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DIAL 2382

BRÉSIL - Une interview de Dom Pedro Casaldáliga.

Les caractéristiques de l’Église latino-américaine. Les réformes nécessaires. L’Europe invitée à la sobriété et à l’espérance

jeudi 1er juin 2000, mis en ligne par Dial

Dom Pedro Casaldáliga, évêque de São Felix do Araguaia (Mato Grosso, Brésil), bien connu pour ses déclarations souvent prophétiques et ses écrits poétiques, a bien voulu accorder à DIAL une interview au cours d’un voyage en El Salvador à l’occasion du XXème anniversaire de la mort de Mgr Oscar Romero en mars 2000. Il y aborde avec sa liberté habituelle d’esprit, son humour et sa sensibilité, quelques questions clés de l’Église latino-américaine et interpelle amicalement les Églises d’Europe, notamment de France.


Quelles sont pour vous, Don Pedro, les caractéristiques qui font de l’Église qui vit en Amérique latine une Église réellement latino-américaine ?

Essentiellement, je dirais, l’option explicite pour les pauvres. Certes, c’est une caractéristique de l’Évangile, de l’ Église universelle - il devrait en être ainsi - mais en Amérique latine, cela apparaît d’une manière structurelle, comme étant un point essentiel de l’Église. À tel point que quand on parle de l’Église latino-américaine, en tant qu’Église quelque peu différente, la première chose dont on se souvienne, c’est l’option pour les pauvres, non seulement dans le sens d’une option pour les pauvres en tant que personnes individuelles, mais aussi d’une option pour les processus de libération des pauvres.

En second lieu, il y a cette compénétration entre la foi et la vie, l’expérience de la foi et l’engagement militant, social, politique..., la Bible et la culture.

De plus en plus aussi, il y a l’inculturation elle-même dans la liturgie. C’est un peu plus récent, mais déjà assez florissant.

Il y a aussi la Bible dans les mains du peuple, c’est-à-dire un comportement qui consiste à faire de la Bible l’éclairage permanent. C’est le peuple maniant la Bible, « brandissant » la Bible, interprétant la Bible.

Et... évidemment, l’une des caractéristiques qui engloberait un peu le tout, c’est une certaine « vie communautaire ». Déjà beaucoup d’évêques, bon gré mal gré, et une grande partie du clergé, nous sommes conscients que le peuple exige de nous cette « vie communautaire ». Et le peuple prend sa liberté, réclame, revendique, prend la parole, intervient, conteste les privilèges... Parfois même, dans une file d’attente pour manger, si un évêque passe devant, ils contestent... On n’accepte pas la distance, on n’accepte pas le privilège.

Ce sont les principales caractéristiques.

Et croyez-vous qu’une Église construite à partir des pauvres puisse être une Église non minoritaire ?

Bien sûr, quand nous parlons des pauvres structurellement considérés, nous devons penser aussi au leadership. Rien ne fonctionne s’il n’y a pas, comme on dit, un « moteur de démarrage ». Le leadership est indispensable. Pas l’avant-garde qui s’attribue la lumière, la sagesse et l’avenir, mais bien un leadership qui soit au service.

C’est pourquoi les agents de pastorale, ceux et celles qui animent les communautés, sont une autre caractéristique de l’Amérique latine. Ils sont les délégués de la Parole, ailleurs on les appelle catéchistes, animateurs et animatrices, les « battants » comme on les appelle dans ma région... C’est ce type de leadership populaire, c’est-à-dire au service du peuple, qui motive, qui accompagne, même dans les moments de désarroi, et qui aide un peu à lutter, à prendre un rythme et une direction sûre.

Pour aller dans cette direction, quelles sont les principales réformes à faire dans l’Église ?

Il faudrait évidemment une grande réforme du ministère à partir du ministère de Pierre : la Papauté elle-même et la fonction de la Curie romaine dans la Papauté. Parce que de nombreux problèmes que nous avons avec Rome ne sont pas tant des problèmes avec le Pape mais des problèmes avec la Curie. La Curie s’absolutise et se permet parfois d’être autonome. Voici le cas le plus récent que l’on m’a raconté : le Chiapas, San Cristóbal de las Casas. Quand Monseigneur Vera s’est entretenu avec le Pape, celui-ci lui a dit qu’il ne savait pas... Une affaire aussi délicate sur le plan diplomatique a été réglée sans que le Pape en ait connaissance. Par ailleurs, les ministères des clercs devraient être beaucoup plus partagés. Je continue à penser et à croire au double sacerdoce : célibataire et marié. Pour le bien du célibat et pour le bien du ministère.

