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AMÉRIQUE LATINE-CARAÏBES - Création de la CELAC à Caracas : trois mémoires pour un point de non-retour de « notre Amérique »
Juan Manuel Karg
lundi 5 décembre 2011, mis en ligne par
La Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (CELAC) fondée les 2 et 3 décembre 2011 à Caracas constituera sans aucun doute l’événement politique majeur de ces dernières années, et le silence de la presse française est significatif. Cet organisme remplace en effet une OEA (Organisation des États américains) décrédibilisée par son alignement sur les États-Unis, par un organisme exclusivement latino-américain et politiquement pluraliste. Celui-ci réunira pour la première fois sans les États-Unis ni le Canada, 32 chefs d’État sur un total de 33 pays représentant 550 millions de citoyen(ne)s sur un territoire de plus de 20 millions de kilomètres carrés. D’ores et déjà le président équatorien Rafael Correa a manifesté son souhait de voir se créer au sein de la CELAC une commission des droits humains réservée aux latino-américain(e)s pour substituer une CIDH devenue caisse de résonance de campagnes médiatiques contre les gouvernements progressistes qui se multiplient en Amérique latine.
Unité contre dépendance : une lutte historique
Pour mesurer la portée historique de l’événement on peut se référer aux propos tenus par le président de la république bolivarienne du Venezuela - puissance invitante et l’une des principales forces d’impulsion du nouvel organisme : « Combien d’années de lutte. C’est un premier pas, ce n’est pas la victoire. Non. Mais c’est un premier pas. Parce que c’est en 1820 qu’a commencé la lutte dans ce continent. Après 300 ans de conquête, de domination, de génocide de la part des empires européens, a surgi la menace de l’empire naissant. Et Bolívar l’a prévu, l’a pressenti, l’a vu. L’a affronté. Bolívar proposa l’unité dès le Congrès amphictyonique de Panamá. Mais finalement s’est imposée la doctrine Monroe : l’Amérique pour les Américains. Et on a cru enterrer le boliviarianisme ».
L’importance politique de la CELAC – même avant sa naissance – est liée à la caducité de l’OEA et à son épais dossier d’interventions contre des pays qui empruntaient diverses voies transformatrices sur le continent. L’ « Organisation des États américains » restera tristement célèbre pour l’aval qu’elle a donné à des invasions, des coups d’État, voire des magnicides. De l’intervention étasunienne en République dominicaine (1965) au coup d’État contre le président Zelaya au Honduras (2009), on peut lire l’histoire de l’OEA comme celle d’un « instrument de l’impérialisme » (dixit le politiste argentin Atilio Borón). L’apogée de la dépendance de l’OEA vis-à-vis de Washington fut sans doute l’expulsion de Cuba en 1962 au motif du danger que représentait « l’offensive subversive de gouvernements communistes, de ses agents, et des organisations contrôlées par eux » (sic). C’est sur cette base que les gouvernements états-uniens successifs ont appliqué un blocus commercial toujours en vigueur contre Cuba, provoquant des pertes qu’on estime à 975 milliards de dollars.
Le point de « non-retour » de notre Amérique
En 2005, divers mouvements sociaux et politiques de l’Argentine et d’ailleurs remplissaient le stade du « mundial de futbol » pour un événement majeur organisé en présence d’Hugo Chávez et d’Evo Morales : l’enterrement de l’ALCA, traité de libre commerce d’obédience néo-libérale que l’administration Bush avait tenté d’imposer au continent, mais aussi le démarrage parallèle de processus au Venezuela, en Bolivie et en Équateur qui ont permis de construire l’ALBA – Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique. Ce bloc de pays – également intégré par Cuba et le Nicaragua entre autres – a ensuite fondé le TCP (Traité de commerce entre les peuples) pour substituer par la complémentarité et la solidarité, la concurrence entre pays du « libre commerce » des années 90.
La CELAC ne tombe donc pas du ciel mais s’enracine dans une « mémoire longue » – le « bolivarianisme » auquel Chávez se réfère ainsi que la marque laissée par les différents « Libertadores » de l’Amérique latine, eux-mêmes enracinés dans de longs cycles de résistance indigène, afro-latino-américaine comme celui d’Haïti, qui fut la première république libre du continent.
Elle prend aussi racine dans une « mémoire moyenne » – la résistance au néolibéralisme, les émeutes anti-FMI à Caracas (1989), etc. Et dans une « mémoire proche » formée par des processus unitaires entre nations souveraines tels que l’ALBA, un système nourri de coopération sociale et libéré de la logique du profit. D’autres, bien que plus nuancés, comme l’UNASUR, ont déjà permis de résoudre des moments de tension comme la tentative de coup d’État contre Evo Morales en Bolivie (2008).
Alors que dans une Europe amnésiée par les grands médias, on a vu des « intellectuels » de gauche se convertir à la « guerre humanitaire » et défendre peu ou prou une guerre meurtrière en Libye, il est bon de citer la présidente argentine Cristina Fernandez « Quand je vois les pays dits civilisés régler leurs affaires à coups de bombes, je me sens fière d’être sud-américaine ».
Juan Manuel Karg est Licencié en sciences politiques (UBA).
Traduit et adapté pour le français par Thierry Deronne pour La revolución Vive.
Site officiel de la CELAC : http://www.celac.gob.ve/ (avec lien de la transmission spéciale par Internet de la réunion des 33 pays à Caracas les 2 et 3 décembre 2011).