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DIAL 3469
Don Samuel Ruíz et le cinquantième anniversaire de Medellín
Juan Manuel Hurtado López
mercredi 31 octobre 2018, mis en ligne par
L’année 2018 est riche en commémorations et dates importantes pour l’Église latino-américaine, avec notamment les 90es anniversaires de Pedro Casaldáliga (16 février) et Gustavo Gutiérrez (8 juin) [1], les 50 ans de la Seconde Conférence générale de l’Épiscopat latino-américain qui s’est tenue du 26 août au 7 septembre 1968 à Medellín, en Colombie, et la canonisation d’Óscar Romero (14 octobre), à laquelle sont consacrés les deux articles suivants. Ce texte du théologien Juan Manuel Hurtado López, en charge de la paroisse de Pantelho, à San Cristóbal de las Casas, revient sur la Conférence de Medellín en s’arrêtant sur l’un de ses acteurs, Don Samuel Ruíz. Article publié par Amerindia le 16 novembre 2017.
« Don Samuel, à l’égal d’évêques comme Don Hélder Camara […] Don Leonidas Proaño […] Don Pablo Evaristo Arns […] Don Óscar Arnulfo Romero […] font partie d’une page remarquable de l’histoire de l’Église latinoaméricaine [2]. »
Les façons d’aborder la célébration des 50 ans de Medellín que nous allons réaliser l’an prochain sont sans nul doute diverses. Réseaux, universités, collectifs et groupes projettent de réaliser des activités pour commémorer un aussi heureux événement. Dans l’Amérique indienne, nous organisons aussi un Congrès théologique qui se déroulera dans la patrie de Mgr Romero, icône des martyrs d’Amérique latine et des Caraïbes.
Il me semble que l’une des tâches à propos de Medellín consiste à remettre sur le devant de la scène les artisans de Medellín, leur profil, leur contribution. Cela nous conduira au contact de ceux qui vécurent l’événement et jouèrent un rôle important dans la Seconde Conférence générale de l’Épiscopat latino-américain. Nous comprendrons mieux ainsi la portée qu’a eu Medellín comme réception critique et créative de Vatican II sur notre continent.
Je veux faire référence ici à Mgr Samuel Ruíz, évêque de San Cristóbal de las Casas, Chiapas, dans le sud-est mexicain, avec qui j’ai eu la chance et l’opportunité de travailler pendant un peu plus de deux ans.
Lorsque Don Samuel arriva à Medellín, il portait dans son cœur et avait sous sa responsabilité l’attention pastorale à l’un des diocèses où vivait le nombre le plus important d’Indiens du pays. En outre Don Samuel a eu le privilège d’être père conciliaire durant les quatre sessions du Concile Vatican II. Il en avait ramené le souffle d’air frais de rénovation de l’Église initiée pendant le Concile.
Pendant le concile, Don Samuel avait pu aussi échanger avec les évêques africains sur leurs expériences respectives en lien avec le thème de l’évangélisation des populations, autochtones surtout. Comme lui-même le racontait, cela avait changé radicalement sa perception de ce que signifiait évangéliser en terres de mission. Don Samuel arriva à Medellín imprégné de Vatican II et avec déjà la volonté d’en appliquer l’esprit dans la vie du diocèse.
Durant la Conférence de Medellín, du 26 août au 7 septembre 1968, Don Samuel a été participant et intervenant. Plus tard, par nomination du Conseil épiscopal latino-américain (CELAM), Don Samuel allait devenir responsable du Département des missions – pour la pastorale indienne – ainsi que Président de ce Département au sein de la Conférence de l’épiscopat mexicain.
Don Samuel a été pasteur et prophète. Il a accompagné un diocèse très vaste, avec peu de routes, aux ethnies indiennes et langues multiples. Pauvreté et marginalité étaient très importantes, tout comme les problèmes de terres, de santé, d’éducation et de travail. C’est là qu’il enracina son ministère pastoral et prophétique.
