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DIAL 3492

BRÉSIL - « Les Yanomami n’ont pas besoin de routes »

Paolo Moiola

mardi 30 avril 2019, mis en ligne par Dial

Les deux derniers articles de ce numéro dressent le portrait de religieuses engagées au Brésil auprès des Indiens yanomami, pour le premier – ci-dessous –, et des paysans pauvres, pour le second. Ce texte a été publié sur le site Comunicaciones Aliadas le 12 mars 2019.


Née dans la république orientale africaine du Kenya, la missionnaire de l’ordre de la Consolata, Mary Agnes Nieri Mwangi, vit depuis l’an 2000 dans la mission Catrimani, en Terre indienne yanomami (TIY), dans l’État de Roraima, frontalier avec la Guyane et le Venezuela. La sœur Mary Agnes a travaillé avec des femmes yanomami et organisé la première rencontre de femmes indiennes dans la mission Catrimani en 2008.

La missionnaire Mary Agnes Nieri Mwangi (photo : Paolo Moiola)

Elle a conversé avec Paolo Moiola, collaborateur de Noticias Aliadas, sur son expérience avec les Indiens yanomami, la découverte d’une réalité différente de ce qu’elle avait vécu, l’apprentissage du yanomae (dialecte de la famille linguistique yanomami) et l’adaptation à leurs coutumes.

Comment êtes-vous passée de votre Kenya natal à la terre des Yanomami ?

Arriver en Amazonie, en terres indiennes, fut pour moi une très grande nouveauté. Mais plus grande encore fut la joie de connaître des peuples différents du mien. Quand je suis arrivée à Catrimani [sur les bords de la rivière du même nom], il m’a semblé que j’étais dans ces missions de mon pays dans les premières années du XXe siècle. Aujourd’hui c’est un joyau.

Très souvent le premier saut culturel auquel nous sommes confrontés est le saut linguistique. Avez-vous eu des problèmes ?

Non, parce que mon pays est plurilingue. On parle anglais, kiswahili et aussi le kikuyu, ma langue. Au Kenya et en Italie j’ai appris un peu d’italien. Quand je suis arrivée à Catrimani je ne parlais ni la langue portugaise ni la langue indienne. Durant les cinq premiers mois, en attendant de participer à un cours de portugais, j’ai commencé à étudier le dialecte local, le yanomae. Étant donné que c’est souvent la seule que parlent les Yanomami, la connaître est essentiel. C’est une langue orale, même si, au fil des ans, nous les missionnaires avons mené à terme plusieurs projets d’alphabétisation.

Si vous vouliez donner une définition synthétique des peuples indiens, que diriez-vous ?

Que ce sont des peuples amicaux, qu’ils sont accueillants, qu’il y a beaucoup à apprendre de la manière avec laquelle ils te reçoivent.

Et des Yanomami ?

Même si cela n’est pas visible à première vue parce qu’ils sont chasseurs, c’est-à-dire hommes d’action, les Yanomami sont des personnes qui aiment raconter, écouter et contempler.

Nous, nous avons l’habitude de demander : « Comment vas-tu ? ». Eux non, parce qu’ils voient comment tu vas. C’est une question inutile. Par contre, il est très important de demander : « À quoi penses-tu ? » ; c’est presque une manière de saluer l’autre. C’est se mettre en disposition de l’écouter.

Maloca est le terme générique pour indiquer une demeure qui abrite plusieurs familles indiennes. Comment décririez-vous la maloca des Yanomami ?

Il y a une recherche d’harmonie qu’il est difficile d’expliquer. D’abord, quand ils construisent leur maison commune (yano, dans leur langue), les Yanomami se demandent toujours : où est le centre du monde ? L’harmonie se recherche aussi dans des activités extérieures à la maloca qui vont être partagées au moyen d’une proposition. Ils ne disent pas : « Aujourd’hui nous allons chasser là ». Ce n’est pas la façon de communiquer des Yanomami, qui vont dire plutôt : « J’ai pensé, il me semble bon d’aller là. Toi, qu’en penses-tu ? » Ceci concerne les moments en commun, mais il en va de même pour ceux consacrés au noyau familial.

Et au sein de la maison commune, qu’est-ce qui distingue chaque famille ?

Chaque noyau familial a son feu. Comme il n’y a pas de séparations, si l’on veut savoir combien de familles il y a dans la maloca, il suffit de compter les feux. Chaque feu, une famille.

Et à l’intérieur de la maloca et de la famille comment grandissent les enfants ?

Ils apprennent directement. Les enfants les plus grands prennent dans leurs bras les plus petits. Ceux de deux ou trois ans savent déjà faire le feu et portent déjà le couteau à la main. Au début cela m’inquiétait, mais la maman intervenait aussitôt pour me dire qu’il n’y avait pas de danger. J’ai finalement trouvé moi aussi un équilibre entre la surveillance exagérée des enfants occidentaux et la liberté d’apprendre des petits Yanomami. Beaucoup d’entre eux vont à la rivière pour pêcher et préparent ensuite ce qu’ils ont trouvé. Même la nourriture est partagée avec les adultes. Il n’y a pas de distinction entre nourriture pour adultes et nourriture pour enfants, comme j’en avais moi l’habitude.