Et plus évident encore, l’ Église doit une fois pour toutes résoudre l’« impasse » dans laquelle elle se trouve au sujet des droits de la femme. Sortir des documents, interdire d’en parler ne résoud rien... La vie moderne elle-même, dans laquelle les femmes sont extrêmement actives et partenaires dans de nombreux domaines, l’impose, l’exige.

Cela entraînerait la diversification et la multiplicité des ministères. Nous sacraliserions aussi un peu moins certains aspects : pourquoi chaque chrétien ne peut-il pas donner les bénédictions ? Pourquoi les sacrements sont-ils réservés au clergé ?

Au fond, il y a une volonté de restreindre le pouvoir d’autrui, et nous empêchons ainsi la participation spontanée.

Dans notre Amérique latine, nous avons par exemple les vencedoras, ces femmes qui bénissent, et le peuple croit en elles.

Il suffirait souvent que l’Église officialise certains services de confiance dans le peuple, de foi populaire, qu’on les reconnaisse même si personne n’en fait la demande. Ce serait beaucoup plus humain et le peuple se sentirait partenaire, les distances diminueraient et il y aurait une meilleure connexion entre l’officiel et le populaire. Tu comprends ? ce serait la base...

Pour conclure : en Europe nous sommes membres d’une Église qui vit dans un pays riche... alors pourriez-vous nous dire quel est votre message pour les Français, les Européens ?

L’expression que j’utiliserais, c’est « une sobriété vécue dans la communion ». Face au néolibéralisme et à une postmodernité plutôt narcissique, face au bien-être personnel vécu dans l’instant et dans l’instinct, qu’ils forment réellement une Église vivant dans la sobriété - toute l’Église, depuis le Pape jusqu’au dernier chrétien et à la dernière chrétienne qui vivent dans le premier monde.

Mais une sobriété qui en même temps « co-participe », répartit, partage, et là, la solidarité serait ou devrait être une vertu fondamentale. Pas seulement une solidarité d’urgence, quand il y a un cyclone ou un tremblement de terre, mais une solidarité continue, structurelle pourrait-on dire.

Il faut d’une part contester les lois et les mesures politiques injustes prises par le premier monde et qui ont des répercussions sur le tiers-monde, et d’autre part soutenir les initiatives du tiers-monde qui cherchent à transformer le système.

Maintenant bien sûr, je pense que le premier monde doit aussi cultiver l’espérance ; parce que de temps en temps arrivent des communiqués ou des demandes qui sont un peu du style jérémiade, comme si Dieu n’était pas dans le premier monde, comme si le Christ n’était pas ressuscité aussi pour l’humanité du premier monde, comme si l’Europe n’avait pas une belle histoire faite de risques, de sagesse, de vie missionnaire...

Je crois qu’on peut reconnaître qu’il y a du mal, de la trahison, de la frustration... mais il ne faut pas rendre les armes... les armes du Royaume, bien sûr. Ne pas rendre l’étendard, non. Parce que je crois qu’on s’y prend très mal, surtout avec la jeunesse. La jeunesse a de l’enthousiasme. Par définition, la jeunesse se mobilise par enthousiasme.

Et je voudrais aussi rappeler ceci : dans la prélature, en préparant le Jubilé, l’année passée, nous avons eu des missions populaires, données d’une communauté à une autre communauté. Et quand il a fallu choisir une devise dans une assemblée diocésaine, je crois que le Saint-Esprit est vraiment descendu et la devise choisie a été : « Vivre et annoncer l’Évangile avec joie et passion ».

Si le peuple demande de la joie et de la passion, cela veut dire que ce qui mobilise tout le monde ce ne sont pas des idées froides, mais la passion. Je le crois, et encore beaucoup plus aujourd’hui. On peut même dire : aujourd’hui, l’image est la loi de la vie, et le peuple veut voir des images qui vibrent, qui convoquent, qui enthousiasment, surtout la jeunesse.

Et donc je demande aux chers Français et Françaises d’avoir la passion de Jeanne d’Arc [rires...], pas seulement pour le royaume de France [rires...] mais pour le royaume de Dieu en général.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2382.
 Traduction Dial.
 Source (portugais) : Dial, mars 2000.
 
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