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URUGUAY - Le calme au milieu de la tempête

Crismar Lujano

mardi 7 novembre 2017, mis en ligne par Françoise Couëdel

12 octobre 2107.

Un dicton populaire dit que quand le Brésil et l’Argentine éternuent, l’Uruguay s’enrhume. Cela pouvait s’avérer exact il y a quelques années, mais de nos jours le panorama est bien différent. Tandis que les grands de l’Amérique latine accusent les chocs récessifs que révèle la chute continue de la croissance du PIB et la destruction massive d’emplois, dues – pour une bonne part – aux politiques néolibérales de Temer et de Macri, leur tout petit voisin est en passe de fêter quinze années de croissance ininterrompue, un vrai record pour un pays dont le nombre d’habitants atteint à peine les 3 millions et demi.

L’Uruguay n’a pas de pétrole ni de cuivre mais a su tirer profit du boom des matières premières et a employé les remèdes nécessaires pour encaisser les chocs externes. Ainsi, au cours de la dernière décennie, il a misé sur son potentiel dans le domaine de l’agriculture et de l’élevage, du tourisme, et accepté l’aide chinoise pour diversifier son économie et diminuer sa dépendance historique à l’égard de ses voisins imprévisibles, tout particulièrement l’Argentine, pays qui a été relégué, en 2016, au cinquième rang des destinataires des exportations uruguayennes, derrière la Chine, le Brésil, les États-Unis et les Pays-Bas [1].

Même si l’économie n’a pas connu de taux de croissance spectaculaires, la croissance a été continue : entre 2006 et 2015, son taux a été de 4,8% en moyenne, avec un PIB par tête qui atteignait, lors de cette dernière année, 15 720 dollars [2]. Même si, à partir de 2015, la situation n’a pas été idéale, le ralentissement a permis néanmoins une croissance d’environ 1% cette année-là et de 1,5% en 2016. Même si cette dernière année le pays a connu le taux d’inflation le plus haut en 13 ans,11% [3]et le pire résultat en 27 ans quant au déficit fiscal qui a atteint 4% du PIB [4].

Dans l’immédiat, les prévisions annoncent une bonne année 2017 et, de fait, les premiers chiffres sont positifs : au premier trimestre le PIB a affiché une croissance de 4,3%, dynamisé par le secteur du tourisme qui a connu cette année une saison record grâce à l’inflation argentine croissante. Une épée à double tranchant si on considère que l’activité de ce secteur en Uruguay est toujours très dépendante des revenus des touristes – son voisin du sud représente 60% du total – au point qu’il est fréquent que le tourisme génère plus de dollars que la vente de viande ou de soja.

Dans le domaine social, le petit pays est reconnu également pour son excellente qualité de vie. Selon les données de la Banque Mondiale, de 2006 à 2015 la pauvreté modérée a été réduite de 20% et l’indigence qui s’élève à 0,3% est pratiquement imperceptible. En termes d’équité, les revenus des 40% des plus pauvres de la population uruguayenne ont augmenté beaucoup plus vite que la croissance moyenne des revenus de toute la population et environ 87% de la population de plus de 65 ans est couvert par le régime des pensions. Ces résultats ont été possibles grâce à la mise en œuvre de politiques publiques inclusives qui, au cours de la dernière décennie, ont visé à élargir la couverture des programmes d’aide sociale.

Tout va-t-il si bien ?

En dehors de la macro et microéconomie, d’autres chiffres commencent à avoir de l’importance : les sondages citoyens révèlent le mécontentement croissant de la population à l’égard du gouvernement actuel, présidé par Tabaré Vázquez qui, pour ce qui est de son second mandat, recueille des taux de satisfaction historiquement bas – autour de 30% – en raison de quelques scandales de mauvaise gestion, mais pas de corruption comme c’est le cas de ses voisins immédiats.

