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DIAL 3088 - L’autre côté du monde

PÉROU - Une mine engloutit une ville

Leslie Josephs

vendredi 1er janvier 2010, par Dial

Ce dossier « De l’autre côté du monde » est consacré aux problèmes que cause l’exploitation minière à grande échelle sur l’environnement et la santé des populations du voisinage. Ces problèmes surviennent « de l’autre côté du monde » – au Sud – et, pour cette raison, passent, « de notre côté du monde », le plus souvent inaperçus : nous ne mesurons pas le coût réel des produits que nous achetons souvent d’autant plus volontiers qu’ils ne sont pas « chers ».

En général, les acteurs en présence sont toujours les mêmes, d’un côté des multinationales du Nord, en général soutenues d’une manière ou d’une autre par les gouvernements des pays concernés, et de l’autre, les populations et différents protagonistes non locaux de la société civile qui tentent de se mobiliser pour faire barrage aux destructions. Dial a déjà publié bon nombre d’articles sur ces luttes qui se produisent dans une bonne partie des pays d’Amérique latine [1] Ce mois-ci, nous publions un article sur le Pérou et un autre sur le Costa Rica, tous deux parus sur le site Noticias Aliadas. Le premier est de Leslie Josephs (31 août 2009) et le second de Tania Álvarez (26 novembre 2009).


La ville minière de Cerro de Pasco, dans le département central de Pasco, a été fondée il y a plus de quatre siècles. Et, au train où vont les choses, cette même activité pourrait bien entraîner sa disparition.

Le gouvernement péruvien a approuvé un plan destiné à déplacer cette ville de 70 000 habitants, à cause de l’expansion d’une mine à ciel ouvert, responsable par ailleurs de graves problèmes de santé et de dommages importants pour l’environnement. Ce sera la première fois, en Amérique latine, qu’un gouvernement décide de déplacer une ville de cette importance.

La pollution et les risques évidents pour la santé et l’environnement ne pourront qu’empirer quand Volcan compagnie minière, une des principales productrices de minerai du Pérou, entreprendra, comme elle le prévoit dans son plan d’expansion, d’engloutir littéralement le centre historique de la ville, d’en détruire les bâtiments, pour pouvoir extraire les réserves de plomb et de zinc situées dans le sous-sol.

L’extraction du zinc domine la vie de cette cité andine – une des plus hautes du monde – aussi bien économiquement que du point de vue de la santé et, ce qui est plus visible, d’un point de vue géographique

Cette mine gérée depuis dix ans par Volcan, comprend une excavation d’1,8 km au centre de la ville. Les habitations endommagées et chancelantes, avec leurs murs secoués deux fois par jour par les explosions souterraines de la mine, à 11h du matin et à 3h de l’après-midi, du lundi au samedi, sont alignées au bord du trou, parfois tout juste séparées du bord par un grillage. Les enfants jouent près des tas de déchets minéraux : ils ont dans le sang un taux de plomb bien supérieur aux normes internationales. L’eau est en quantité insuffisante et les résidents n’y ont accès que quelques heures par jour.

Une production en expansion

Au cours du premier semestre de cette année, Volcan a extrait plus de 51 700 tonnes de minerai de zinc, ce qui fait de cette mine une des principales sources de ce minerai pour le pays.

Mais l’entreprise pense au futur. Son « Plan L » augmentera l’aire de la mine de 11,4 hectares, en absorbant le quartier central de Chaupimarca, obligeant au moins 5 000 personnes à abandonner les lieux. Une étude du Centre de contrôle des maladies des États-Unis, réalisée en 2007, a montré que, dans cette zone, 42% des enfants ont un taux de plomb dans le sang qui dépasse la limite acceptable selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui est de 10 microgrammes par décilitre de sang.

Cerro de Pasco est une ville créée par accident. Elle n’a jamais été pensée pour un habitat urbain. L’activité minière date du XVIe siècle. Déjà les Incas y extrayaient des métaux précieux. Les Espagnols ont développé cette activité et ont donné à la ville le nom « Cité royale des mines ». L’entreprise minière états-unienne Cerro de Pasco Corporation a commencé une production industrielle du minerai au début du XXe siècle. Elle a été expropriée à la fin des années 60 par le gouvernement militaire (1968-1980). En 1999 le consortium Volcan a acheté la mine à l’entreprise d’État aujourd’hui disparue Centromin Perú.

