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DIAL 2411

EL SALVADOR - Les retrouvailles, « c’est comme après un accouchement ». Magaly, enfant disparue pendant la guerre, retrouve sa famille biologique. Sa mère adoptive témoigne.

lundi 16 octobre 2000, par Dial

Pendant la guerre civile qui a sévi en El Salvador de 1980 à 1992 et qui a fait quelque 80 000 morts, plusieurs centaines d’enfants ont disparu. En avril 2000, l’association Pro-Búsqueda avait enregistré 545 cas d’enfants disparus. Sur ce total, 170 jeunes avaient été localisés, et sur les 70 résidant à l’étranger, 37 avaient eu un contact avec leur famille d’origine par lettre ou téléphone. En 1999, l’association prit connaissance de 43 nouveaux cas d’enfants disparus, ce qui montre qu’il y a des familles ou des personnes qui n’ont toujours pas fait connaître la disparition de leur enfant. Quant à la responsabilité des faits, elle se répartit de la façon suivante : 313 cas sont attribués aux Forces armées salvadoriennes et aux paramilitaires, 6 aux Forces armées du Honduras et 24 au mouvement de guérilla le Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN), aujourd’hui transformé en parti politique. On pourra lire ci-dessous le récit de la rencontre d’une enfant disparue, adoptée par une famille belge, avec sa famille biologique salvadorienne. Ce témoignage émouvant est paru dans le bulletin d’information de l’association Pro-Búsqueda : En Búsqueda. - Identidad, Justicia, Memoria, octobre 1999, San Salvador.


« Ma fille, il y a à peu près 16 ans, une tragédie nous a frappés, due à une guerre civile dans mon pays, El Salvador. Quand c’est arrivé, tu avais onze mois... ta mère et moi nous prenions grand soin de toi, depuis ce jour, le 6 novembre 1981, nous avons souffert de cette tragédie... c’était à l’aube et la maison où nous étions a été entourée par l’armée et ils criaient : sortez, les femmes, vous êtes les femmes de ces guérilleros. J’ai vu mon épouse te sortir d’un hamac et sortir sans rien me dire. Une autre femme a aussi pris ses enfants. Alfredo et moi, nous sommes restés dans la maison, je me souviens que cinq minutes à peu près sont passées : avec Alfredo, nous disions que notre dernière heure était arrivée, jamais je n’aurais cru que j’allais sortir de là vivant. Je suis sorti, j’ai vu ma femme pour la dernière fois... tout était très difficile, j’ai entendu beaucoup de coups de feu sur moi, j’ai couru, je suis tombé à terre, je me suis relevé, j’ai rencontré un autre groupe de soldats qui m’ont blessé au nez... » (Fragment d’une lettre du père à sa fille Magaly )

Adopter une petite fille est une mission très importante. On nous la donne pour l’aimer, l’éduquer et lui donner toute une richesse affective, intellectuelle et culturelle.

Je me suis engagée à tout cela quand, il y a 18 ans, j’ai pris la décision d’adopter, comme mère célibataire, une petite fille.

Trois dates ne pourront jamais s’effacer de ma mémoire : le 28 novembre 1981, le 3 juin 1998 et le 27 juin 1999. La première a marqué le début d’une nouvelle vie avec ma fille adoptive, Magaly, qui apparemment avait perdu sa famille. La deuxième, 17 ans après l’adoption, nous a marquées émotionnellement par l’annonce de la découverte de la famille biologique de ma fille à l’autre bout de la planète. Ce 3 juin 1998, par un appel téléphonique, Pro-Búsqueda nous apprenait que la famille de Magaly était vivante et cherchait à prendre contact avec elle. La troisième, la plus émouvante et la plus vivante, fut la rencontre de deux familles, une salvadorienne et une belge.

Comment tout cela a-t-il été possible ? Il y avait 17 ans que j’avais adopté Magaly légalement, des photos d’elle furent publiées dans un journal salvadorien pour nous assurer qu’elle n’avait plus de famille et qu’elle était abandonnée. Ses parents semblaient avoir été assassinés pendant des opérations militaires dans une zone de conflit.

