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DIAL 2872

COLOMBIE - Naissance d’une Communauté paysanne de paix

Constanza Vieira

samedi 1er avril 2006, mis en ligne par Dial

Les communautés de paix sont composées de personnes ayant effectué un retour collectif à la terre pour y vivre dans la paix, sans prendre parti pour aucun des groupes armés en conflit (guérilla, armée officielle, paramilitaires), ni leur apporter quelque aide que ce soit. Les acteurs armés, après négociations avec eux, prennent l’engagement de ne pas intervenir dans la vie de ces communautés. Les communautés de paix, qui vivent de façon autonome, regroupent aujourd’hui plus de 5 000 personnes. Les trois grands ensembles de communautés de paix sont celles de San Francisco d’Asis, Natividad de Maria et Nuestra Señora del Carmen. Selon l’information que nous publions ici, (article de Constanza Vieira, paru dans IPS, mars 2006) un quatrième groupe vient de naître, sous le nom de Civipaz.


Avec un mélange de peur, joie, tristesse et désirs fous de travailler la terre, ils sont revenus dans la gueule du loup. Ce sont des paysans colombiens déplacés après d’horribles massacres qui, ce mois et à contre courant de la guerre, ont créé une nouvelle Communauté de paix dans ce pays.

Les membres de la Communauté civile Vie et Paix, Civipaz, veulent récupérer leurs propriétés fertiles où ils plantaient du café, cacao, maïs et haricot, dans la partie supérieure de la rivière Ariari, dans le centre du pays, aujourd’hui sous le contrôle des paramilitaires d’extrême-droite.

Sur un terrain de huit hectares, achetés avec de l’argent de citoyens espagnols qui ont organisé une collecte spontanée, Civipaz est né, à 500 mètres du hameau de Puerto Esperanza, le 18 mars. Depuis quatre mois ils viennent ici en groupe préparer le terrain pour l’ensemencement et pour l’hébergement de chaque famille.

C’est le quatrième groupe paysan en Colombie qui déclare qu’aucun protagoniste armé de la guerre n’est bienvenu sur son territoire.
A partir d’août 2004, après avoir été l’objet de beaucoup d’actions criminelles, ils sont protégés par une mesure préventive de la Commission interaméricaine de droits humains de l’Organisation des Etats américains. Depuis lors, tout voyage à Puerto Esperanza fait l’objet d’une information officielle à la vice-présidence, la chancellerie, le ministère de l’intérieur et de la justice, le Bureau du Procureur, le Défenseur du peuple et le ministère public (Fiscalía) général.

Esperanza (Espoir) est le nom du hameau mais aussi ce qui exprime le mieux le courage de ces paysans.

Ils sont 17 familles, avec 39 enfants. En avril arriveront 10 familles supplémentaires. Beaucoup ont vécu durant les dernières années à Villa Nora, un quartier de baraques improvisées, en matière plastique, avec le sol en terre et sans assainissement, accrochées à un ravin dans les alentours de Villavicencio, capitale de Meta, au sud de Bogotá.

Ce groupe fait partie des quelque 700 familles qui à partir de janvier 2002 ont été peu à peu expulsées par la terreur paramilitaire de leurs 18 bourgades situées dans la commune El Castillo, au pied de la montagne andine, à l’est de la Cordillère orientale et au nord de la montagne de la Macarena, à quelque 65 kilomètres au sud-est de Villavicencio. Une à une, 129 familles sont déjà revenues dans ce hameau-ci et les autres de la région chaude du Haut Ariari, généreuse en eau, dans laquelle la compagnie états-unienne Occidental Petroleum a mené entre avril et décembre une première étape dans la recherche de brut.

Il y a deux ans ils ont commencé à caresser l’idée du retour. Jusqu’à ce que, le samedi 18 mars, ils aient pris trois bus pour revenir à leur foyer dans cette « zone rouge », comme l’appellent des militaires et paramilitaires pour indiquer qu’ici tous, hommes, femmes et enfants, sont soupçonnés de collaborer avec la guérilla. C’est un des berceaux des Forces armées révolutionnaires de la Colombie (FARC), guérilla paysanne de gauche apparue en 1964 à partir des cendres encore chaudes laissées par la guerre commencée vers le milieu des années 40 et qui s’est officiellement terminée en 1957. Selon la Conférence épiscopale de Colombie, entre 1995 et 2005, environ trois millions de Colombiens ont dû s’enfuir de leurs maisons, en abandonnant 4,8 millions d’hectares. Seuls le Soudan et la République démocratique du Congo dépassent, quant à population déplacée intérieurement, le pays andin qui a 44 millions d’habitants.

Pour arriver à Puerto Esperanza il faut passer par Medellín del Ariari qui est sous contrôle paramilitaire.

