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DIAL 2431
COLOMBIE - Des paysans reviennent sur leurs terres après un long exil
Yadira Ferrer
samedi 16 décembre 2000, mis en ligne par
Les bonnes nouvelles en provenance de Colombie sont trop rares pour qu’on ne les mentionne pas. Alors que l’on estime à quelque deux millions le nombre des personnes déplacées, il faut mentionner que certaines parviennent à se réinstaller sur les terres dont elles avaient été chassées par la guérilla ou les paramilitaires. Tel est le cas des paysans noirs de la région du Chocó, située au sud de la frontière avec le Panama, qui, après un exil de trois ans passé dans des conditions très difficiles, commencent à se réinstaller sur leurs terres après un long temps de négociations avec le gouvernement, menées avec l’aide de la Commission Justice et paix. Article de Yadira Ferrer, IPS, octobre 2000.
Quelque 400 familles déplacées en raison de la violence qui règne dans le département de Chocó, à l’ouest de la Colombie, commencent à retourner chez elles après trois ans d’un exode qui les a menées jusqu’au Panama.
Le premier groupe à revenir fut constitué de 80 personnes qui arrivèrent à l’aéroport d’Apartadó, principale ville de la région bananière, pour gagner ensuite les nouveaux villages « Nueva Vida » (Vie nouvelle) et « Esperanza de Dios » (Espérance de Dieu). Ce nom a été donné au premier village « parce que nous allons commencer à revivre après trois années d’exil et le second parce que nous sommes tous croyants », a commenté un des leaders du groupe qui a rendu possible le retour et a demandé de rester incognito pour des raisons de sécurité.
Le retour des paysans, répartis en 23 communautés, dans une région de 103 000 hectares que le gouvernement leur a assignée comme propriété collective, se fera par étapes. (...)
Un autre groupe a déjà fait une première exploration de la région à la fin de l’année dernière, au cours de laquelle ils récoltèrent des semences, reconstruisirent des chemins, nettoyèrent les rivières et commencèrent à amasser du bois pour construire les habitations.
L’opération retour a été rendue possible par un engagement de la communauté paysanne qu’on a appelé « Déclaration de los Abrazos » [1], et par la promesse du gouvernement de garantir aux paysans la sécurité pour leur vie et de faire des investissements sociaux dans la région.
Le drame des communautés de la région de Cacarica, du département de Chocó, dans le lieu appelé Tapón del Darién, région de jungle limitrophe avec le Panama, commença le 28 janvier 1997 avec l’arrivée de groupes paramilitaires de droite.
Les forces des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC) réunirent les paysans dans l’école et leur donnèrent trois jours pour abandonner leurs parcelles.
Le jour même, beaucoup d’habitants terrorisés s’enfuirent du village, avec comme seuls vêtements ce qu’ils avaient sur eux, pour échapper au feu croisé des paramilitaires et de l’armée qui essayait de reprendre le contrôle de la région.
Près de 1 200 paysans utilisèrent des canoës et des radeaux confectionnés avec des troncs d’arbres pour arriver jusqu’à Turbo, port exportateur de bananes des Caraïbes, où ils furent installés dans des abris de fortune, où ils vivent encore maintenant tout en préparant leur retour.
Un autre groupe de quelque 1 300 personnes abandonna la région dans la direction opposée et passa la frontière avec le Panama, où ils furent hébergés par une communauté indigène mais ensuite ils furent rapatriés « après avoir été trompés », selon une Commission d’aide humanitaire. Cette dernière est composée du défenseur du peuple, des délégués de la Conférence épiscopale de l’Église catholique, de la Chambre des députés et de la Consultoría pour les droits de l’homme et les personnes déplacées (CODHES).
Le rapport de cette Commission indique que le gouvernement du Panama « n’a pas reconnu les causes réelles de l’émigration forcée de ces Colombiens qui arrivèrent sur son territoire pour y chercher refuge », afin de ne pas leur accorder le statut de réfugiés.
Le gouvernement de Colombie accepta la décision du Panama et installa les paysans déplacés « contre leur volonté » à Cupica, une baie désolée de l’océan Pacifique, où un an auparavant un groupe armé non identifié avait assassiné 11 personnes, a dit à IPS le directeur de CODHES, Jorge Rojas.
Bogotá leur avait offert comme autres possibilités, en plus de Cupica, de s’établir dans des localités au nord-ouest de Ungüia, où s’était produit également un déplacement forcé de paysans, et à Carepa, que se disputaient les paramilitaires et les guérilleros de gauche.
L’année même du déplacement, des organisations non gouvernementales, comme l’organisation catholique Justice et paix, prirent avec ces paysans déplacés les contacts au cours desquels naquit l’idée de s’organiser et d’obtenir l’engagement du gouvernement pour que leur retour dans le département du Chocó soit possible.
C’est dans ce contexte qu’on décida à la fin de 1999 d’envoyer un premier groupe pour étudier les conditions d’un retour que les paysans considèrent comme « l’unique option digne ».
« Revenir est risqué, mais c’est la possibilité de récupérer notre identité et notre façon de vivre, en travaillant dans nos parcelles, en cultivant la terre et en soignant les animaux qui nous donnent de quoi vivre », a déclaré Amelia Castro, une paysanne dont le troisième enfant est né dans le camp de réfugiés de Turbo.
Pour le retour des 23 communautés du bassin du Cacarica, on signa la « Déclaration de los Abrazos » qui résume les normes de convivialité dont les bases sont « la vérité, la liberté, la justice, la solidarité et la fraternité ».
Une autre règle fixée dans la déclaration est de n’adhérer ni à la guérilla ni aux groupes paramilitaires et de ne pas collaborer avec l’armée.
Le gouvernement a accepté pour sa part la création d’une Maison de justice, avec la présence d’un juge, d’un procureur et d’un défenseur du peuple.
María Bermejo, du bureau local du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés, a affirmé que le processus de retour des communautés de Cacarica « est un exemple historique d’organisation et de défense de leurs droits ».
Selon le rapport de la CODHES, le nombre de personnes déplacées à cause de la guerre civile en Colombie atteint quelque deux millions entre 1985 et 2000, ce qui représente 4 % de la population du pays, dont 75 % sont des femmes et des enfants.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 2431.
– Traduction Dial.
– Source (espagnol) : IPS, octobre 2000.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’autrice, la source française (Dial - http://www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Abrazo : étreinte, accolade