À la lumière du Concile Vatican II et de Medellín, il ouvrit dans le diocèse de nombreuses voies pastorales. Don Samuel a développé les écoles de catéchèse – à ce jour, il y a plus de 8000 catéchistes pour adultes dans les communautés – l’œcuménisme, l’étude et la traduction de la Bible dans les langues indiennes, le Diaconat indien permanent, les droits humains, la place des femmes, les vocations autochtones, le Peuple croyant comme sujet engagé dans la lutte pour la justice et la libération du peuple, l’étude des cultures mayas, le soutien de milliers de réfugiés du Guatemala qui fuyaient la guerre, la théologie indienne, la construction d’une Église ministérielle avec des services et des ministères autochtones, la mise en place du Séminaire régional du Sud-Est (SERESURE) avec les diocèses voisins pour la formation des prêtres, les relations avec les Églises d’Amérique Latine et des Caraïbes par l’intermédiaire de l’UMAE, la promotion des organisations de défense des peuples indiens de la région, la médiation pour la paix quand a éclaté le conflit armé, en 1994, entre l’Armée zapatiste de libération nationale et le gouvernement mexicain. À San Cristóbal de las Casas, il a été à l’origine d’une maison d’accueil aux femmes indiennes abandonnées qui voulaient accoucher dans de bonnes conditions.
En 1974, le diocèse de San Cristóbal de las Casas, avec Don Samuel à sa tête, fut chargé d’organiser le Congrès indien pour commémorer les 500 ans de la naissance de Fray Bartolomé de Las Casas. Ce Congrès fut décisif dans l’histoire récente du diocèse. En 1975, lors de l’Assemblée diocésaine, Don Samuel assuma publiquement l’option pour les pauvres et il invita à faire de même tous les agents de pastorale présents. Et son grand œuvre, le troisième Sinode diocésain de 1995 à 1999, ordonne actuellement la vie du diocèse.
A cela s’ajoute ses contacts importants avec les Églises d’Amérique latine, par sa présence dans les congrès, rencontres, séminaires.
À l’image d’Amos et d’Isaïe, Don Samuel a démontré son talent prophétique, il a fait de grandes et fortes dénonciations prophétiques à l’encontre d’un système mortifère qui opprimait les Indiens, avec l’action des propriétaires terriens et des éleveurs, avec aussi la discrimination raciale, surtout dans la ville de San Cristóbal. Son excellente Lettre pastorale « En cette heure de Grâce » est bien connue : Don Samuel y fait la dénonciation prophétique des graves injustices dont souffre la société et surtout les pauvres, les Indiens et exprime ce qu’est la volonté de Dieu et le devoir de l’Église en cette heure.
Cela lui valut toutes sortes d’attaques : calomnies, accusations, persécutions, tentatives d’assassinat. Mais la croix que porta Don Samuel, ne fut pas seulement celle dont le chargea le gouvernement ou les propriétaires terriens, mais aussi celle venue de quelques-uns de ses frères de l’Épiscopat mexicain qui entraient dans les intrigues du gouvernement et des classes riches et possédantes du pays. Ils en arrivèrent même à réclamer son expulsion du pays. Mais la nouvelle de cette mesure se répandit et la société civile nationale et internationale exerça une telle pression que le gouvernement dut y renoncer. Plusieurs fois on voulut lui faire quitter le diocèse, mais grâce au soutien de la société civile et de quelques évêques, la mesure ne put prospérer.
Don Samuel prononça des phrases bouleversantes. Alors que, dans une situation délicate, on lui demandait si sa vie était en danger, il déclara aux Indiens :
« Frères, vous souffrez beaucoup et c’est pourquoi nous voulons vous accompagner dans cette souffrance ; mais nous nous rendons compte que vous et nous courrons un grand risque. Nous sommes disposés à courir tous les risques que vous êtes disposés à courir [3]. »
À un prêtre espagnol qui s’entêtait à l’accompagner il disait :
« Non, car il se peut que nous soyons tués en route et pourquoi te faudrait-il finir ici alors que tu n’as rien à voir avec tout cela [4]. »
Voici une autre phrase qui le reflète bien. On lui demandait souvent s’il avait des ennemis. Don Samuel répondait :
« Je n’ai pas d’ennemis, les pauvres eux en ont, car ce sont des pauvres qui gênent le système injuste [5]. »
Je termine sur cette affirmation de Don Raúl : « Don Samuel, un père de l’Église latino- américaine », un prophète et un pasteur qui a marqué la Seconde Conférence épiscopale latino-américaine de Medellín.
– Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3469.
– Traduction d’Annie Damidot pour Dial.
– Source (espagnol) : Amerindia, 16 novembre 2017.
En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, la traductrice, la source française (Dial - www.dial-infos.org) et l’adresse internet de l’article.
[1] Nous aurons l’occasion d’en reparler dans les numéros suivants.
[2] Raúl Vera López, « Don Samuel Ruíz García, uno de los padres de la Iglesia Latinoamericana », dans Juan Manuel Hurtado López, Don Samuel profeta y pastor. México, Razón y Raíz, 2016, p. 7.
[3] Idem, p. 17.
[4] Idem, p. 19.
[5] Idem, p. 25.