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DIAL 2355
BRÉSIL - L’efficacité du combat contre le travail esclave est compromise
CPT de Xinguara, Tucumã, Marabá, Araguaína et São Félix do Araguaia
mardi 15 février 2000, mis en ligne par
Le gouvernement brésilien avait pris, il y a plus de quatre ans, des mesures pour lutter contre le travail esclave, qui se sont montrées efficaces (un exemple concret de cela dans DIAL D 2306). Des conditions strictes s’imposaient pour que les opérations de contrôle puissent être efficaces, notamment le secret. Il s’avère qu’aujourd’hui fazendas et entreprises rurales connaissent à l’avance le passage de l’équipe d’inspection, ce qui leur permet évidemment de cacher leurs travailleurs clandestins. D’autres dysfonctionnements apparaissent. Des démarches sont en cours du côté de la Commission pastorale de la Terre (CPT) pour obtenir la restauration des conditions d’efficacité de la lutte contre le travail esclave. Nous publions ci-dessous un document émanant de la CPT de Xinguara, Tucumã, Marabá, Araguaína et São Félix do Araguaia, en date du 10 novembre 1999
Il y a déjà pas mal de temps que la CPT insiste auprès des autorités gouvernementales à propos de la lutte contre le travail esclave : une action efficace contre ce fléau exige au minimum :
– un contrôle extrêmement rapide, agile et absolument indépendant,
– une punition effective des coupables,
– une ample politique de prévention et de dissuasion.
C’est la raison pour laquelle nous avons accueilli très positivement, voici 4 ans, la décision gouvernementale de créer le GERTRAF et l’Équipe mobile de contrôle (1) - dépendant de la SEFIT aujourd’hui SIT (Service de l’inspection du travail) - ; un dispositif de ce type était revendiqué depuis longtemps par le Forum national permanent contre la violence en milieu rural, lui-même alerté par la CPT), en fonction de l’inefficacité quasi totale du contrôle pratiqué jusqu’alors. En créant l’Équipe mobile, le Gouvernement reconnaissait la nécessité incontournable de combattre le travail esclave au moyen d’une stratégie répressive totalement dégagée des pressions de toute nature émanant des oligarchies locales. D’où les 4 caractéristiques fondamentales du système mis en place : un commandement unique, lié à la SEFIT de Brasilia ; une sélection rigoureuse des agents de contrôle, sur la base du volontariat ; le secret absolu sur les actions projetées ; une réelle intégration entre Police fédérale et ministère du travail dans la mise en œuvre des opérations.
Les caractéristiques du système
Le commandement unique garantit l’unité et la célérité dans la décision et, surtout, retire celle-ci de la compétence de chaque État fédéré où, l’expérience le montre abondamment, la capacité d’influence des contrevenants est puissante.
La sélection des fonctionnaires permet de disposer d’un corps de contrôleurs alliant expérience et motivation ; en outre, pour être toujours choisis dans des États différents de ceux qu’ils iront contrôler, ils disposent de l’indépendance requise pour ce type de mission délicate (sans parler de la garantie que cela constitue pour leur propre sécurité).
Le secret des opérations empêche les fuites dont les contrevenants ont toujours su profiter pour dissimuler leurs pratiques criminelles. Le secret exige de manière absolue le respect de l’effet de surprise. Pour ce motif, il est exclu que, avant de lancer une opération, les autorités locales ou de l’État fédéré soient mises au courant.
Enfin, l’étroite intégration entre Police fédérale et ministère du travail (surtout depuis l’inclusion de commissaires de la Police fédérale dans l’Équipe mobile), sans compter l’éventuelle présence du ministère de l’environnement, rend possible en principe une action de répression agile sous tous les aspects (code du travail, aspect administratif, protection de l’environnement et bien sûr l’aspect criminel). Une preuve récente (hélas de courte durée) en a été donnée par la rapidité inédite des poursuites pénales engagées par le ministère public de Marabá-PA à partir du moment où ont été inclus parmi les témoignages, les dépositions des contrôleurs eux-mêmes, présents lors de l’opération coup-de-poing.
En résumé : la force de l’Équipe mobile vient de sa totale autonomie et de sa réelle agilité.
Et cela produit des résultats :
Rien que dans le sud du Pará, les rapports officiels d’inspection totalisent les résultats suivants : pour 1997, 493 travailleurs libérés de la servitude ; pour 1998, 254 ; pour 1999 (jusqu’au 31/10), 500. En outre, dans le Tocantins, 13 travailleurs ont été libérés, début 1999. C’est un résultat extrêmement significatif si on le compare aux chiffres d’avant 1995, quand la Direction régionale du travail (DRT) du Pará niait pratiquement l’existence de travail esclave dans l’État du Pará. En raison des difficultés d’obtenir des informations sur les fazendas et de localiser les endroits où le travail esclave est pratiqué, le nombre de personnes soumises à l’esclavage est, selon toute probabilité, bien supérieur au chiffre affiché par les statistiques.