Bananes pour tous, alors ?

Oui, l’aliment favori des Yanomami est la banane. Ensuite vient le yucca, avec lequel ils font une sorte de pain ; patates et fruits de la forêt, poisson et gibier ou porc. Pour les Yanomami il y a deux types de faim, si bien qu’ils ont un mot spécifique : naiki pour parler de la faim par manque de viande et ohi pour tout le reste.

La chasse est pratiquement une activité quotidienne : tous les jours il y a quelqu’un qui la pratique. Si le papa n’y va pas, le fils y va ou le cousin. Qui y va un jour n’y va pas le jour suivant, parce qu’il doit préparer les instruments de la chasse, en premier lieu les flèches.

Qui est le chaman, appelé xapuri ou xapiri, dans la société yanomami et quel rôle joue-t-il ?

D’abord le chaman est une personne très disponible. Si quelqu’un vient demander ses services, il se lève de son hamac et y va. Je n’en ai jamais entendu aucun refuser. En général le chaman est une personne qui, tout au long de sa vie, cultive « le ressentir avec », le partage des préoccupations des autres.

Cependant, pour « ressentir » comme vous dites, il doit toujours prendre la yakoana, qui est une substance hallucinogène.

C’est exact, les chamans utilisent la yakoana, parce qu’elle aide à l’intermédiation entre eux et les esprits. Moi aussi, en tant qu’infirmière, j’ai pensé à la condition chamanique comme un « effet hallucinogène » induit par cette drogue.

Cependant, j’ai vu qu’il y avait des chamans qui peuvent faire leurs rites curatifs sans nécessairement en prendre. En état de sobriété. Je vois en cela la force de l’amour, y compris s’ils n’en parlent pas en ces termes, et utilisent seulement le mot soin.

De plus, le chaman porte dans le présent la mémoire de la communauté. Pour des peuples sans mémoire écrite, cette fonction est essentielle.

Aidez-nous à éclaircir les termes : on dit chaman, xapuri ou xapiri ?

Le terme qu’utilisent les Indiens n’est pas chaman. Le terme est xapuri ou xapiri selon le territoire yanomami considéré. Pourquoi ? Xapuri (xapiri) est aussi le nom des esprits qui travaillent avec ces personnes. Au moment où le chaman est en contact avec l’esprit, ce n’est pas lui qui parle, ce n’est pas lui qui soigne : lui, il incarne l’esprit. À ce moment il est xapuri. C’est le cas, par exemple, à la fin de la vie quand le chaman déclare : « Maintenant il n’y a plus rien à faire pour éviter la mort ». Paroles dures à entendre, mais toutes les personnes présentes les considèrent comme des paroles de l’esprit et non de la personne physique qu’elles ont devant les yeux.

Ceci dit, pour moi le chamanisme reste un mystère.

Les os des défunts, traités d’une certaine manière, sont mangés par les gens de sa famille. Cela fait qu’on parle de cannibalisme (alors même que le terme correct est « endocannibalisme » et, dans le cas spécifique des Yanomami, « ostéophagie »).

La manière de traiter les morts est quelque chose que nous devons apprendre. Aujourd’hui nos cimetières sont pleins. Si nous pensons que, après sa mort, une personne devient cendres, les Yanomami agissent en brûlant les cadavres et en mêlant à la nourriture les os pulvérisés. C’est de là qu’est venu l’affirmation : les Yanomami mangent leurs morts. Ceux qui parlent ainsi ne connaissent pas bien leur culture, le pourquoi des choses qu’ils font. C’est dommage. Ce que je vois et pense n’est pas toujours correct. C’est quelque chose qui m’indispose passablement.

Outre la corruption amenée par l’argent des blancs, un autre grand danger vient de l’extérieur.

C’est exact. Les Yanomami vivent dans un territoire très bon. Les plantes poussent sans qu’on leur apporte beaucoup de soins, il y a de l’eau, le climat est bon. Malheureusement, il y a aussi des minéraux qui attirent beaucoup de garimpeiros [mineurs informels].

Ce sont des personnes individuelles ou de véritables entreprises ?

Il y a des garimpos [exploitations minières informelles] qui derrière ont un patron et il y en a d’autres qui n’ont qu’un seul mineur. Le phénomène est très complexe.

Parmi les nombreux dommages causés par les garimpeiros, figure la pollution des eaux au mercure. Ce problème s’est-il manifesté dans la mission Catrimani ?

Déjà dans la décennie 1990, les missionnaires ont creusé un puits pour ne pas boire l’eau de la rivière polluée au mercure. Ces dernières années, il y a moins de pollution chez nous, tandis qu’elle a augmenté dans d’autres zones. Bien entendu, nous ne pouvons pas être certains qu’il n’y a pas de mercure dans la rivière Catrimani, parce que dans son cours supérieur il y a des garimpos. Nous ne sommes même pas sûrs que l’eau de notre puits, qui est situé près de la rivière, soit propre.