De l’armée personne ne veut savoir rien ici

Aucun paysan, homme, femme ou enfant, avec lesquels IPS a dialogué, ne craint d’affirmer que le Batallón 21 Vargas de l’armée colombienne a agi ici en connivence avec le Bloc Centauros des Autodéfenses unies de Colombie (AUC), qui regroupe des paramilitaires maintenant formellement démobilisés après une négociation tumultueuse avec le gouvernement d’Álvaro Uribe. Une fois le Bloc Centauros démobilisé, ces forces se font maintenant appeler Auto défenses du Llano, bien que dans la majorité des cas ils ne portent aucun nom.

Selon un des vieux paysans fondateurs de Puerto Esperanza, « la guerre est la même, celle d’il y a 50 ans et celle d’aujourd’hui, (seulement), on a sophistiqué les armes » . Un ancien a expliqué : « Les groupes qui sont appelés aujourd’hui paramilitaires, en ce temps s’appelaient les ‘propres‘, ils poursuivaient les gaitanistas (libéraux), et le gouvernement les protégeait. » Durant les années 50, a-t-il ajouté, « les dirigeants du Parti (communiste) étaient poursuivis comme ils poursuivent aujourd’hui la mafia. Ainsi s’est produite la guerre et ils disent d’un dirigeant qui parle, d’un paysan qui parle, qu’il est communiste, parce qu’ils disent que ceux qui étudient, ceux qui discutent et ceux qui apprennent les lois, ce sont les communistes. »

Ici, dans El Castillo, des hommes et des femmes ont été écartelés vivants avec une scie, leurs morceaux dispersés et jamais restitués à leurs parents. Des femmes et hommes, leaders très appréciés de la communauté qui sont encore pleurés aujourd’hui, ont été tirés hors de leurs maisons, traînés et achevés avec des armes à feu ou à l’arme blanche dans l’obscurité de la nuit, torturés ou piégés sur les chemins par des forces irrégulières organisées par des propriétaires fonciers harcelés par la guérilla.

La propriété de la Communauté est clôturée et à l’entrée on lit : « Zone humanitaire population civile exclusivement - Civipaz - Propriété privée ». Les paramilitaires dominent tous les alentours, disent les gens. Ils ajoutent que la guérilla est beaucoup plus haut, dans la montagne.

Au cours de l’inauguration formelle de Civipaz, un chef de la communauté a rappelé à haute voix la signification des mots que l’on voit sur un autre panneau indicateur.

« Vérité : Nous avons besoin de savoir la vérité, pourquoi l’Etat a commis tant de crimes contre nous. Justice : Depuis ici, nous continuerons à exiger du gouvernement la réparation qui nous manque tant, pour nos 137 morts et disparus », a-t-il dit. Et il a ajouté : « Les victimes qui sont tombées dans ce conflit sont réparties sur tout le territoire du pays », il a ajouté.

A deux heures précises de l’après-midi on a ouvert la fermeture de la propriété, et les voyageurs, qui avaient été reçus par quelque 200 personnes venues de tous les hameaux voisins, sont entrés en applaudissant, répétant le refrain : « Le peuple uni ne sera jamais vaincu. »

Au pied d’un vieux samán [1] que l’on a décidé de nommer Arbre de la Vie, avec des pierres ils ont fait sur le sol un rond avec une croix, qu’ils ont peinte en noir, et sur chaque pierre ils ont mis les noms des communautés et organisations qui ont accompagné le retour et ceux de quelques hommes et femmes que pleure Puerto Esperanza.

Le hameau de La Macarena a donné du maïs, des semences de maïs et du manioc. Pendant qu’ils ramasseront les premières récoltes, les familles de Civipaz auront une aide humanitaire coordonnée par des missionnaires catholiques de l’ordre des clarétains et par la Commission interecclésiale Justice et Paix, de religieux et laïques qui accompagnent l’initiative.

Les maisons qui ont été construites au fur et à mesure des voyages ne diffèrent pas beaucoup, pour le moment, de celles de Villa Nora. « Mais au moins celles-ci ont un sol carrelé », a dit à IPS une femme de retour, avec un regard transparent après avoir dormi la première nuit de retour « chez soi ». (...)

Bientôt sera terminé le hangar avec un sol de sable et un toit en zinc qui servira d’école, dans la propriété de Civipaz. Pour le moment il n’y a aucun accord avec un organisme humanitaire pour s’occuper des besoins en matière de santé.

Bien qu’ils refusent d’être gardés par l’armée, les paysans souhaitent par contre la proximité des organismes étatiques de contrôle, comme la Bureau du procureur et le Défenseur du peuple, organisme qui a accompagné le retour à Puerto Esperanza.


 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2872.
 Traduction Dial.
 Source (espagnol) : IPS, mars 2006.

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[1Arbre.

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