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DIAL 2342
AMÉRIQUE LATINE - À propos du jubilé 2000. Les dettes de l’église à l’égard des pauvres
Carta a las Iglesias
samedi 1er janvier 2000, mis en ligne par
Le texte ci-dessous a été écrit à l’occasion de la fête du « Divin Sauveur » célébrée au mois d’août en El Salvador (ce pays est le seul au monde à porter le nom de « Le Sauveur »). L’auteur y a joint la perspective de la célébration du Jubilé 2000. Texte éditorial de la revue Carta a las Iglesias, juillet 1999.
(...) Il est important que l’Église repense ce qu’elle doit aux pauvres, ce qu’elle ne fait pas pour eux ou qu’elle ne fait qu’à moitié. Et que personne ne s’étonne de cela car dans son message sur le Jubilé, Jean-Paul II insiste également sur le fait que l’Église ne doit pas seulement annoncer la bonne nouvelle aux pauvres mais qu’elle doit aussi demander pardon pour les péchés qu’elle a commis dans le passé et commet dans le présent.
Qu’on les appelle dettes, défis, exigences ou invitations que Dieu fait à son Église, voyons ce que nous pouvons et devons faire aujourd’hui, comme Église, pour les pauvres de ce pays.
1. Dans un pays qui vit dans l’obscurité, dans la confusion et qui est désorienté, dans lequel la vérité est facilement dissimulée et où les dirigeants trompent souvent le peuple, l’Église doit au peuple conseil et orientation au sujet de ce qui arrive. Dans notre pays abondent la corruption, la violence, la pauvreté, l’impunité, le désenchantement, et la hiérarchie de l’Église, sauf exceptions, ne se rend pas assez présente en situant les événements dans un contexte évangélique. Et avec cette orientation concernant la conjoncture, l’Église doit au peuple une analyse sérieuse des causes structurelles des maux, comme le faisait Mgr Romero dans ses lettres pastorales : les maux de la globalisation, du néolibéralisme, de la modernisation... Finalement, elle lui doit de dénoncer clairement les maux qui se dissimulent dans l’administration de la justice, de la police nationale.
2. L’Église doit au peuple de mettre sa force sociale au service de tout ce qui est organisation, mouvements, communauté et Église populaire. Elle doit au moins reprendre l’idée qui fut réalité dans le passé, même si ce fut avec des erreurs, et proclamer que la communauté, cet idéal chrétien, humain et salvadorien, est ce qui la fera progresser dans la vérité, et non pas l’individualisme qui va de pair avec le consumérisme, l’hédonisme ou l’indifférentisme qui constituent la composante mal appelée « culturelle » de la globalisation.
3. L’Église doit au peuple l’espérance. Il n’y a pas de recettes pour cela, mais il y eut un temps où l’Église salvadorienne donnait l’espérance au peuple. Et cela, elle le fit de façon incarnée, avec vérité, avec force, avec solidarité, en s’engageant jusqu’au martyre. L’Église doit être, comme Jésus, bonne nouvelle, elle doit vivre et se sacrifier pour qu’existe une « table partagée » où les pauvres occupent les premières places - comme le disait Jésus.
4. L’Église doit aux pauvres de se repenser à fond à partir d’eux. La majorité des Salvadoriens et Salvadoriennes sont pauvres et beaucoup d’entre eux s’organisent religieusement aujourd’hui loin de l’Église institutionnelle : les « évangéliques » (il vaut mieux les appeler ainsi plutôt que du terme méprisant de « sectes ») et divers mouvements ecclésiaux. D’autres, pauvres également, ont été délaissés par la même Église (communautés de base, l’ancienne Église populaire). Bien que l’Église soit majoritairement parmi les pauvres, elle se pense très peu à partir d’eux dans sa pensée doctrinale, liturgique, canonique, théologique. Symboliquement, des membres de la hiérarchie apparaissent fréquemment en public en compagnie de gouvernants, militaires et oligarques.