L’exploitation industrielle de la mine a laissé une marque indélébile sur la ville. Les paysans de la région se plaignent que l’eau et les pâturages font mourir leur bétail, qui ne peut se nourrir que près des lacs oxydés et pollués par les rejets de cette mine multimillionnaire.

La première à s’en aller

Quiulacocha, une communauté paysanne d’éleveurs de moutons et d’alpacas, dont les animaux broutent à proximité des tas de déchets, d’une couleur orange brillant, est une des plus affectées. Selon une étude faite en 2006 par le Centre de santé du travail et de protection de l’environnement pour la santé publique de Pasco (CENSOPAS, Centro de Salud Ocupacional y Protección del Ambiente para la Salud de Pasco), plus de 89% des enfants de cette communauté ont un taux de plomb dans le sang supérieur aux normes de l’OMS. Cette étude a aussi fait apparaître des taux élevés d’autres métaux.

Le transfert, qui doit en principe durer 10 ans, commencera certainement par Quiulacocha. « C’est l’endroit où nous avons vécu depuis toujours » dit Leonardo Santiago Rojas, président de la communauté. « Mais déjà nous n’en pouvons plus. Nous sommes totalement intoxiqués par les métaux, le plomb, l’arsenic ».

La pollution et les dommages causés à la santé par la proximité des mines ne sont pas une chose nouvelle au Pérou. Sur le trajet de la Route centrale, la principale voie d’accès à la chaîne de montagne du centre du pays, on trouve La Oroya. Une fonderie polymétallique, qui est le plus gros employeur de la ville, utilise des procédés très dangereux pour l’environnement. Plusieurs études ont révélé que 99% des enfants qui vivent dans la partie ancienne de La Oroya ont des taux de plomb dans le sang supérieurs aux limites fixées par l’OMS. Or ces taux élevés de plomb causent de graves dommages neurologiques et entraînent des retards importants dans le développement. Les enfants sont les plus exposés car leur corps absorbe le plomb plus vite que celui des adultes.

Dans le département de Junín, qui fait aussi partie de la ceinture minière andine, l’entreprise d’état chinoise Chinalco a le projet de financer le transfert d’environ 5000 habitants de la localité de Morococha avant de commencer, en 2012, les opérations dans sa mine de cuivre d’une valeur de 2,5 milliards de dollars, une des plus grandes du pays.

Mais le plan d’expansion de Volcan a plus d’importance que la population. En décembre, le congrès péruvien a promulgué une loi pour réinstaller les résidents à plus de 30 km de là, mais après que le gouvernement a déjà approuvé le projet d’extension.

Aujourd’hui, la question est : qui paiera le déplacement ? Une étude en a estimé le coût à 8 millions de soles (2,7 millions de dollars). Mais, au début de cette année, le président de la région de Pasco, Félix Rivera Serrano, a indiqué qu’en réalité l’investissement nécessaire au déplacement serait de 1500 millions de soles (500 millions de dollars).

« L’État a une dette historique envers Pasco » déclare Dimas Peña Armas, président de l’Association des commerçants et des habitants de Pasco affectés par l’expansion minière » (ACICPAEM, Asociación de Comerciantes e Inquilinos de Cerro de Pasco Afectados por la Expansión Minera). « Il n’a jamais investi directement dans cette zone minière. »

« Presque toute la population de Quiulacocha est affectée par la pollution » dit Dionisio Travesano Atencio, qui habite Quiulacocha et tient un petit atelier de mécanique. « Ils nous disent toujours : on va vous déplacer, on va vous déplacer. Mais rien n’a été fait ».

Début 2009, le gouvernement a créé une commission multisectorielle, composée de membres des communautés locales et de fonctionnaires des ministères de la santé et de l’environnement. Mais le lieu de la réimplantation n’a même pas été encore fixé.

Alors que l’entreprise fait pression pour la réalisation de son plan, les maisons proches du cratère sont déjà déclarées inhabitables.

Mais il y en a qui ne veulent pas abandonner la ville. « Ce sont les mineurs qui nous font vivre », dit une habitante de Cerro de Pasco. « Si nous allons ailleurs, de quoi allons-nous vivre ? » dit une mère de quatre enfants qui vend des bonbons à la noix de coco et du jus de canne.

Pour Percy Suárez Minaya, présidente du Front civique de défense de Cerro de Pasco, « Il n’est pas possible de vivre dans de telles conditions. Il y a une nécessité urgente. C’est criminel de continuer à vivre ici. »


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 3088.
 Traduction de Jean-Claude Thomas pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 31 août 2009.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial - http://enligne.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.

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