Il est important de souligner également que dans pratiquement toutes les opérations de sauvetage réalisées dans le Pará (et le Tocantins) par l’Équipe mobile, les travailleurs asservis ont pu être libérés, recevoir leurs arriérés de rémunération ; leur situation au regard des obligations du Code du travail a pu être régularisée, les infractions sanctionnées, les actions pénales engagées, ce qui n’avait pas été le cas lors des opérations antérieures réalisées par la DRT.
Or, selon nos informations, confirmées par les préoccupations manifestées par des membres du SEFIT lui-même, certaines des caractéristiques essentielles pour l’efficacité du contrôle et de la répression qui en découle, sont aujourd’hui détournées ou même abandonnées, mettant en échec tout le dispositif répressif dont les autorités brésiliennes, avec une certaine raison, avaient commencé (et continuent) à se vanter devant la communauté nationale et internationale. Il y a lieu de se montrer préoccupé face aux faits exposés ci-après car ils indiquent qu’au niveau des États fédérés et de la fédération, il existe une nouvelle politique visant à vider de son contenu le système répressif construit si laborieusement. Les autorités brésiliennes se rendent devant la pression des groupes politiques intéressés à rendre impossible l’action du Groupe mobile. Voyons un peu :
1. Les opérations de contrôle ne sont plus entourées du secret
Plusieurs exemples récents montrent que fazendas et entreprises rurales ont connaissance de l’imminence du contrôle, ce qui donne toutes possibilités à leurs administrateurs et aux « gatos » (agents recruteurs) pour prendre les mesures les plus élémentaires destinées à cacher les travailleurs ou à déqualifier les infractions.
Au cours d’une opération de contrôle spectaculaire, réalisée par l’Équipe mobile au sein de la fazenda Maciel 2, dans le municipe de São Félix do Xingu (Pará), en avril 99 (à l’occasion de laquelle 186 travailleurs en régime d’esclavage avaient été libérés, ce qui à l’époque avait donné lieu à une abondante divulgation médiatique, dans tout le pays, en particulier sur le Canal Globo régional et national), le gouverneur du Pará, Almir Gabriel (qui appartient au même parti que le président Fernando Henrique Cardoso - NdT), dénonça l’interférence du gouvernement fédéral dans [son] État et protesta de manière véhémente contre le fait qu’il n’ait pas été averti préalablement de l’opération. À partir de ce moment, les opérations de contrôle commencèrent à être rendues publiques dans la presse avant même de commencer, conduisant à l’absurde situation où des fazendas avaient connaissance du contrôle avant même l’arrivée des contrôleurs (ce fut le cas par exemple dans la fazenda Salvador, municipe de São Félix do Xingu). Observons que, lors de la réunion du Forum national contre la violence en milieu rural, tenue le 30 septembre 99, la représentante de la Procuraduria générale du travail manifesta aussi sa préoccupation quant aux fuites d’informations concernant des opérations dirigées contre le travail des enfants.
Nous savons que, après l’opération réalisée dans la fazenda Maciel 2, les responsables de l’Équipe mobile reçurent la consigne et sont de fait tenus d’informer le chef de la DRT des opérations qui vont être menées. Une confirmation de cette orientation est l’obligation faite désormais aux coordinateurs de l’inspection de ne requérir des véhicules pour leurs missions qu’auprès de la DRT de l’État où doit se dérouler le contrôle, ce qui exclut par conséquent tout secret et même toute priorité possible dans la programmation. Au début du contrôle mobile, il était possible de requérir un véhicule de n’importe quelle DRT du pays. En dernier lieu est apparue la possibilité pour le chef de la DRT d’imposer tel ou tel fonctionnaire de son choix pour être inclus dans l’Équipe mobile, mettant fin au critère du volontariat qui existait jusqu’alors.
À la suite de tout cela les équipes de contrôle sont beaucoup plus lentes à se mettre en action : difficulté à organiser l’équipe, parfois simplement à trouver des véhicules disponibles. Nous avons le cas récent de fugitifs qu’on a dû garder cachés pendant 15 jours avant que n’apparaisse l’Équipe mobile : dans ces conditions, il était quasi impossible de préserver le secret et l’on mettait en danger aussi bien leur propre vie que celle de ceux qui les cachaient.
Or, sans la rapidité, le secret et la surprise les opérations de l’Équipe mobile perdent toute leur spécificité et efficacité.