5. L’Église doit aux pauvres de les prendre au sérieux en tant qu’êtres humains adultes et comme chrétiens capables. Nous le disons parce que nous constatons un processus très répandu d’ »infantilisation religieuse ». Jésus nous a demandé de « devenir comme des enfants », simples, sans malice, avec confiance dans le Père. Mais il ne nous veut pas « puérils », sans réfléchir par nous-mêmes, intéressés par des choses rares et ésotériques (apparitions, prophéties, dévotions dans lesquelles personne ne sait qui est le saint ou la Vierge que l’on prie) et par des fables et des cantiques sans aucune base historique ni théologique. Prendre au sérieux les pauvres c’est travailler non seulement pour qu’ils soient dans l’Église mais pour qu’ils grandissent en elle en tant qu’êtres humains et chrétiens.
6. L’Église doit aux pauvres de se réunir autour d’eux, ce qui se faisait auparavant dans les semaines de pastorale, difficiles et conflictuelles, mais nécessaires et profitables. Il est nécessaire de les interroger et d’apprendre d’eux, afin de leur retourner en parole évangélique et théologique leur propre parole, ce qui se faisait autrefois grâce aux enquêtes faites auprès des pauvres avant d’écrire des lettres pastorales (rappelez-vous la lettre pastorale de Mgr Romero). Et dans ce contexte, l’Église doit aux pauvres des prêtres, des religieuses, des évêques, des théologiens et théologiennes, des séminaires, des centres de formation, des publications... qui aient fait, véritablement, bien au-delà des paroles vides, une option pour eux.
7. Aux femmes particulièrement, l’Église leur doit réparation. Épouses, compagnes et mères pleines d’endurance, ce sont elles qui empêchent le pays de tomber dans un chaos total ; religieuses pleines d’abnégation et de service, qui tant de fois conservent la crédibilité que perd une Église masculinisée... Les choses ne peuvent pas continuer ainsi dans l’Église avec les femmes. Ce n’est pas juste, en termes de droits humains. Ce n’est pas évangélique, dans la perspective de Jésus.
8. L’Église doit aux pauvres de leur présenter Jésus comme l’un d’entre eux. À un Jésus qui, avant toute autre chose, ne juge pas les pauvres selon leurs œuvres, mais les aime en raison de leur malheur. À un Jésus qui ne les considère pas comme des êtres inférieurs qu’il faut aider mais comme des personnes avec des valeurs et des capacités qu’ils peuvent faire fructifier. À la différence de ce que l’Église fait souvent, Jésus ne se donnait pas de crédit à lui-même, il ne se faisait pas de propagande à partir d’une guérison, mais il disait au malade : « Va en paix. Ta foi t’a guéri. » Et alors, oui, ces pauvres peuvent se transformer - et beaucoup l’ont fait dans ce pays - en êtres insignes qui suivent Jésus. C’est cette foi que nous devons aux pauvres, et non pas seulement des orthodoxies, inintelligibles pour eux, ni seulement des événements religieux spectaculaires qui ne laissent pas grand-chose.
9. Enfin, l’Église doit aux pauvres le souvenir de leurs martyrs : elle doit leur redonner dans la mort la dignité que les puissants leur ont arrachée pendant la vie. Et en ce qui concerne les survivants, apporter le réconfort aux familles et amis, donner courage à ceux qui veulent suivre leurs traces. Et elle leur doit également de faire un appel sérieux à la conversion en direction des criminels, afin qu’on ne pense pas que « ici, il ne s’est rien passé ». Ce que font les politiques, les militaires et les oligarques avec les martyrs est une chose. Mais l’Église ne doit pas confondre le pardon avec l’oubli, l’amour avec l’impunité. Grâce à Dieu, le souvenir des martyrs n’a pas diminué, il est même allé en augmentant. Les messes dominicales dans la crypte de la cathédrale où repose Mgr Romero en sont une bonne preuve. Et il faut être reconnaissant à l’archevêque et aux autres évêques du pays pour le travail et l’intérêt qu’ils déploient pour sa canonisation.
(...) Nous avons envisagé la conversion comme le paiement de « nos » dettes à l’égard des pauvres. L’expression peut être choquante, mais il est facile de comprendre ce que l’on veut dire par là. Et souvenons-nous en : les pauvres sont disposés à annuler nos dettes envers eux et à nous faire partager leur foi et leur espérance.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2342.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : Carta a las Iglesias, juillet 1999.
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