Pro-Búsqueda, dont nous ne savions rien, nous a demandé si nous acceptions d’entrer en contact avec la famille biologique de ma fille et faire un test sanguin (ADN). Des questions et des doutes nous sont venues à l’esprit. Quelles étaient les véritables intentions de chacun ? Les retrouvailles présentaient-elles un risque éventuel pour ma fille ? Pourquoi tant d’années après ?

À partir de ce moment, ont commencé la préparation, la discussion et la réflexion. Magaly devait mettre de l’ordre dans ses idées et ses sentiments pour mettre, au fond d’elle, la paix et la sérénité.

Depuis son enfance, ma fille a toujours su qu’elle avait été adoptée et que ses parents avaient été assassinés. Transparence et vérité sont en effet indispensables. À aucun moment je n’ai pensé avoir le droit de lui cacher la vérité.

La communication (par lettre) commença avec la famille par l’intermédiaire de Pro-Búsqueda. À mesure que nous avancions, nous sentions que des liens invisibles mais réels se créaient, s’approfondissaient tout au long de l’année 1998. À Noël (1998), ma fille prit l’initiative d’appeler au téléphone son père, pour la première fois. Je crois que pour tous les deux, cette nuit restera gravée pour toujours dans leurs esprits et dans leurs coeurs.

À mesure que la rencontre se rapprochait, une certaine nervosité est apparue, surtout chez ma fille. Son père qui vit maintenant aux États-Unis allait se rendre en El Salvador pour les retrouvailles familiales. Comment va-t-il réagir ? se demandait Magaly. « Laisse parler ton cœur, il te dira ce qu’il faut faire. Laisse-toi porter par les événements, pas par les raisonnements, vis simplement ces moments de la meilleure façon possible », furent les seuls conseils que je lui donnai.

Elle l’a fait. Le trou noir qui était au début de sa vie a disparu. Maintenant, elle en sait suffisamment pour être en paix avec elle-même. Elle sait d’où elle vient et qui elle est. Elle connaît son pays, où elle se sent bien, comme si elle était chez elle. Mais elle se sent bien aussi chez elle, en Belgique. Dix-sept années ont passé dans un autre pays, dans un autre continent, avec une autre culture, une autre famille, et cela ne peut pas s’effacer d’un seul trait. Il n’y a aucune honte à le reconnaître. Magaly est simplement plus riche maintenant puisqu’elle possède deux cultures, deux familles. Elle s’est enfin trouvée et a posé la dernière pièce du puzzle qui manquait dans sa vie. Les liens qui se sont tissés avec sa famille vont se maintenir et certainement s’intensifier.

De mon côté, je n’ai jamais eu peur de rencontrer la famille biologique, mon but était que ma fille vive le mieux possible ces retrouvailles. Les familles adoptives ne doivent pas avoir peur de la rencontre avec les familles biologiques, qui ont les mêmes préoccupations que nous : leur enfant.

Maintenant que la rencontre a eu lieu, nous nous sentons plus forts, moralement plus riches, et aussi sur le plan humain et culturel. Nous avons découvert une famille humble, mais très accueillante et heureuse de prendre leur fille dans ses bras.

Avec la rencontre, nous avons pu connaître El Salvador, connaître le village natal de Magaly, voir les endroits fréquentés par sa famille, écouter les histoires familiales. Toutes ces petites choses qui construisent toute une vie.

Cela paraît trop beau sans doute pour être vrai. Tellement que je me sens réellement, c’est certain, comme après un accouchement, comme une mère qui oublie toute sa souffrance quand elle tient son bébé dans ses bras.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2411.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : bulletin d’information de l’association Pro-Búsqueda : En Búsqueda. - Identidad, Justicia, Memoria, octobre 1999.
 
En cas de reproduction, mentionner au moins les auteurs, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
 
 

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