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FILM - CHILI - Las niñas Quispe (Les sœurs Quispe), de Sebastián Sepúlveda (2013)

Françoise Couëdel

lundi 4 août 2014, par Françoise Couëdel

 Chili, France, Argentine.
 Durée : 1h20.
 Sortie en salles (France) : juin 2014.
 Avec Francisca Gavilán, Catalina Saavedra, Digna Quispe, Alfredo Castro.

À plus de trois mille mètres d’altitude, dans le paysage désolé de l’altiplano chilien, où les seules ombres sont celles que projettent d’énormes blocs de rochers, vivent les sœurs Quispe, Justa, Lucia et Luciana, avec leur troupeau de chèvres. Elles tissent leur laine, pour en faire de lourdes couvertures, fabriquent des fromages et, avec la viande de leurs bêtes, séchée au soleil, le charki, qu’elles échangeront à un marchand ambulant de passage, contre quelques colifichets. Leur vie est rude, elles s’abritent dans des anfractuosités de rochers, fermées par des branchages, qui ne les protègent guère du froid.

Rien ne semble altérer ce mode de vie ancestral. Ces femmes aux visages burinés par les intempéries, bonnets enfoncés sur les oreilles, vivent dans l’ignorance de ce qui se passe dans le reste du pays. Le Chili vit alors sous le régime de fer du général Pinochet. Un homme, sorti de nulle part, apparaît un jour, épuisé, sous le regard consterné des trois femmes, et leur demande l’hospitalité : il veut passer la frontière vers l’Argentine dont elles ignorent même l’existence, pour échapper à la répression. Il leur rapporte quelques échos de ce monde, si éloigné de leur quotidien, mais surtout une nouvelle qui va déterminer la fin de leur vie. Augusto Pinochet vient de faire adopter la loi anti-érosion, destinée, prétend-il, à préserver les sols qu’érodent les troupeaux et veut faire abattre les bêtes. Cela cache évidemment la volonté d’éradiquer le mode de vie des populations indiennes. Les sœurs comprennent qu’elles sont condamnées et préfèrent mettre fin à leur existence.

Le scénario est basé sur un fait divers, qui, en 1974, a défrayé la chronique, le suicide de ces trois sœurs, condamnées par un régime autoritaire qui affichait un profond mépris des Indiens.

La beauté austère de ce film nous fait pénétrer dans cette vie éloignée du monde, dans des paysages grandioses, que la photographie sublime par des plans larges, ouverts sur le ciel et des espaces infinis, qui contrastent avec les plans serrés sur les visages, comme pour mieux signifier la solitude de ces femmes dans cette immensité. Le film a saisi la force, la ténacité de ces bergères, mutiques, aux gestes répétitifs, entièrement consacrés au soin de leurs bêtes qu’il faut déplacer tous les jours car les pâturages de « coirones » ou « paja brava » sont peu abondants et poussent lentement.

Pour son premier long métrage de fiction, Sebastián Sepúlveda, afin de mieux appréhender l’histoire des sœurs Quispe, est allé vivre avec l’une des dernières familles de la communauté des indiens coya de l’altiplano. Il y a rencontré la nièce des sœurs Quispe qui incarne Justa dans le film. « Lorsque j’ai entrepris le casting du film, à la recherche de l’incarnation possible d’une des sœurs Quispe, dit-il, je me suis rendu compte que les exilés indiens avaient suivi un processus de perte de leur imaginaire. Ils sont ainsi devenus le nouveau prolétariat de la ville, perdant la richesse de leurs traditions ». Une de ces« exilées » lui a confessé que, là-haut, elle pouvait se considérer propriétaire de toutes les montagnes autour d’elle alors qu’en ville elle devait se contenter d’un espace de trois mètres sur trois.

Justa Quispe joue donc le rôle de sa tante. Sous les traits des deux autres sœurs, les actrices Catalina Saavedra, remarquée dans son interprétation de la bonne, dans La nana de Sebastián Silva et Francisca Gavilán, actrice de théâtre, qui s’est distinguée en interprétant Violeta Parra dans le film Violeta se fue a los cielos d’Andrés Wood. Toutes deux ont dû s’adapter aux conditions du tournage.

Le film a obtenu au Festival de Venise 2013, le prix de la meilleure image, signée Inti Briones. Dans un entretien, Sebastián Sepúlveda justifie son choix : « J’ai tout de suite pensé au chef opérateur Inti Briones parce qu’il a vécu toute son enfance dans l’altiplano. Ainsi, je considérais qu’il allait très bien penser cette lumière qui est celle de son enfance. La lumière de l’enfance est parfois celle que l’on recherche toute sa vie. Je cherchais à retrouver la sensibilité de la lumière de cet endroit. Je lui ai expliqué que je souhaitais travailler en lumière directe et naturelle à des heures précises ».

Pour rendre aussi l’authenticité de ce mode de vie il a tenu à engager une équipe réduite, pas encore déformée par la routine professionnelle, et a fait le choix de ne pas intégrer de musique dans la bande son. « C’est une histoire trop importante pour notre identité. L’essentiel, dont la dernière scène, a été reconstitué sur les lieux mêmes du drame ». Une scène qui revêt un aspect sacrificiel, un geste ultime, par lequel les trois sœurs prétendent rejoindre leur sœur aînée, leur guide spirituelle, morte quelque temps plus tôt, et avec elles la dépouille symbolique d’une de leurs bêtes.

Le film a été diffusé au Chili le 11 septembre 2013, date anniversaire du coup d’État d’Augusto Pinochet. À cette occasion, Sebastián Sepúlveda a déclaré, parlant de son film : « Peut-être qu’à sa petite échelle, il favorisera une certaine réflexion. Mais je reste assez pessimiste. »

Pour lui, l’intention du film est claire : « J’ai voulu raconter ce choc frontal de deux cultures, l’une ancestrale, l’autre néolibérale, qui existe un peu partout en Amérique latine »

Sebastián Sepúlveda a grandi dans une famille de militants du MIR et a vécu 18 ans en exil, dans sept pays différents, entre l’Europe et le Venezuela, jusqu’à son retour au Chili, en 1990. Depuis lors, il partage sa vie entre la France et son pays d’origine. Après des études de montage, à Cuba, à l’école de San Antonio de los Baños et d’écriture de scénario, à la Fémis, à Paris, en 2008, il a réalisé au Brésil un documentaire, El Arenal, sur la vie d’un quilombo, une communauté de descendants de noirs marrons, cimarrones, sur leurs croyances et leurs mythes.

Les sœurs Quispe, son premier long métrage a été récompensé par le Prix du Public au XVe festival Filmar en América latina, en Suisse.

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