Cette fin de semaine le vice-président, Raúl Sendic, a donné sa démission « irréversible » [5] en raison d’une polémique le concernant : il est accusé d’avoir utilisé de l’argent public à son bénéfice personnel quand il était à la tête du secteur pétrolier étatique de l’Administration Nationale des combustibles, Alcool et Portland (NCAP). Le monde politique est troublé mais la stabilité institutionnelle se maintient, en particulier par ce que sa remplaçante sera Lucia Topolansky, sénatrice titulaire pour le Frente Amplio et la plus plébiscitée de la liste après son époux, l’ex-président José « Pepe » Mujica qui ne pourra assumer la charge de vice-président car il présidait le pouvoir exécutif dans la période précédente (2010-2015). Pepe Mujica a comparé la situation de Sendic avec celle que connaît le Brésil « tandis qu’au Brésil il s’agit de montagnes d’argent, nous nous discutons de broutilles, ne vous en déplaise » a-t-il déploré.

Le faux pas de Sendic, néanmoins, n’occultera pas d’autres affaires en cours qui réclament l’attention immédiate du gouvernement national. Tâches qui, après une longue période de transformation, exigent d’être menées à leur terme, pour continuer à avancer dans la construction d’un État de bienêtre social et au fort potentiel économique :

 L’amélioration de l’éducation. Bien que l’accès universel à l’éducation préscolaire et primaire suppose une couverture qui dépasse considérablement la moyenne latino- américaine, les indicateurs de fin de l’éducation secondaire sont encore peu satisfaisants et ont augmenté très lentement dans les dernières décennies, en comparaison avec d’autres pays de la région. En fait, subsistent des inégalités très marquées qui dépendent du statut socioéconomique des étudiants. Selon les chiffres de l’OCDE, en 2010, seul 25% de la tranche d’âge de 15 à 17 ans, au quintile de revenus les plus bas, avait terminé le cycle primaire et 7% des 18 à 20 ans avait terminé le secondaire. Chiffres qui contrastent avec respectivement 85% et 57% pour le quintile des revenus supérieurs.

 La modernisation des services publics. Les institutions de l’administration publique uruguayenne révèlent des déficiences dans la gestion de leurs processus et de leur organisation. Améliorer leur transparence et leur efficacité passe par l’informatisation des mécanismes grâce auxquels on pourrait accélérer l’accès à des services électroniques, optimiser leur généralisation et les rendre plus rapides et plus accessibles à la population. Récemment, le Conseil d’administration de la Banque Mondiale a accordé un prêt au gouvernement d’un montant de 12 millions de dollars à échéance de 17,5 ans, assortie d’une période de grâce de cinq ans, pour la mise en œuvre d’un plan de modernisation du secteur public et de ses services.

 Le pouvoir d’achat. Dans un contexte déficitaire le gouvernement a opté pour des mesures tributaires pour pallier les déficits des comptes publics. La réforme fiscale comprend une hausse des impôts sur le Revenu des Personnes Physiques (IRPF), une augmentation sur les revenus du capital, une hausse de la contribution d’Assistance à la sécurité sociale (IASS), des modifications concernant l’Impôt sur le revenu des activités économiques (IRAE), et une baisse de l’Impôt à la valeur ajoutée (IVA) pour tous les achats effectués avec des cartes de débit et des cartes de crédit. Les changements qui ont commencé à être appliqués au début de l’année, se sont traduits par le constat qu’en 2016 les salaires ont augmenté de 10,77%, deux points au-dessus des 8,1% affichés à la fin de l’année. Cependant, ces ajustements tributaires risquent d’avoir une incidence directe sur le porte-monnaie des Uruguayens avec la probabilité de diminuer le pouvoir d’achat des salariés.


Traduction de Françoise Couëdel.
Source (espagnol) : http://www.celag.org/uruguay-la-calma-en-medio-de-la-tormenta/
Twitter de l’auteur : @Clujan0

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