancs de l’école (avec les conséquences dramatiques, violentes qu’on a pu observer ici et là, aux États-Unis ou en France). La vraie nouveauté de la loi, c’est l’éducation critique aux médias, une mesure souvent recommandée par les pédagogues du monde entier et qui angoisse Mr. Langellier. Celui-ci ferait bien de relire ce qu’un rédacteur en chef du Monde proposait dès 1979 : « Savoir maîtriser les médias, avoir une attitude critique à leur égard, c’est à coup sûr se donner la possibilité d’être mieux informé, et d’en tirer le plus grand parti possible. Un lecteur qui comprend les mécanismes de fabrication d’un journal, qui sait analyser un article, comparer diverses sources… sera plus exigeant. L’école est le premier lieu où doit se faire cet apprentissage (…) L’éducation du citoyen et sa liberté dépendent aujourd’hui de sa capacité à maîtriser le flot d’informations qu’il reçoit ou subit. » [4]

Trente ans plus tard Le Monde en est réduit au journalisme de guillemets. La matrice mondiale (Venezuela = Cuba =URSS) permet de remplacer l’enquête par la typographie. « Socialisme », « textes socialistes », « principes du socialisme », « fils d’ouvrier », les guillemets de Mr. Langellier sont censés nous faire peur. Hier Le Monde dénonçait un « parti unique ». Deux ans plus tard ce « parti socialiste unifié » a pris sa place, comme prévu, parmi les quarante partis de droite et de gauche régulièrement soumis au choix des électeurs. Privé de droit de suite, le lecteur du Monde n’en saura rien.

Cette fois J.-P. Langellier dénonce la présence de « conseils communaux » comme « agents d’éducation » contrôlés par le pouvoir en omettant de dire que ces conseils communaux s’inspirent des assemblées de budget participatif que les altermondialistes admiraient à Porto Alegre (Brésil). Structures-clefs de la démocratie participative, parfois embryonnaires, ils sont ouverts à tous, au point que des partis de droite comme Primero Justicia en contrôlent certains. Les projets qu’ils proposent, financés par l’État, sont réalisés par les habitants eux-mêmes, une bonne manière de lutter contre la corruption qui sévissait dans l’usage des fonds publics.

Les tenants d’une conception démocratique, participative de l’école ne peuvent que se réjouir de ce que parents, élèves, habitants travaillent la main dans la main pour faire sortir l’école de ces murs, lui rendre sa dimension sociale, développer les valeurs de solidarité, d’égalité, de lutte contre toute forme de discrimination, comme le demande la nouvelle loi. Des générations de pédagogues, de Paulo Freire à Jean Piaget, en ont rêvé. Le Venezuela l’a fait. Les lecteurs auront-ils droit à une enquête de terrain, contradictoire, sur la concrétisation de cette loi ? Parti précipitamment pour le pays des soviets, le correspondant du Monde restait hier injoignable.

Images occultées par Le Monde : mobilisations massives en faveur de la loi
Images diffusées mondialement : l’opposition « réprimée »

Laynel Fumero et Nelson Cova sont des politologues vénézuéliens.

Les opinions exprimées dans les articles et les commentaires sont de la seule responsabilité de leurs auteurs ou autrices. Elles ne reflètent pas nécessairement celles des rédactions de Dial ou Alterinfos. Tout commentaire injurieux ou insultant sera supprimé sans préavis. AlterInfos est un média pluriel, avec une sensibilité de gauche. Il cherche à se faire l’écho de projets et de luttes émancipatrices. Les commentaires dont la perspective semble aller dans le sens contraire de cet objectif ne seront pas publiés ici, mais ils trouveront sûrement un autre espace pour le faire sur la toile.


[1Pour savoir ce qu’écrira demain Mr. Langellier, voyez ce que dit aujourd´hui la télévision privée vénézuélienne (80 % des ondes) dont RCTV, http://elobservador.rctv.net/ soi-disant « fermée par Chávez », Globovision, http://globovision.com/channel.php?cha=1 ou la presse écrite, majoritairement d’opposition : Tal Cual http://www.talcualdigital.com/index.html , El Nacional, http://www.el-nacional.com/, El Universal, http://opinion.eluniversal.com/, ou Ultimas noticias, http://www.ultimasnoticias.com.ve, La Razón, http://www.larazon.net/.

[2Voir les photos en fin d’article.

[3Le cardinal Velazco avait signé de sa main, face aux caméras des télévisions privées, le décret du coup d`État contre le président Chávez (12 avril 2002). Au Honduras le clergé catholique vient d’avaliser le coup d’État contre un président jugé trop réformiste.

[4Jacques Fauvet, préface de Lire le journal : pour comprendre et expliquer les mécanismes de la presse écrite, de Yves Agnès et Jean-Michel Croissandeau, avec 110 fiches pratiques, Saint-Julien-du-Sault : Éd. Lobbies, 1979. 263 p. (Cité par Hugo Chávez le 16/08/2009).

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