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DIAL 2307

COLOMBIE - Les paramilitaires contre les défenseurs des droits humains

Jesús Machado

vendredi 16 juillet 1999, mis en ligne par Dial

Mouvements de guérilla, armée nationale et paramilitaires représentent trois agents importants - mais bien loin d’être les seuls - de la violence en Colombie. Les paramilitaires constituent l’une des difficultés majeures - mais, là encore, loin d’être la seule - dans les négociations qui commencent à s’esquisser entre les mouvements de guérilla, notamment ces jours-ci avec les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC), et le gouvernement de ce pays. Les paramilitaires s’en prennent particulièrement aux défenseurs des droits de l’homme. Qui les entraîne et les soutient ? Quelle est la nature exacte de leur mouvement et de leurs forces ? Quels sont leurs objectifs ? Telles sont quelques-unes des questions qu’envisage l’article ci-dessous de Jesús Machado, s.j., sociologue, paru dans SIC, juillet 1999 (Venezuela).


Depuis des décennies, les défenseurs des droits humains en Colombie ont fait l’objet d’attaques de tous genres, pour les empêcher d’exiger la justice dans les cas de violations des droits humains les plus élémentaires concernant des leaders de communautés, des organisations syndicales et, en particulier, les gens les plus appauvris qui souffrent des horreurs d’une longue guerre civile.

Depuis à peu près 15 ans [1], une campagne systématique et planifiée a été orchestrée pour les intimider, les réduire au silence, les assassiner, pour mettre fin à leur indispensable et nécessaire travail de défense de ceux qui sont atteints dans leur dignité d’être humain. La question qui se pose immédiatement est : Qui tire profit du silence des défenseurs des droits humains ? Quel but veut-on atteindre en voulant les éliminer ?

Le travail extrêmement important des défenseurs des droits humains garantit, d’une part, la dénonciation nationale et internationale des atrocités commises contre la population civile et, d’autre part, le respect et la protection des droits humains de la part de tous et pour tous. Il exerce en outre une pression sur l’État colombien pour l’obliger à abandonner la pratique d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées et de tortures. L’efficacité et le sérieux de leurs travaux les ont conduits à remporter d’importants succès, aussi sont-ils considérés comme un obstacle important à éliminer pour laisser le chemin libre à toutes les opérations militaires de contre-insurrection dans lesquelles, évidemment, la plupart des droits humains fondamentaux seraient bafoués et limités.

Qui commet les actions contre les défenseurs ?

Les menaces, persécutions, séquestrations, tortures, disparitions et assassinats contre les hommes et les femmes qui défendent les droits humains au cours de ces dernières années ont été le fait des groupes paramilitaires et/ou des fonctionnaires de la police ou de l’armée agissant avec l’impunité que leur accorde la protection complice et criminelle de l’État colombien. Le message transmis est très clair : la campagne d’extermination des défenseurs, hommes et femmes, est une politique de l’État. De nombreux rapports réalisés par Amnesty International, par la Commission inter-congrégations de Justice et Paix de la Conférence des religieux de Colombie, par l’Institut populaire de formation de la Corporation de promotion populaire et par un ensemble d’organisations internationales de défense des droits humains, ont apporté des preuves irréfutables qui le confirment. Au cours des cinq dernières années les paramilitaires ont assassiné davantage de défenseurs des droits humains que pendant les périodes antérieures.

Les groupes paramilitaires s’appellent Autodéfenses paysannes, Groupes de choc, Groupes antiterroristes, Colombie sans guérilla, Mort aux communistes et aux guérilleros, Commandos urbains paramilitaires, Réseau urbain paramilitaire, Autodéfense des quartiers, La Metro, Union d’autodéfenses de Colombie, les associations Convivir ; ce sont des organisations d’extrême-droite créées, armées et protégées par les forces armées de Colombie, supervisées et entraînées par des officiers de l’armée des États-Unis issus du Commando Sud et par des spécialistes israéliens.

Plusieurs généraux, comme Harold Bedoya (ex-militaire et ex-candidat présidentiel), sont reconnus comme étant chefs d’unités paramilitaires. D’autres rapports ont révélé qu’il n’y a jamais eu d’affrontement armé entre paramilitaires et armée officielle ; des patrouilles dans les villages et l’installation de postes de contrôle sont réalisées de manière conjointe par l’armée officielle et les paramilitaires ; des paysans sont convoqués à des réunions où des officiers de l’armée colombienne leur disent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de combattre la guérilla et qu’ils doivent s’organiser en autodéfense ; des civils fortement armés font leur apparition après une courte présence militaire dans un village, ils se présentent comme des éléments d’autodéfense, en intimidant à nouveau la population ; il y a des entrées et sorties de paramilitaires dans les bases mêmes de l’armée officielle ; des groupes paramilitaires se sont organisés, dans les endroits où l’armée officielle s’est établie, peu après son départ, remplaçant les bases militaires par des bases d’autodéfense ; des massacres horribles de paysans ont eu lieu près de bases militaires, de postes de contrôle et de postes de l’armée officielle.