Pour maintenir les Indiens loin des blancs, la meilleure solution est qu’il n’y ait pas de routes. Est-ce une déclaration exagérée ?

Je crois que la route n’est pas pour les Indiens. Ce sont des personnes qui n’ont pas besoin de routes parce que ce sont des peuples de la forêt. Ils ont un GPS dans la tête.

Quand je marche avec eux, parfois je ne suis pas capable de m’orienter, de comprendre où je me trouve. Parfois je ne peux même pas trouver le soleil parce que je ne peux pas le voir. Alors ils m’interrogent : « Que cherches-tu ? » « Le soleil », je réponds. « Mais, comment ? Il est là ! Tu ne le vois pas ? » Et ils se mettent à rire. Il m’arrive la même chose avec les sentiers que je ne vois pas alors qu’eux les voient. Ce que je veux dire c’est que ce que je ne vois pas, eux par contre le voient. Alors la route n’est pas pour les Indiens, mais pour ceux comme nous qui n’avons pas un GPS dans la tête.

Aucune route n’aboutit à elle, mais la mission Catrimani est un lieu de rencontre.

C’est vrai. Même dans sa grande simplicité, à la mission il y a des structures qui ne se trouvent nulle part ailleurs. Pour cette raison, c’est le lieu où le SESAI [Secrétariat spécial de la santé indienne, gouvernemental], l’ISA [Institut socio-environnemental, non-gouvernemental], Hutukara [la plus importante des associations yanomami conduite par Davi Kopenawa] et même quelques facultés universitaires fédérales organisent des rencontres. Nous sommes arrivés à loger jusqu’à 200 personnes qui dormaient un peu partout.

Vous travaillez avec les femmes indiennes. Comment ont été reçues vos initiatives dans la communauté yanomami ?

Au début il y a eu beaucoup de surprise. Les hommes yanomami s’interrogeaient : « Que veut-on faire avec les femmes ? Quel type de rencontre est-ce ? Qu’est-ce que les femmes ont à apprendre ? Tout ce qu’il faut apprendre s’apprend au sein de la communauté ». Pour moi, par contre, ce furent des expériences très intéressantes, un rêve qui devenait réalité : travailler avec les femmes. Depuis l’an 2002 j’accompagne les femmes aux rencontres.

De la participation à des rencontres entre femmes indiennes, vous êtes passées à l’organisation. Comment s’est produit ce changement ?

C’était en 2006. Nous étions six : quatre femmes, un homme et moi, une religieuse. Nous avons fait le déplacement de la mission Catrimani à la Terre indienne Raposa Serra do Sol. À cette occasion, les femmes yanomami m’ont dit : « Pourquoi ne le faisons-nous pas aussi ? ». J’ai été très surprise par cette proposition, mais elle a marqué le début de notre voyage.

Quand a eu lieu la première rencontre de femmes indiennes à la mission Catrimani ?

Nous avons organisé la première rencontre en 2008, une assemblée ouverte également aux femmes non yanomami, projet qui fut rendu possible grâce à l’appui de la CEI [Conférence épiscopale italienne]. En fin de compte, nous avons obtenu seulement une avionnette pour quatre femmes indiennes de l’extérieur, mais les femmes yanomami sont arrivées en grand nombre de divers endroits avec enfants et maris.

La préparation a été plus intéressante que l’assemblée elle-même. Les hommes me demandaient : « Qui fait la cuisine si les femmes sont assises pour écouter ? ». Cela m’a fait rire. En tous cas, nous nous sommes débrouillées pour nous organiser. Les femmes étaient assises en cercle au centre de la maison commune et autour, dans les hamacs, il y avait hommes et enfants. Il n’y a pas eu un véritable thème de rencontre. Le thème, c’était d’être ensemble et de parler de la vie de la femme, yanomami ou non yanomami.

Les années suivantes, nous avons dû nous limiter à inviter les Yanomami. En 2010 il y a eu une rencontre consacrée à la santé. En 2018 (du 26 au 30 septembre), pour la première fois, la rencontre – la 11e de la série – s’est déroulée hors de la mission Catrimani, dans la maloca Watoriki, dans la région de Demini, celle de Davi Kopenawa, [en plein territoire yanomami].

Pour conclure, la malaria est-elle encore très répandue dans la forêt ?

Le problème est sérieux, même si depuis longtemps nous n’avons pas eu de morts. À la mission, nous avons un microscopiste. L’examen pour détecter la malaria est simple : peut très bien le faire n’importe quel Yanomami sachant lire et écrire. Cela a beaucoup aidé à ne plus avoir d’événements mortels. On pense que le fait qu’il y ait tant de cas dépend des déplacements des garimpeiros et des Indiens eux-mêmes.

Alors, la malaria est là, mais aujourd’hui elle peut être traitée. Du moins dans la mission Catrimani.

Oui, parce que la mission Catrimani est une oasis dans la forêt. Un petit bijou.


 Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3492.
 Traduction de Sylvette Liens pour Dial.
 Source (espagnol) : Comunicaciones Aliadas, 12 mars 2019.

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