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DIAL 3209

PÉROU - Le gouvernement criminalise les mobilisations contre les activités minières

Cecilia Remón

vendredi 5 octobre 2012, mis en ligne par Dial

Dans le DIAL de septembre, nous nous étions fait l’écho de la lutte victorieuse d’un village argentin contre un mégaprojet d’exploitation minière [1]. Dans l’article qui suit (DIAL 3210) est dressé le portrait d’une actrice d’une autre lutte, au Guatemala cette fois. Ce texte, sur le Pérou, a été rédigé par Cecilia Remón et publié sur le site de Noticias Aliadas (28 juillet 2012). Il s’intéresse aux positionnements du troisième acteur des conflits, au-delà des riverains et des entreprises minières, l’État.


Ollanta Humala a prêté serment en tant que président du Pérou le 28 juillet 2011, et il s’est engagé à instaurer un dialogue afin de résoudre les nombreux conflits sociaux du pays. Dans son discours d’investiture, le mandataire déclarait que « l’augmentation démesurée du nombre des conflits dont beaucoup sont absurdement violents, démontre, jour après jour, qu’il est urgent de réparer les injustices, de changer de cap et de rétablir le dialogue dans notre société ».

Le nouveau gouvernement avait hérité, d’après le Défenseur du peuple, de 214 conflits sociaux dont 118 étaient de nature socio-environnementale, en particulier contre des projets miniers. En outre, pendant la législature de l’ex-président Alan García (2006-2011), 195 personnes ont perdu la vie à cause de la violence déchaînée durant les conflits.

Mais, au bout d’à peine quatre mois de pouvoir, Humala a décidé d’abandonner le dialogue et d’imposer « une main de fer » pour maîtriser les mouvements sociaux contre les activités d’extraction minière. Le déclencheur du revirement présidentiel a été le projet Conga, un investissement de 4,8 milliards de dollars pour extraire l’or et le cuivre enfouis sous quatre lacs, au sud-est du département de Cajamarca, dans la sierra nord. Ce projet sera mis en œuvre par l’entreprise Minera Yanacocha – propriété de l’entreprise états-unienne Newmont Mining –, par l’entreprise péruvienne Buenaventura et par la Corporation financière internationale (IFC), rattachée à la Banque mondiale.

La population de Cajamarca s’est fermement opposée au projet situé à l’entrée d’un bassin fluvial car il prétend transvaser les eaux des lacs dans des réservoirs artificiels. En novembre 2011, le ministère de l’environnement entreprend une étude d’impact sur l’environnement (EIA) du projet et y trouve de nombreuses lacunes dont l’absence d’étude hydrologique, indispensable pour comprendre le fonctionnement des lacs. Ce projet a fait l’impasse sur les services environnementaux que rendent ces écosystèmes. Ces conclusions ont été confirmées en avril par trois experts étrangers dépêchés par l’État.

Une des principales critiques que font les experts à propos des études d’impact sur l’environnement (EIA) est que, d’une part, elles sont réalisées par des sociétés de consultants sous contrat des entreprises minières et que, d’autre part, leur validation revient au ministère de l’énergie et des mines, qui octroie les concessions, ce qui le rend à la fois « juge et partie ».

Pour Julia Cuadros, directrice de l’ONG CooperAcción, les EIA se font « à la tête du client » et sont, en outre « un document de pure forme » car, après leur approbation, plus personne ne se préoccupe du suivi.

Cuadros, tout comme d’autres analystes et experts, considère que les EIA doivent être prises en charge par le ministère de l’environnement. Cependant, le président du conseil des ministres, le militaire à la retraite Oscar Valdés, a affirmé à Noticias Aliadas, lors de la réunion du 5 juin avec les correspondants étrangers, que cela ne se fera pas.

Répression policière

Humala a décidé de soutenir le projet Conga ce qui a entraîné la chute du cabinet de Salomon Lerner, le 10 décembre, après l’ordre de la présidence d’instaurer l’état d’urgence à Cajamarca. Le but du gouvernement était de maîtriser les mobilisations contre le projet, d’abandonner le dialogue et d’imposer la nomination de ministres plus en phase avec la nouvelle position gouvernementale. Cette politique a eu pour conséquence la radicalisation des démonstrations de force à Cajamarca et la convocation d’une grève illimitée à partir du 30 mai.

La réponse des autorités gouvernementales à la mobilisation a été l’instauration de l’état d’urgence, l’arrestation de personnalités et la répression policière et militaire. Depuis qu’Oscar Valdés a pris possession de son poste, en décembre, 17 personnes ont été tuées dans les affrontements avec la police et l’armée, dont cinq à Cajamarca, tuées par balle, dans la dernière semaine de juin.

Jusqu’en juin, le Défenseur du peuple a enregistré 247 conflits sociaux dont 60% sont des conflits contre des projets d’extraction minière. De plus, pendant ce même mois, 93 actions collectives de protestation ont été menées.

Un mois avant les évènements de Cajamarca, deux personnes sont mortes au cours de la répression policière contre la population de la province d’Espinar, dans le département de Cusco, au sud. Le 21 mai, cette région avait commencé une grève illimitée pour obliger l’entreprise minière suisse Xstrata [2] – qui exploite depuis 2006 la mine de cuivre de Tintaya – à honorer ses engagements en faveur des habitants et à respecter les normes environnementales. L’entreprise affirme qu’elle respecte le contrat-cadre signé en 2003 avec les communautés, contrat hérité de la précédente propriétaire de la mine, la compagnie australienne BHP Billiton.