2. La politique actuelle garantit l’impunité et incite à la récidive
En plus d’être ainsi travesti, le bon travail de l’Équipe mobile continue à être tenu en échec par suite de l’impunité de fait des infractions commises et des crimes perpétrés. La récidive systématique dans beaucoup de fazendas traduit l’échec du système répressif et aussi le peu de bonne volonté démontrée pour résoudre cette question. Ce n’est pas la première fois que la CPT alerte les autorités et l’opinion publique sur l’absence d’efficacité, par conséquent l’absence de quelque effet dissuasif que ce soit, des sanctions appliquées pour les crimes de pratique du travail esclave aussi bien que pour les infractions au Code du travail constatées, particulièrement dans le sud du Pará. La valeur des amendes à payer, quand elles sont payées, continue à être insignifiante, surtout si l’on considère la puissance économique des latifundias impliqués. Et il est toujours plus avantageux de continuer à exploiter la main-d’œuvre esclave, quitte à payer l’amende de rigueur de temps à autre (si on la paie). En tant que sanction, l’expropriation de la terre se révèle inefficace puisque, en s’obligeant à indemniser le domaine exproprié, l’État offre en fait - c’est le moins qu’on puisse dire - une prime à son propriétaire. L’indemnité offerte par l’INCRA compense largement la perte de la terre. Le cas de la fazenda Flor da Mata (Fleur de la Forêt), dans le municipe de São Félix do Xingu, demeure comme la caricature du scandale et montre à l’évidence qu’en pareil cas c’est l’expropriation sans indemnité qui s’impose.
L’inefficacité des procès
Les procès criminels pour asservissement de main-d’œuvre ne parviennent qu’exceptionnellement à une condamnation effective que ce soit par la justice fédérale ou par la justice commune. Ils sont si lents que presque tous sont clos par prescription et mis aux archives. Pour la première fois, en 1998, on a vu 2 fazendeiros condamnés ; mais ils obtinrent le bénéfice du sursis et la peine effectivement appliquée se limita en fin de compte à l’obligation d’une simple donation de vivres. Depuis, c’est-à-dire depuis 3 ans, le siège du bureau du Procureur de la république de Marabá, capitale du sud Pará, se trouve sans titulaire, ce qui bien sûr rend impossible tout accompagnement sérieux des procès criminels en cours (à l’inverse de ce qu’on observait entre 95 et 97).
L’inefficacité du système et de la pratique des sanctions est prouvée par le taux de récidive : en dépit des contrôles effectués en 1996, 1997 et 1998, en dépit des amendes imposées à cette occasion et même des actions pénales engagées contre plusieurs de leurs administrateurs et / ou propriétaires, les fazendas Primavera (Curionópolis-PA), Boca Quente (Bannach-PA), Forquilha (Santa Maria das Barreiras-PA) et Estrela de Maceió (Santana do Araguaia-PA) ont été de nouveau contrôlées quelques mois plus tard, et de nouveau on a constaté la présence de travailleurs en régime d’esclavage. Un autre exemple : en avril 99, dans le municipe de São Félix do Xingu, 186 travailleurs esclaves ont été libérés de la fazenda Maciel 2 par l’Équipe mobile. Or cette fazenda est presque voisine de la fazenda Flor da Mata où un contrôle réalisé en 1997 avait attesté la pratique de l’esclavage et dont le propriétaire fut poursuivi au pénal (sa fazenda fut expropriée - cas abondamment cité à l’époque dans la presse, et l’indemnité abusive payée par l’État est encore sous investigation). Le cas de la fazenda Maciel 2 eut également une grande répercussion médiatique (TV, radio, presse nationale et régionale). Pourtant, en septembre 99, c’est-à-dire cinq mois plus tard, la fazenda São Salvador, de la même commune, était surprise par l’Équipe mobile en flagrant délit de pratique du travail esclave.
Où donc est l’effet dissuasif de la peine ? où donc est l’exemplarité de la punition ?
Une marche en arrière
Devant cette situation alarmante, la Commission pastorale de la terre, dont la lutte incessante contre le travail esclave est connue et reconnue au plan national et international, estime nécessaire d’alerter les autorités et l’opinion publique : le gouvernement fédéral du Brésil est en train de revenir en arrière dans le combat contre le travail esclave, principalement si l’on considère les entraves progressives mises à l’action de l’Équipe mobile de contrôle.
Est-ce que le Brésil va entrer dans le troisième millénaire avec à la figure cette tâche honteuse : celle d’être l’unique pays d’Amérique latine où l’on trouve encore et tolère l’ignominieuse pratique de l’esclavage ?
Xinguara, 10.11.1999
Comissão Pastoral da Terra de Xinguara,Tucumã, Marabá, Araguaína e São Félix do Araguaia
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2355.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : CPT de Xinguara, Tucumã, Marabá, Araguaína et São Félix do Araguaia, novembre 1999.
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