Les groupes paramilitaires n’ont pas été créés pour combattre la guérilla [2]. Leur organisation, leur armement, leur discipline et leur nombre en font une force faible, incapable de soutenir des affrontements armés contre les forces insurgées et, s’ils le faisaient, ils seraient éliminés dès les premières escarmouches.

La véritable fonction tactique des groupes paramilitaires est d’intimider, de provoquer la panique et la terreur, en effectuant d’atroces massacres sur la population paysanne, les défenseurs des droits humains, les dirigeants ou les militants politiques de partis autres que les conservateurs et les libéraux et de tous ceux qu’ils qualifient comme la périphérie sociale de la guérilla. Tout cela dans le but de « priver le poisson de son eau ».

La plupart des dirigeants des groupes paramilitaires sont des mercenaires. Les offres que font ces groupes aux paysans incluent le payement d’un salaire, l’entraînement dans des bases militaires et l’attribution du livret militaire.

Par les massacres, ils ont réussi à déplacer la population civile. Les paysans, les journaliers, les petits et moyens exploitants ont été forcés d’abandonner leurs terres, d’en faire cadeau ou, dans le meilleur des cas, de les vendre à des prix très au-dessous de leur valeur réelle, au profit des latifundistes, des propriétaires terriens, des militaires de haut rang et des barons de la drogue, ce qui entraîne une redistribution de la propriété de la terre qui laisse de côté les paysans. Il ne faut pas s’étonner de la coïncidence entre le départ de paysans de leur terre et l’apparition de grandes surfaces de culture du pavot et de la feuille de coca.

La responsabilité de l’État colombien

L’Organisation des Nations unies, lors de la 54ème session de la Commission des droits humains qui a eu lieu à Genève l’année passée, a fait une déclaration sur le droit et le devoir des individus, des groupes et des institutions de promouvoir et protéger les droits humains et les libertés fondamentales universellement reconnus, laquelle, entre autres, rend les États responsables de la protection des défenseurs des droits humains : « L’État garantira la protection par les autorités compétentes de toute personne, individuellement et collectivement, face à toute violence, menace, représaille, discrimination négative de fait ou de droit, pression ou toute autre action arbitraire à la suite de l’exercice légitime des droits mentionnés dans la présente déclaration. »

L’État colombien n’a pas tenu son engagement de garantir le droit à la promotion et à la défense des droits humains.

Il faut exiger de l’État colombien qu’il se décide à éradiquer les organisations militaires, arrêter tout type d’agression des défenseurs des droits humains de la part des fonctionnaires de l’État, résoudre les cas d’assassinats de défenseurs des droits humains dont les auteurs ont été clairement identifiés, créer les conditions pour que les défenseurs qui ont dû partir sous les menaces reviennent à leur travail habituel sans danger pour leur vie.

Au milieu de la barbarie et de la mort, de la souffrance et des pleurs, il y a ceux qui parient sur eux-mêmes pour le présent, convaincus de la valeur essentielle de la personne humaine et de sa dignité, vivant dans l’espérance active que la vie est et sera inviolable, construisant inlassablement des espaces libérés du mal jusqu’à ce que nous possédions un endroit où personne ne verra sa dignité et ses droits violés. Les porteurs de l’espérance, ce sont eux, les défenseurs des droits humains.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2307.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : SIC, juillet 1999.
 
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[1C’est-à-dire depuis le début de la phase intensive de la guerre sale qui se manifeste par l’assassinat et la disparition de leaders populaires et de défenseurs des droits humains.

[2S’il est bien évident que les groupes paramilitaires apparaissent sous la protection de forces militaires, certains analystes aujourd’hui pensent qu’ils ont déjà dépassé la phase « para-étatique » et sont devenus une force d’ »extrême-droite » avec son propre projet politique et même de plus grandes capacités militaires, sur certains points, que l’armée officielle elle-même. Aujourd’hui, on parle d’une « force spécialement entraînée » de 2 000 hommes pour récupérer le territoire laissé aux Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) dans l’actuel processus de négociation. Cette analyse n’exclut pas les convergences d’intérêts et les « accords implicites » entre les paramilitaires, les militaires et les minorités ayant le pouvoir en Colombie (groupes économiques, éleveurs, propriétaires terriens).

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