La disproportion des forces de police présentes dès le premier jour de la grève a donné aux grévistes la conviction que le conflit ne se règlerait pas par le dialogue avec les représentants du gouvernement et de l’entreprise. Et en effet, le dialogue n’était pas à l’ordre du jour du gouvernement car en réponse à la mobilisation il a décrété l’état d’urgence et ordonné l’arrestation violente du maire d’Espinar, Oscar Mollohuanca, alors qu’aucun mandat d’arrêt ne pesait contre lui. Ce fut une procédure illégale et anticonstitutionnelle. Mollohuanca a été incarcéré à Ica, à plus de 800 km à l’ouest de Cusco, pendant que le juge chargé de l’affaire ordonnait sa mise en détention préventive pour cinq mois afin « d’instruire » la supposée participation du maire aux évènements.

Le ministre de la justice Luis Jiménez a justifié la mesure en déclarant qu’il existe des « éléments probants » concernant la participation de Mollohuanca à des actes illégaux.

« C’est une décision de justice que nous devons tous respecter », a déclaré Jiménez. « La responsabilité du maire a été mise en cause et cela justifie une enquête plus approfondie… Le procureur est en possession d’éléments qui renvoient à une responsabilité pénale ».

D’après Carlos Rivera, avocat de l’ONG Institut de défense juridique (IDL), il s’agit d’« une détention arbitraire, ne respectant pas la loi ». Tout porte à croire, déclara Rivera, que l’exécutif a fait pression sur le pouvoir judiciaire pour qu’il agisse. La décision administrative émise par le pouvoir judiciaire le 31 mai, un jour après l’arrestation de Mollohuanca à la demande du ministère de l’intérieur, en est un bon exemple : cette décision ordonne le transfert du dossier et des détenus d’Espinar à Ica, et de ceux de Cajamarca à Lambayeque, à 300 km de distance.

Rivera qualifie la mesure d’« illégale et [d’]anticonstitutionnelle car elle met en cause le droit à une procédure judiciaire, le droit à la défense, le droit à un juge ordinaire et aux garanties d’impartialité. Le dossier contre Mollohuanca a été monté de la pire façon qui soit, pour répondre à des décisions politiques. On lui a imputé une série de délits sans aucun fondement ».

Un modèle de « main de fer »

Bien que l’instance d’appel de la Cour supérieure d’Ica ait révoqué le 12 juin l’ordre de détention contre le maire au vu des manques et des incohérences des charges présentées par le procureur contre Mollohuanca, ce cas pourrait servir de modèle en matière d’intervention du gouvernement pour maîtriser les conflits sociaux.

S’il est vrai qu’à Espinar s’est ouvert le 21 juin une structure de dialogue à laquelle participent les ministres de l’environnement, de l’agriculture, de l’énergie et des mines, à Cajamarca, en revanche, la position intransigeante des leaders locaux et de la population contre le projet Conga a rendu la situation ingérable pour le gouvernement, lequel a préféré réprimer les manifestations plutôt que d’entamer un dialogue.

L’analyste Enrique Arias Aróstegui a signalé dans la revue Ideele publiée par IDL, « qu’à Cajamarca, les affrontements sont permanents et de plus en plus violents. Les forces de police prennent des initiatives : au moindre soupçon, au moindre regroupement de personnes, une action policière est déclenchée, de plus en plus violente, à mesure que s’accumulent les jours de grève. Il n’y a pas moyen de faire une manifestation pacifique, tout attroupement de citoyens est dispersé par des tirs de balles en caoutchouc, des gaz lacrymogènes et des coups à tout va ».

Les autorités gouvernementales, une partie des entrepreneurs et la majorité des médias sont d’accord pour signaler qu’il existe une sorte de « complot de secteurs extrémistes et opposés aux exploitations minières », tant dans ce conflit que dans d’autres.

« À l’intérieur du pays une lecture différente de ces mêmes faits prévaut » indique Ernesto de la Jara, président d’IDL, dans sa tribune de Diario 16. « Il y a de la part de la population une inquiétude réelle au sujet des effets que ces entreprises produisent sur l’eau, sur leur santé et sur leur activité agropastorale, vitale pour eux ».

« Et devant l’indifférence du gouvernement comme de l’entreprise, le mouvement de protestation commence à se radicaliser », ajoute-t-il. « Vient ensuite toute la partie répression… Mais le résultat de celle-ci est tout autre : les populations éprouveront une fois de plus que le gouvernement se met sans condition du côté des entreprises qui seront toujours gagnantes, que leur propre vie ne vaut rien et que leurs dirigeants et leurs représentants sont traités comme des délinquants ».

Le risque d’un soulèvement majeur a conduit à la nomination le 5 juillet de deux membres de l’Église catholique, l’archevêque Miguel Cabrejos et le prêtre Gastón Garatea, en tant qu’intermédiaires pour faciliter le dialogue entre le gouvernement et les autorités et dirigeants de Cajamarca.

Pendant ce temps, plusieurs analystes et experts considèrent que la seule façon de parvenir à une solution dans ce conflit, serait, d’une part, de suspendre, au moins temporairement, le projet Conga, d’autre part, de renouveler le cabinet au vu de son incapacité à obtenir des accords durables, et enfin, de renforcer et d’améliorer l’application des mesures de réglementation environnementale.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3208.
 Traduction de Michelle Savarieau pour Dial.
 Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 28 juillet 2012.

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